par fernando » 17 Mai 2016, 17:23
17 mai 2016, par Jérôme Latta
L’ibrahimovite, maladie infantile du PSG
L'arrivée de Zlatan Ibrahimovic à Paris avait donné le ton de l'ensemble de son œuvre dans la capitale, avec sa présentation à la mi-juillet 2012 devant la Tour Eiffel. "Arrivé comme roi", s'est rappelé l'intéressé vendredi en annonçant son dernier match au Parc des princes. Cette déférence se mesure toutefois moins aux égards alors réservés par son employeur qu'à la dévotion que lui accordèrent d'emblée la majeure partie des médias spécialisés. À l'emploi systématique des diminutifs "Zlatan" et "Ibra" s'est ajoutée la conjugaison du verbe "zlataner" à la moindre occasion (lire "Naissance de l'Ibrahimovix").
EMBARRASSANTE CÉRÉMONIE D'ADIEUX
Des gestes exceptionnels venaient régulièrement entretenir cette excitation et l'idée que le joueur est d'une espèce singulière, un peu comme le personnage d'un film ou un super-héros de bande dessinée. Il y a aussi eu l'expression d'un complexe français, dans un pays qui se voit comme une province de plus en plus éloignée de l'élite européenne, et qui s'honore un peu servilement qu'une star prenne ses quartiers chez lui [1]. S'il ne fallait pas bouder le plaisir de voir Ibrahimovic jouer, l'admiration à son égard a souvent tourné à l'idolâtrie puérile (dont on peut même penser qu'elle ne rendait pas bien justice au footballeur).
Les adieux au Parc des Princes ont ainsi tenu de la parodie, suivant une règle du genre : encore crédible au départ et de plus en plus invraisemblable ensuite. Le joueur en avait donné le coup d'envoi, avec le tweet "Arrivé comme un roi, je repars comme une légende", ne laissant à personne d'autre le soin d'annoncer son départ – mais laissant au club celui d'organiser la cérémonie. Si la haie d’honneur formée par les joueurs à son entrée sur le terrain pouvait déjà paraître un peu appuyée, l'interruption du match à la 10e minute (10 comme son numéro) pour le gratifier d'une ovation a suscité une certaine gêne. Enfin, sa sortie du terrain avant la fin du match, en laissant ses coéquipiers à dix (!) et l'entrée de ses enfants sur le pelouse (!!) avec des maillots floqués King et Legend témoigna d'un franc mépris pour la compétition.
UNE SCÈNE POUR BRILLER
Mais voilà : auparavant, l'homme avait soigné cette "légende" en marquant un doublé lui permettant d'égaler puis de dépasser le record de buts inscrits par un Parisien en championnat – détenu par Carlos Bianchi et porté à 38. Ibrahimovic fait partie de ces joueurs qui ont particulièrement su manager leur propre image et être les metteurs en scène de leur carrière. En prenant soin de marquer les esprits, notamment en offrant des moments exceptionnels et en décrochant des records à même de faire oublier des périodes plus difficiles ou d'embellir un bilan ambivalent [2]. Ainsi l'échec d'une progression en Ligue des champions sera-t-il plus attribué au club qu'à lui, bien qu'il ait peiné à tirer l'équipe vers le haut dans cette compétition.
Le choix de carrière d'Ibrahimovic avait suscité quelques doutes sur sa pertinence sportive et quelques commentaires sur sa motivation, jugée essentiellement financière [3]. En réalité, il s'est avéré d'une totale justesse. Le joueur a fait de son ego non pas un handicap mais un fonds de commerce, une marque personnelle mise en avant avec insistance et sans craindre la caricature. Club jeune dans l'hyper-élite, le PSG lui a laissé tout l'espace nécessaire, quitte à restreindre les prérogatives de l'entraîneur – qui voyait la feuille de match pré-remplie avec le nom de l'attaquant. Quelle autre équipe, parmi celles prétendant au dernier carré de la Ligue des champions, aurait pu lui abandonner la scène à ce point ? Il a en tout cas pu y exprimer tout son génie – footballistique et médiatique – au risque de laisser croire qu'il était un trop grand showman pour être un très grand footballeur.
LA MÉMOIRE COURTE DU PSG
S'il faut éviter de prendre au premier degré les provocations mégalomaniaques du joueur (même si l'on peut parfois suspecter qu'elles aient été émises ainsi), certaines ont reflété la conception de ses dirigeants : en substance, le PSG n'existait pas avant eux, avant lui. C'est historiquement faux, comme il est faux de penser que le club n'a jamais accueilli d'autres stars. Simplement, leur statut était très différent. Mustapha Dahleb, Carlos Bianchi ou Safet Susic en étaient, mais à une époque où la starification des joueurs était considérablement moins hystérique qu'aujourd'hui. D'autres comme Ronaldinho ou Weah ont marqué les ères suivantes, mais Paris a été une étape plus qu'un aboutissement dans leurs carrières. Aucun n'a été placé à ce point au centre du projet.
Au cours de la cérémonie pour le titre de champion, après la rencontre, le président Nasser El-Khelaïfi oublia d'annoncer qu'une tribune prendrait prochainement le nom de l'international suédois. Le geste résume peut-être mieux que les autres l'étroitesse de la perception historique des dirigeants actuels. À l'aune de ce que les uns et les autres ont accompli au sein du club, une figure comme Rai mériterait bien plus un tel honneur (à supposer que ce dernier ait un sens) – ne serait-ce que comme capitaine d'une équipe qui a atteint cinq fois de suite des demi-finales européennes, disputé deux finales et emporté l'une d'elles.
L'OCCASION D'UNE MUTATION
Ce geste est aussi le symptôme de l'immaturité de ces dirigeants, dont la politique peine à donner à l'institution la consistance dont elle a besoin [4]. L'enjeu est peut-être là pour le PSG : ne plus inféoder ses ambitions à celles d'un joueur, moins soigner sa vitrine que la boutique elle-même. Le club s'est mis au service de Zlatan Ibrahimovic au cours des quatre dernières saisons. Il le leur a bien rendu en justifiant l'essentiel de son statut sur le terrain. Ses statistiques phénoménales "parlent pour lui"… tant pis s'il y a encore dans cette expression le soupçon d'un égocentrisme excessif – perceptible dans sa poursuite des records individuels. Il était aussi là pour drainer une attention internationale dont il faut souligner qu'elle n'a pas seulement une portée symbolique, mais aussi une valeur économique : comme Beckham avant lui, mais plus durablement, Ibrahimovic a été profitable sur ce plan-là, afin d'asseoir une notoriété monétisable par le club.
Pour se rapprocher de ses objectifs, pour consolider des fondations encore fragiles et corriger une image ambiguë, le Paris Saint-Germain devra probablement modérer sa politique du casting au profit de la construction d'un effectif et d'un projet sportif placé au-dessus des individualités. Cela implique sans doute de faire venir plus de stars en devenir que de divas cannibales.
[1] À ce titre, Ibrahimovic incarne l'extra-territorialité du PSG, résumée cette saison par une hégémonie totale.
[2] Cette capacité à neutraliser ses détracteurs a été confirmée par une ultime saison qui, malgré une entame compliquée, restera comme sa meilleure à Paris.
[3] Le premier record battu par l'attaquant a été celui du salaire annuel, estimé à 14 millions d'euros.
[4] Sur ce plan, la politique d'exclusion des supporters historiques entraînant la "crise du public" dans un Parc des Princes apathique ont constitué des erreurs stratégiques majeures.
"L'alcool tue lentement. On s'en fout, on a le temps."