Laurent Chalumeau dans Libé a écrit:Affaire du Crédit lyonnais : nouveau rôle, même Nanar Tapie baratine et fascine. Des plateaux télé des années 80 à la barre du tribunal, mercredi, il n’a rien perdu de son talent.Salle d’audience 2-01, TGI de Paris, suite de l’audition de Bernard Tapie : «Alors pardon Madame la présidente, le Lyonnais m’avait fait ma fête, j’allais pas en prime m’appuyer leur ardoise.» Rires. «Le Lyonnais m’avait fait ma fête.» On est chez Olivier Marchal. Plus loin : madame la présidente, «scusez, mais quand on connaît Sarkozy [on sent le "zy" in extremis. A ça de dire "Sarko"], on se doute c’est pas comme ça que ça a pu se passer». Rires. La présidente, Christine Mée, n’en peut mais. C’est le Nanar comédie club. Quand ça rigole, il se tourne vers son public. Chaque fois, la dame en noir intime : «Adressez-vous au tribunal.»
Il a mis une cravate. Ses maux l’ont aminci. Il ne se teint plus les crins, sans qu’on sache à ce stade si le panache devenu blanc tend à apitoyer sur le crabe qui le ronge ou à lui faire une gueule ricaine : Clooney ou Richard Gere. En tout cas, il est beau. Et au bout d’un quart d’heure, le diesel s’est chauffé, le verbe est là : la grammaire se déboutonne le chemisier, la diction se faubourise. C’est du nanan. C’est du Nanar.
Crapulerie.Un nanar, chacun sait, c’est une série B, un mauvais film, un film de genre. Sauf que, dans une série, on n’oserait pas. Peur que le public rechigne à tant d’invraisemblance. Pense un peu : on aurait d’abord «Nanar chanteur yéyé». Puis «Nanar entreprend», Nanar dans les affaires (sans guillemets pour l’instant). Puis «fait de la politique». Député et ministre de (main basse sur) la ville. Nanar sportif : Tour de France, Olympique de Marseille. Le foot. Joué comme ça se joue. En respectant les règles, les vraies, les non écrites. Du coup, pas glop, «Nanar fait du placard». Puis du cinéma (avec Lelouch. Who else ?). Puis de la scène. Et, coup de théâtre, justement, gagne son arbitrage. Puis reperd. Et chaque fois, trompe la mort. Revient au score. Tout ça en une seule vie. Beaucoup pour un seul homme. Seule absence au tableau, «Nanar et ses drôles de dames». Pas de candidates de télé-réalité ou des mannequins chanteuses. Il est vrai qu’au figuré, il aura vaseliné tellement de monde dans sa vie qu’il peut se dispenser de trop enfiler au propre (si l’on ose dire).
Mais le rôle de sa vie, c’est Nanar se rebiffe : Nanar contre le gang du Lyonnais. Outré d’être tombé sur plus impudent que lui : l’establishment, l’Etat. Et ça, lui, trop de crapulerie, en expert, ça le révulse. Et il prend l’opinion, le contribuable, à témoin. Chacun choisit son camp et ce faisant se révèle. Nanar scissionne la France : impossible à aimer, certes. Trop de gens mis au chomedu pendant qu’il s’achetait un yacht. Mais impossible à détester. On pardonne au luron. Lui au moins ne prétend pas.
Incongruité.Au départ, les Arnault et Pinault ne sentent pas meilleur que lui, mais ils ont engagé des parfumeurs-conseil. Nanar assume l’aisselle qui vaune. Ça peut rendre sympatoche. Aussi, les saignements de rectum que sa seule existence provoque au plus dur des noyaux stipendieurs baladuriens de l’«Auto», du «Siècle» et de l’«Interallié». Tant qu’on ne pose pas la question aux licenciés des boîtes qu’il a saignées, (N)anar, c’est les trois Pieds nickelés faits homme. De même, on se souvient qu’à la télé, c’est le seul à faire fermer sa gueule au Borgne (mode «si t’es pas content, on sort»). Dans le cloaque de la mitterrandie, du reste, son incongruité avait quelque chose de capraesque, l’innocence de James Steward en moins. Le monarque, docteur en vilenie, ne s’y était pas trompé. Un homme qui aura provoqué tant de calculs rénaux rue de Solferino ne peut pas avoir que des défauts.
Plus deux et je retiens un : entre Nanar et «le Lyonnais», entre un filou solo et la froide amoralité institutionnelle d’une banque «en-île-caïmannée» jusqu’à la moelle du fion, tu préféreras toujours le Milord l’arsouille individuel.
Mercredi au tribunal, Nanar était sa marionnette (à ses obsèques, qui ne seront pas nationales, il faudra jouer l’hymne que lui a consacré la troïka Guignols fondatrice, Gaccio, Halin et Delépine : «la combine à Nanar»), mais en plus beau. En vrai.
Comme Johnny, autre marqueur franchouille atteint de polymorphie, nos plus belles années ont toutes en elles quelque chose de Tapie. Fric, foot, flambe, fraude. Et honni soit qui bien y pense. Le franc-parler est l’arme chimique de ce baratineur compulsif. Nanar est un mensonge permanent qui dit la vérité dérangeante sur ses diverses périodes. Nanar, film(s) de genre(s). Nanar, super feuilleton, n’en déplaise à son nom.
https://www.liberation.fr/france/2019/0 ... ar_1714923