Tahiti, une histoire de foot
17 juin 2013 à 10:51
Les amateurs polynésiens disputent la Coupe des confédérations au Brésil. En espérant seulement ne pas être ridicules.
Par GILLES DHERS
Choc des cultures en perspective. Ils pratiquent le même sport, mais ne jouent pas dans le même monde. Jeudi, à Rio, dans un stade Maracana qui est pour un footballeur ce que la basilique Saint-Pierre de Rome est pour une bigote, une bande d’amateurs va se colleter avec une armada d’Espagnols, double champions d’Europe et champions du monde en titre. Ils s’appellent Teheivarii Ludivion, Alvin, Lorenzo et Jonathan Theau (trois frères, dont les deux premiers sont jumeaux), ou Heimano Bourebare,
ils sont profs de gym, comptable, archiviste, chauffeur-livreur, ou alpinistes (ouvrier spécialisé dans les constructions en hauteur). Ils viennent d’un « pays » plus réputés pour ses hommes forts et ses vahinés mais ces footballeurs n’ont pas volé leur place pour la Coupe des Confédérations, que le Brésil accueille actuellement, sorte de répétition générale, un an avant la coupe du monde que le pays accueillera en juin 2014.
S’ils sont là, les Tahitiens le doivent à leur victoire dans le tournoi qualificatif qui leur a octroyé le titre de champion d’Océanie, lequel a échappé pour la première fois à l’un des deux géants du continent : la Nouvelle-Zélande et l’Australie (qui depuis 2006 a demandé l’asile footballistique à la confédération asiatique). Vainqueur en finale de la Nouvelle-Calédonie (qui avait préalablement sorti la Nouvelle-Zélande, pourtant qualifiée pour le Mondial 2010), voilà donc l’équipe de Tahiti — 138e au classement Fifa, à laquelle elle est affiliée depuis 1990 — admise dans le grand monde: avant l’Espagne, elle affrontera le Nigeria, ce lundi soir. Dimanche, elle bouclera contre l'Uruguay (1) la première apparition d’une île du Pacifique à ce niveau (on ne prend guère de risques en pronostiquant que les Tahitiens ne finiront pas dans les deux premiers de leur groupe et ne disputeront donc pas les demi-finales).
Guerriers de fer
En attendant, les Toa Aito (guerriers de fer, en tahitien) espèrent qu’ils n’encaisseront pas une brouetté de buts et que l’un des frères Theau (à eux trois, ils ont marqué 13 des 18 pions de leur équipe dans le tournoi qualificatif), en plantera un. Pour l’honneur. La branlée (7-0) reçue en match de préparation contre l’équipe chilienne des moins de 20 ans, a vacciné contre un très-très improbable excès de confiance, une équipe dont le niveau tourne autour de la cinquième division française et qui ne compte dans ses rangs qu’un seul professionnel, Maharama Vahirua, 33 ans, ancien joueur de Nantes, Nice, Nancy, Monaco et qui évoluait la saison dernière en Grèce, au Panthrakikós de Komotiní . Lui qui a connu quelques sélections en équipe de France espoirs, s’était promis de porter le maillot de son pays avant la fin de sa carrière. Il le fera ce soir pour la première fois, brassard de capitaine en prime. Son discours pour motiver ses coéquipiers?, il l’expliquait dans l’Equipe dimanche: « Dans deux semaines, vous retournez au boulot, alors savourez. »

Pour l’heure, les Tahitiens découvrent le foot business: les hôtels de luxe, les conférences de presse obligatoires, les mesures de sécurité, les tenues que l’équipementier Nike leur a fournies... « Des journalistes brésiliens me disent que c’est la première fois que ce sont eux qui sont photographiés par des footballeurs, et pas l’inverse », raconte un membre de la délégation. « L’ambiance est très détendue, voire folklorique, par rapport à tout ce que j’ai connu », expliquait Vahirua dans l’Equipe. Le confort est en tous les cas fort différent de ce que connaissent habituellement les footballeurs polynésiens.
En transit à Auckland dans un voyage pour les iles Salomon, les joueurs tahitiens ont dû dormir à même le sol de l’aéroport. Leur fédération n’avait pas les moyens de leur offrir une nuit d’hôtel.Du gazon et du sable
Car si le foot est le sport le plus pratiqué à Tahiti, il n’est pas le plus populaire en termes d’audience, donc de sponsoring. Et l’épopée des Toa Aito ne provoque pas plus d’émotion que ça en Polynésie. « Beaucoup de gens sont surpris de découvrir que nous jouons au foot sur du gazon, et pas seulement, pieds nus sur le sable, pour le fun », dit Henri Thierry Ariiotima, président de la Fédération tahitienne, qui organisera en septembre la coupe du monde de beach soccer. « Mais je dois démentir une rumeur, précise-t-il. J’ai lu que certains des joueurs qui participent à la Coupe des confédérations disputeront également la coupe du monde de beach soccer. C’est faux, nous avons de plages formidables à Tahiti. Mais ces types qui sont au Brésil préfèrent jouer sur de l’herbe. »
La sélection tahitienne attire attire moins de 500 spectateurs pour ses matches à domicile. Jeudi, il devrait y en avoir plus de 50 000 au Maracana. Pour préparer ses joueurs, le coach Eddy Etaeta (photo AFP), leur a concocté une séance spéciale. Dans une salle, il leur a diffusé plein pot la bande son d’un match de foot: spectateurs hurlant leurs encouragements ou beuglant leur hostilité. Au mur, il avait punaisé de posters d’Iniesta (le milieu de terrain espagnol) ou de Forlan (l’attaquant uruguayen); et il martelait à ses gars: « Allez-y, regardez-les et prenez-les en photo aujourd’hui, parce que ce n’est pas le jour du match qu’il faudra le faire.»
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