Pour les paydays ?Les métaphores sexuelles sont assez répandues dans le langage des supporters de foot. L’analogie entre le but et l’orgasme, en particulier, est un lieu-commun auquel ne résiste pas même le grand écrivain sud-américain Eduardo Galeano dans son beau livre Football, Ombre et lumière, dont le titre fait par ailleurs explicitement référence aux arènes de la tauromachie : sol y sombra. On se souvient encore de l’article allumé du psychanalyste Daniel Sibony dans le journal Libération lors du Mondial de 1998 en France : « sans être un freudien obsédé, on peut voir chaque équipe comme un corps collectif qui, dès qu’il a la balle, devient phallique et va l’enfoncer dans le creux du corps adverse. Dans maintes langues, marquer un but c’est carrément tirer un coup… » J’en passe et des meilleures… L’intérêt et sans doute la nouveauté de l’ouvrage de Beatriz Vélez vient du fait que c’est ici une femme qui porte le regard de l’anthropologue sur ces grands rituels collectifs que sont les matches de foot.
À tout seigneur tout honneur, c’est à partir du pied que la symbolique phallique s’organise. Tous les footballeurs ne vont pas, comme David Beckham, jusqu’à s’en vernir les ongles mais l’auteur relève un véritable fétichisme de cet organe pourtant soumis à l’attraction terrestre et voué à l’humble culte des puissances telluriques. À la poursuite du ballon, cependant, petits et grands ponts, ailes de pigeon, reprises de volée, ciseaux retournés, scorpions et autres figures aériennes le libèrent de sa fonction première et ouvrent des horizons célestes à ses envolées. Prendre son pied, l’expression dégage sa forte connotation sexuelle et lorsque le pied et le ballon s’entendent à faire trembler les filets, elle prend tout son sens.
C’est dans cette équation paradoxale que réside, selon l’anthropologue, le caractère érotique de la performance. Le ballon par définition volatile et indomptable en proie aux assauts de la partie la plus basse, la plus terrienne de notre anatomie, telle serait la source de l’énergie pulsionnelle déclenchant la catharsis dans l’incandescence des figures souples du désir. Face au symbole phallique représenté par le pied, le ballon parfaitement sphérique renvoie à l’imaginaire féminin. Au Brésil, les amateurs ne s’y trompent pas, qui lui attribuent des petits noms comme ménine, grassouillette ou gamine… En tout cas c’est lorsqu’elle s’est retrouvée comme on dit trivialement « en cloque » que cette évidence lui est apparue. D’où l’idée d’apparenter le match de football à un rituel de fécondation. D’où aussi la perlaboration qui aboutit sous nos yeux de lecteurs indécents à toute une série d’impudiques analogies où les lobs, les roulettes, les talonnades, sans compter le coup-du-crapaud*, apparaissent comme des équivalents symboliques de l’accouplement.
Beatriz Vélez évoque également la plastique avantageuse des dieux du stade et le lyrisme des corps qui semble convoquer dans la même arène Mars et Éros réconciliés. Simuler d’un seul mouvement la guerre et l’amour, cela peut se faire en deux temps : d’abord la progression sur le terrain – je cite « lumineuse, solaire, cosmique et patriarcale », à quoi succède le but – je cite encore « régression à un état fusionnel » défini comme « tellurique, lunaire et primordial ». Pas de doute là-dessus, après avoir lu ce livre vous n’irez plus jamais voir un match de foot de la même manière…
*Coup-du-crapaud : passer ses adversaires en sautant avec le ballon entre ses jambes…