par fernando » 20 Juin 2013, 12:06
Fortes amplitudes.
Affaire Tapie : les enquêteurs ouvrent le front des comptes de l'OM
Nouveaux soupçons sur l'arbitre Pierre Estoup, au cœur de l'affaire Tapie. L'ancien président de la cour d'appel de Versailles est mis en examen pour "escroquerie en bande organisée" dans le dossier de l'arbitrage qui a permis à l'homme d'affaires d'obtenir 403 millions d'euros en 2008 pour solder son litige avec le Crédit lyonnais. Les enquêteurs le suspectent maintenant d'être déjà intervenu en faveur de Bernard Tapie, en juin 1998, lors du procès en appel des comptes de l'Olympique de Marseille. Il aurait tenté d'influencer le président du tribunal.
Le 30 juin 1998, Bernard Tapie adresse un exemplaire de son ouvrage, Librement, à Pierre Estoup. Une phrase de la dédicace rédigée par l'homme d'affaires intrigue plus particulièrement les policiers : "Votre soutien a changé le cours de mon destin." Comment, dix ans avant l'arbitrage Tapie, Pierre Estoup a-t-il pu influer sur la destinée de l'homme d'affaires ?
Les policiers se souviennent alors qu'en juin 1998 Bernard Tapie est empêtré dans l'affaire des comptes de l'OM. En première instance, le 4 juillet 1997, le tribunal de Marseille lui a infligé trois ans de prison dont dix-huit mois ferme, pour faux et usage de faux, complicité d'abus de confiance et d'abus de biens sociaux. En appel, l'avocat général requiert quatre ans de prison ferme, dont deux ans avec sursis, à l'encontre de l'homme d'affaires. L'avenir s'annonce sombre.
Mais le 4 juin 1998, la cinquième chambre correctionnelle de la cour d'appel d'Aix-en-Provence rend un arrêt condamnant M. Tapie à trois ans d'emprisonnement avec sursis, à une peine d'amende de 300 000 francs et à cinq ans de privation de droits civiques. Les réquisitions de l'avocat général n'ont pas été suivies par le président du tribunal, Franck Lapeyrère. L'homme d'affaires évite la prison et quitte le palais de justice, le sourire aux lèvres, avec pour seule réaction : "Trop heureux pour avoir envie de dire autre chose..."
RENCONTRE AU TRIBUNAL
Quinze ans après, les enquêteurs essaient de comprendre. La dédicace de Bernard Tapie à Pierre Estoup en tête, ils se rendent à Marseille. Ils savent que Franck Lapeyrère, qui a pris sa retraite de magistrat, a longtemps fréquenté Pierre Estoup. L'ancien président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence confirme ces liens, sur procès-verbal, le 10 juin : "C'est M. Estoup qui m'a proposé au grade de vice-président une année après mon arrivée à Nancy", se souvient-il. A l'époque, en 1984, M. Estoup est président de la cour d'appel de Nancy. Les deux hommes sympathisent. Même si, prend soin de préciser M. Lapeyrère : "Je n'ai jamais fréquenté M. Estoup en dehors de ma vie professionnelle." Les deux magistrats, ensuite, se perdent de vue, en dehors d'une rencontre au tribunal de Marseille, en 1991.
Sept ans plus tard, M. Lapeyrère préside le procès des comptes de l'OM. "Qui a rédigé l'arrêt ?", questionnent les policiers. "C'est moi", dit le juge, qui confie : "Nous avions décidé d'infirmer le jugement sur la question de la détention. Il n'y avait pas lieu à de la prison ferme, car il n'y avait pas eu d'enrichissement personnel (...) M. Tapie avait été très soulagé à l'annonce du jugement."
L'homme d'affaires a-t-il tenté d'influer sur le cours de la justice ? C'est le soupçon des enquêteurs, qui se fondent sur les révélations de M. Lapeyrère. "M. Estoup a essayé de me voir avant que l'affaire ne vienne à l'audience et après que l'arrêt ait été rendu (...) Je n'étais pas dans mon bureau, je devais être en audience les deux fois. Ceci m'a été rapporté par le greffe de la chambre."
RENCONTRE EN PRISON
MM. Estoup et Lapeyrère n'ont pas donné suite aux sollicitations du Monde. Mais, en 1998 – c'est établi dans le dossier judiciaire –, M. Estoup travaille déjà pour M. Tapie, par l'intermédiaire de l'avocat de l'homme d'affaires, Me Francis Chouraqui, à qui il facture des honoraires depuis 1997. Les enquêteurs ont saisi un courrier de Me Chouraqui ayant pour objet l'homme d'affaires André Guelfi, dit "Dédé la Sardine", un intermédiaire associé un temps à Bernard Tapie. Les deux hommes se sont connus à la prison de la Santé, au printemps 1997.
Dans ce courrier, Me Chouraqui remercie M. Estoup pour son intervention dans le dossier Guelfi. Donc, pour les policiers, M. Estoup, proche du camp Tapie, aurait très bien pu user de son influence auprès de son ancien collègue, M. Lapeyrère, pour épargner à l'homme d'affaires de la prison ferme. "Je ne savais pas qu'il connaissait Tapie, argumente M. Lapeyrère, je pensais qu'il venait me dire bonjour en tant que collègue..."
L'affaire de la dédicace laisse perplexe l'ancien magistrat. "La concomitance de date et de ses visites m'ont laissé penser que Pierre Estoup avait pu dire à Tapie qu'il m'avait vu. Si M. Estoup a pu dire à M. Tapie que c'était grâce à lui qu'il ne retournait pas en prison, il lui a menti. En tout cas, à moi, Tapie n'a pas envoyé de livre..."
Interrogé par Le Monde, M. Tapie a déclaré : "C'est du délire, c'est faux de A à Z. La dédicace à Estoup n'avait rien à voir avec ce jugement de juin 1998." Il jure n'être "jamais intervenu auprès du président du tribunal". "Maintenant, ajoute-t-il, si Pierre Estoup, sciemment ou par hasard, a abordé ce magistrat, je ne suis au courant de rien, et ce sera à la justice de dire s'il en avait le droit ou pas." M. Tapie conclut : "De toute façon, à l'époque, mon avocat m'avait dit à propos de Lapeyrère : "Il est intraitable, donc toute intervention sera de nature à te compliquer les choses."
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