par fernando » 06 Juin 2016, 14:04
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Loi sur le travail: «Le gouvernement ne peut pas avoir raison tout seul»
6 juin 2016 | Par Rachida El Azzouzi
Tout en refusant de manifester, la CFE-CGC, le syndicat des cadres, rejoint le camp des opposants fermes et définitifs à la loi sur le travail. Entretien avec son nouveau président, François Hommeril, beaucoup plus tranché que sa prédécesseure, Carole Couvert.
François Hommeril, le nouveau président de la CFE-CGC, veut décoller l’étiquette « réformiste » qui caractérise aux yeux de beaucoup la confédération des cadres. « Les politiques nous maintiennent dans des cases caricaturales avec leur discours “ceux qui sont d’accord avec moi, sont réformistes”, un concept positif, les autres sont des contestataires, soit un concept négatif. C’est inacceptable ! », assène celui qui a succédé à Carole Couvert lors du congrès du syndicat de l’encadrement, à Lyon, les 1er et 2 juin derniers. Candidat malheureux en 2013 contre celle qui fut la première femme à diriger la centrale des cadres, François Hommeril, 55 ans en juillet, revendique « une troisième voie », « un syndicalisme militant, pas béni-oui-oui, qui fait des propositions et sait dire non quand cela s’impose ».
S’il compte s’inscrire dans les pas de sa prédécesseure, qui a su développer l’audience de l’organisation – premier syndicat chez Renault, Air France, deuxième à EDF, la CFE-CGC, qui revendique 160 000 adhérents, gagne du terrain dans les entreprises – ses prises de position s’annoncent nettement plus tranchées. « François sera beaucoup plus offensif que Carole », commente Alain Giffard, de la Fédération des finances et de la banque, qui devient secrétaire général, et le secondera avec Frank Zid, trésorier. Sur la loi sur le travail, François Hommeril est très clair. C’est une mauvaise loi. Et le gouvernement doit renvoyer son projet de réforme à la négociation entre syndicats et patronat.
« Le discours de François en a surpris plus d’un au congrès », raconte un président fédéral, « ravi de cette mise au clair ». Jusqu’à présent, la CFE-CGE, certes très critique sur le projet, se contentait de réclamer le retrait de quelques articles comme les “accords offensifs” et les référendums d’entreprise. « La CFE-CGC ne parle pas de retrait du texte, car ce serait “connoté CGT” mais elle est aujourd'hui assez proche dans ses revendications de la CGT qui a changé de ton et ne réclame plus le retrait du texte, se disant ouverte à la discussion, notamment sur quatre points majeurs de désaccord, les mêmes que la CFE-CGC : l'inversion de la hiérarchie des normes ; le périmètre des licenciements économiques ; l'instauration d'un référendum en cas d'accord minoritaire ; et la réforme de la médecine du travail », note un observateur du microcosme social.
« La CFE-CGC a toujours traîné les pieds et refusé le projet de loi sur le travail mais désormais, elle l’affirme beaucoup plus nettement. C’est un nouveau caillou dans la chaussure du gouvernement qui ne peut plus dire qu’il s’appuie sur une majorité syndicale dite “réformiste” », remarque Jean-Marie Pernot, le spécialiste des syndicats qui perçoit « une balkanisation du champ syndical »: « Nous ne sommes plus dans la configuration de 2008 avec deux pôles, d’un côté, la CFDT, de l’autre, la CGT et FO. Aujourd’hui, ce sont les petites organisations qui progressent, la CFE-CGC, l’Unsa. Si la CFDT ravit la première place aux élections professionnelles en 2017, ce sera plus à cause d’une érosion de la CGT que d'un progrès de la CFDT. »
Géologue de formation, François Hommeril se dit « très indépendant sur le plan politique » et traîne des décennies de militantisme syndical à la CFE-CGC. Il a fait toute sa carrière dans le privé, au sein du groupe Pechiney, au centre de recherches sur l'aluminium de Gardanne (Bouches-du-Rhône), puis sur le site de La Bathie, en Savoie. Délégué de site, délégué central, représentant au comité de groupe, président d’une union départementale CFE-CGC…, il a gravi tous les échelons du syndicalisme. Lors du rachat de Pechiney par le canadien Alcan en 2003, puis d'Alcan par l'américain Rio Tinto en 2007, il était chargé des négociations côté salariés. « Le militantisme ne m'a apporté que des emmerdes mais si c'était à refaire, je le referais car la société industrielle est devenue d'une cruauté et d'une injustice inégalées, la subir sans rien dire m'est insupportable et le syndicalisme m'a rendu à la condition d'acteur dans un monde à la dérive sur le plan social », déclarait-il à l’AFP avant le congrès. Entretien.
Le gouvernement refuse de faire marche arrière sur la loi sur le travail. « Reculer serait une faute politique », dit Manuel Valls. Que vous inspire sa stratégie ?
La position du gouvernement n’est plus tenable. Il ne peut pas dans ce pays avoir raison tout seul contre tous. Nous sommes dans une impasse dont il ne pourra pas sortir. Il doit avoir le courage politique de mettre de côté ce projet et de le renvoyer à la négociation entre partenaires sociaux. Il peut et il doit mettre en suspension le processus parlementaire.
C’est un changement de cap notable par rapport à votre prédécesseure qui demandait le retrait de quelques articles. Vous rejoignez la CGT et FO dans le camp des opposants à la loi sur le travail qui devient ainsi majoritaire…
La CFE-CGC a toujours été opposée à la loi sur le travail. Nous ne l’avons jamais défendue, au contraire de la CFDT ou la CFTC. Dès le début, nous avons affiché notre opposition car cette loi, qui équivaut à dix négociations interprofessionnelles, n’est pas une bonne loi. Pour deux raisons. Trop de mesures sont des régressions sociales. Je ne vais pas rentrer dans le détail, car à mon avis, ce n’est plus le sujet aujourd’hui. L’autre raison porte sur la façon dont elle a été proposée sans aucun processus de concertation avec les partenaires sociaux. Et c’est d’ailleurs l’une des raisons principales de l’échec total du gouvernement à la faire accepter : il a créé les conditions d’un désordre social et politique. Notre position n’a donc jamais changé. Ce qui a changé, c’est le contexte. On a joué le jeu des institutions parlementaires, des amendements, de la démocratie mais l’usage du 49-3 par le gouvernement a modifié la donne.
Face au passage en force du gouvernement, pourquoi n’êtes-vous alors pas dans la rue, partie prenante du mouvement social ? Votre place n’est-elle pas là, pour peser dans le rapport de force et vous faire entendre, quand bien même manifester ne serait pas dans votre ADN ?
Le congrès vient de se terminer. On ne peut décider d’une ligne aussi tranchée et engageante si elle n’est pas validée, en interne, par nos militants et nos instances. Et comme vous le rappelez, ce n’est pas dans l’ADN non plus de notre organisation, même si cela nous est déjà arrivé de descendre dans la rue pour les retraites, le temps de travail.
Le paysage syndical est polarisé avec d’un côté, la CFDT et de l’autre, la CGT et FO. Vous, vous revendiquez une « troisième voie », un réformisme militant capable de proposer mais aussi de dire non. Mais vous n'êtes pas très audible…
La division syndicale est organisée par nos gouvernements. Même si dans nos fondements, nous sommes un syndicat pragmatique, engagé à travailler, à discuter, à collaborer pour porter des réformes dans une démarche de progrès social, nous ne sommes pas un syndicat assigné à résidence dans un camp ou dans l’autre. Ce sont les politiques qui nous maintiennent dans des cases caricaturales avec leur discours “ceux qui sont d’accord avec moi sont réformistes”, un concept positif, les autres sont des contestataires, soit un concept négatif. C’est inacceptable ! Et je décolle l’étiquette de réformiste qu’ils nous collent. La réforme, ce n’est pas le moins-disant social !
Comme la CGT qui ne réclame désormais plus le retrait du texte mais le retrait des mesures les plus régressives, vous êtes opposé à ce qui, aux yeux du gouvernement, constitue le cœur de la réforme : l'article 2, qui inverse la hiérarchie des normes et donne la primauté aux accords d'entreprise. Un article que la CFDT défend bec et ongles et estime « porteur de progrès »…
Pourquoi l’un des principaux syndicats patronaux, la CGPME [représentant patronal des PME – ndlr], est-il vent debout contre l’article 2 ? Pour des raisons qui recoupent assez bien les nôtres ou encore celles de Force Ouvrière. La manière dont cette inversion de la hiérarchie des normes est organisée dans la loi, c’est la porte très grande ouverte au dumping social et à la concurrence déloyale entre entreprises. Nous sommes pour favoriser la négociation au plus près des entreprises. Elle existe déjà. Des milliers d’accords sont signés chaque année. Nous voulons bien ouvrir un peu plus grand la porte de la négociation d’entreprise mais pas comme cela. Ici, c’est un retour en arrière qui fera que les garanties sociales offertes par les branches aux entreprises des petites et moyennes entreprises vont sauter sous la pression des donneurs d’ordres des services achats des grandes entreprises. Tout le monde le sait.
On ne peut pas importer des bouts de modèles d’autres pays qui seraient soi-disant plus performants. Aussi, il n’y a rien dans cette loi qui en quelques mois aura un effet positif sur l’emploi. Et c’est ça quand même le sujet. Cette loi qu’ils appellent “loi travail” est un catalogue de vieilles méthodes néolibérales qui ont toutes prouvé leur insignifiance et leur inutilité sur le plan économique. Il ne faut pas oublier qu’elle est inspirée en grande partie des injonctions de la commission européenne qui impose aux États membres de libéraliser un certain nombre de dispositions réglementaires notamment en matière de droit du travail.
Quel regard portez-vous sur ces quatre mois de mobilisation sociale, de grèves et de manifestations où les opposants à la loi sur le travail sont désormais dépeints par le patronat et une partie de la classe politique comme des « voyous », « terroristes », « preneurs d’otages » ?
Je reconnais que c’est un peu “la merde” dans le pays mais je n’ai pas à juger les autres organisations syndicales dans leurs modes d’actions comme je ne critiquerai jamais le droit constitutionnel de grève. Nous, nous ne sommes pas trop favorables aux blocages car ils peuvent avoir des conséquences économiques et sociales extrêmement dommageables. Mais la violence initiale, c’est la violence économique.
Véhicules de police chargeant un cortège, manifestants grièvement blessés, journalistes matraqués… Il est devenu très dangereux aujourd’hui de manifester en France son opposition à la loi sur le travail du fait des violences policières.
Je vous interromps car je suis gêné pour intervenir sur ce point particulier. Ce qui est sûr, pour en avoir discuté avec mes collègues, c’est que les ordres émanant des préfectures ne sont pas vraiment lisibles, souvent contradictoires et étonnants. En soutien au syndicat Alliance, affilié à la CFE-CGC [et classé à droite, à l’origine de la manifestation contre « les violences anti-flics » le 18 mai dernier], je voudrais poser aussi la question des conditions de travail des agents. Ils se retrouvent avec un tel état de fatigue et d’injonctions paradoxales que cela peut conduire à des dérapages.
La CFE-CGC n’a pas lavé de linge sale à la tribune du congrès mais ce n’était pas pour autant un congrès d’union…
Ah si si, c’était très perceptible. Vous allez dire que je fais dans la langue de bois mais il y avait dans ce congrès la sensation, l’émotion que l’organisation était très rassemblée.
Tout le monde s’est levé pour applaudir votre discours très tranché et sans ambiguïté sur la loi sur le travail ?
Tout le monde était satisfait. Et je l’ai vérifié en faisant un tour des tables, à l’heure du gala.
Carole Couvert a été désavouée par sa fédération de l’énergie et n’a pu se représenter pour un deuxième mandat. Elle avait été élue en 2013 après d’âpres querelles internes. Vous étiez d’ailleurs candidat contre elle, soutenu par la puissante fédération de la métallurgie. Cette bataille n’a-t-elle pas laissé de stigmates ?
L’organisation est parfaitement soudée. Carole n’était pas en situation de se représenter. Si elle l’avait pu, je l’aurais soutenue mais sa fédération d’origine était contre. Je ne peux commenter les raisons car je ne les connais pas.
Carole Couvert, à laquelle vous succédez, était la première femme à diriger la CFE-CGC. Aujourd’hui, quand on regarde le nouveau bureau national exécutif, il est quasi exclusivement masculin. Où sont les femmes alors que la loi dite Rebsamen sur le dialogue social oblige à la parité à partir de 2017…
C’est un problème, vous avez raison, que nous n’avons pas réglé comme la représentation des jeunes. 31 % de nos adhérents sont des femmes. On devrait donc au moins avoir 31 % de femmes dans les instances exécutives. Nous allons faire des propositions pour aller dans ce sens-là et être représentatif de notre corps social. D’autres organisations comme la CFDT ont su empoigner la problématique et avancer sur le sujet mais cela a pris du temps.
Votre ambition est de devenir la troisième force syndicale du pays après la CGT et la CFDT. Comment allez-vous vous y prendre sachant que vous êtes un syndicat catégoriel qui ne syndique que les cadres, techniciens et agents de maîtrise ?
Le développement est largement dans nos moyens et au centre de notre programme. Les cadres, techniciens et agents de maîtrise représentent une audience très importante dans le monde du travail. Un accent particulier doit être mis sur la visibilité de notre organisation et la lisibilité de nos propositions.
"L'alcool tue lentement. On s'en fout, on a le temps."