par fernando » 24 Mars 2016, 15:05
Dupond-Moretti, avocat de Benzema : « l’intervention de Valls est scandaleuse »
Le Monde | 24.03.2016 à 12h33 • Mis à jour le 24.03.2016 à 12h48 | Propos recueillis par Rémi Dupré
Karim Benzema, mis en examen dans l’affaire de la sextape, a changé d’avocat. L’attaquant des Bleus et du Real Madrid est désormais défendu par la star du barreau, Eric Dupond-Moretti. A 54 ans, il est l’un des avocats les plus connus du grand public, depuis l’affaire d’Outreau en 2005. Il a notamment défendu Yvan Colonna (condamné pour l’assassinat du préfet de Corse Claude Erignac), le trader Jérôme Kerviel, l’ancien conseiller de l’Elysée Henri Guaino, Bernard Tapie ou encore les frères Karabatic dans le cadre de l’affaire des paris suspects du match de handball entre Montpellier et Cesson.
Dans un entretien au « Monde », Me.Dupond-Moretti s’élève contre la sortie du premier ministre contre la présence de l’attaquant des Bleus à l’Euro en France.
Le premier ministre, Manuel Valls, et le ministre des sports, Patrick Kanner, ont, tour à tour, estimé que les conditions n’étaient pas réunies pour un retour de Karim Benzema en équipe de France, tout en assurant que c’est à la FFF et au sélectionneur de prendre leur décision. Que vous ont inspiré ces déclarations ?
Eric Dupond-Moretti : D’un point de vue général, en droit français, on distingue toujours une faute professionnelle d’une faute pénale. Si un type dans la fonction publique est poursuivi, il peut très bien continuer à travailler sans être sanctionné. C’est la présomption d’innocence. Mais cela n’a pas vocation à s’appliquer à Karim Benzema. S’agissant de l’intervention du premier ministre, je la trouve à proprement parler scandaleuse. Je rappelle que, dans son équipe gouvernementale, il y a deux condamnés, Jean-Marc Ayrault [il a été condamné en 1997, à six mois avec sursis et 30 000 francs d’amende pour favoritisme avant d’être réhabilité en 2007] et Harlem Désir [condamné à 18 mois de prison avec sursis et 30 000 francs d’amende pour recel d’abus de biens sociaux en 1998].
Je ne pense pas que Didier Deschamps serait intervenu pour lui demander de remanier son équipe ou de les exclure. De quoi se mêle-t-on ? Cette affaire est en instruction. Karim Benzema est présumé innocent. Il y a une espèce d’immixtion de l’exécutif dans la justice d’une certaine façon. Que je sache, le premier ministre n’a pas connaissance de l’instruction en cours ou alors c’est à désespérer de tout. Et de surcroît, dans cette instruction, il est mis en examen et cela ne signifie pas qu’il est coupable. Il est pour le moment présumé innocent comme n’importe quel justiciable dans ce pays.
En novembre 2015, Patrick Kanner avait milité pour l’ouverture d’un débat sur la mise à l’écart des joueurs internationaux mis en examen.
Est-ce que les politiques n’ont rien d’autre à faire que de s’occuper de choses qui relèvent du sport ? Je ne comprends pas bien. Les politiques, quels qu’ils soient, ont tellement pris l’habitude d’utiliser le sport pour leur image. Je me souviens de Jacques Chirac qui portait le maillot 23 de l’équipe de France. Il y a une immixtion de plus en plus pressante, prégnante du politique sur la justice, notamment dans le sport. Les politiques s’en repaissent, ils rêvent d’être le numéro 12 alors que cela ne les regarde pas. On s’autorise là des immixtions dans un domaine auquel ils n’ont pas accès. A-t-on entendu M. Valls demander la démission de je ne sais quel homme politique qui aurait été mis en examen ?
La FFF est liée au ministère des sports par une convention et exerce une mission de service public. Le gouvernement est-il dans son rôle lorsqu’il demande des comptes aux sportifs sur le plan de l’exemplarité ?
Pas du tout. On vit une époque que je dénonce en permanence où la morale, la transparence, une forme de politiquement correct ont envahi toutes les sphères de notre vie sociale. On voit d’ailleurs ces dérives en matière judiciaire. C’est infiniment choquant, ce besoin de tout réglementer, d’intervenir sur tout. Que les politiques règlent nos problèmes, ce serait quand même beaucoup mieux.
L’Euro 2016 s’ouvrira en France dans moins de trois mois. Les responsables politiques pensent aussi à l’image du pays, de la sélection…
En quoi un Euro organisé en France autorise Manuel Valls à devenir en somme le sélectionneur de l’équipe de France ? C’est Didier Deschamps qui va prendre la décision. Il est temps de remettre les pendules à l’heure. J’ai d’ailleurs rappelé que les frères Karabatic, dont j’ai été l’avocat, ont été sélectionnés en dépit du fait qu’ils ont été mis en examen [en octobre 2012 dans l’affaire des paris suspects à Montpellier]. Je crois d’ailleurs que c’était pour le plus grand bonheur de l’équipe de France si je me souviens bien.
Selon le « Canard enchaîné », François Hollande aurait recadré ses ministres sur l’affaire Benzema.
Il a bien fait. Ce n’est pas le rôle des ministres d’intervenir dans ce domaine-là. En termes d’exemplarité, franchement et ce n’est pas pour la polémique, je rappelle qu’il y a dans l’équipe gouvernementale deux types qui ont été condamnés par le passé. On fait quoi avec ça ? Il y a eu une polémique, en 2012, avec Jean-Marc Ayrault et sa condamnation lorsqu’il est devenu premier ministre. J’étais de ceux qui disaient « je ne vois pas en quoi le fait d’avoir été condamné l’empêcherait d’être premier ministre. » Au fond, il a purgé sa peine avec sursis. Juppé a été condamné [il a été condamné en 2004 à dix-huit mois de prison avec sursis, assortis d’une peine d’inéligibilité de cinq ans], personne n’oserait lui interdire de briguer la présidence de la République. Il a purgé sa peine. On a le droit à l’oubli.
François Hollande a assuré le président de la FFF, Noël Le Graët, de son soutien quelle que soit la décision qu’il prendra…
Je pense que les politiques n’ont pas vocation à réglementer tous les aspects de nos vies. Ils ne sont pas là pour ça. Ce n’est pas leur mandat, leur mission. C’est extrêmement inquiétant cette intrusion des politiques dans tous les aspects de la vie. En l’occurrence, il s’agit là de la vie sportive. On est dans une époque d’hyper-moralisation, de transparence, d’hyper-réglementation. On n’a jamais autant réglementé sur tout. On infantilise les gens. Dans tous les domaines, ça devient pesant. On se demande si ce n’est pas un constat d’échec pour les politiques, quels qu’ils soient, qui sont dans l’incapacité de régler les problèmes qui sont les vrais problèmes de gouvernance. On bascule sur des choses qui n’ont aucun intérêt.
Est-ce que je me mêle, moi, avocat, de composer l’équipe de France de je ne sais pas quoi ? Je n’imagine pas Didier Deschamps comme chef du gouvernement, je n’imagine pas non plus Valls comme « chef » de l’équipe de France. Que chacun reste à sa place et les moutons seront bien gardés. Le football est tellement populaire qu’on s’autorise à des incursions dans le domaine sportif. On en espère un bénéfice. Manuel Valls ne fait pas ça pour rien quand il parle d’exemplarité, etc. Benzema lui répond : « sur le plan sportif, quelle leçon j’ai à recevoir de vous ? J’ai été très très peu sanctionné [il n’a reçu que cinq cartons jaunes et aucun carton rouge depuis le début de sa carrière] et j’ai un comportement exemplaire sur le terrain. »
Nöel Le Graët a indiqué qu’il prendra sa décision le 15 avril.
Il y a des tas de professionnels qui continuent à exercer leur profession en étant mis en examen. Dans ma clientèle, j’ai des policiers, des fonctionnaires mis en examen et qui sont toujours en exercice. On a connu des ministres mis en examen et qui n’ont pas démissionné. Il y a eu ensuite ce qu’on a appelé la jurisprudence Balladur [qui voulait que tout ministre impliqué dans une affaire judiciaire démissionne], qui était aussi une reconnaissance que les mis en examen n’étaient pas présumés innocents.
"L'alcool tue lentement. On s'en fout, on a le temps."