par fernando » 31 Jan 2017, 21:27
La campagne de calomnies continue
A Sablé-sur-Sarthe: «Tant qu'à ne rien faire, autant être bien payé!»
À Sablé-sur-Sarthe, élus et habitants sont sous le choc des révélations sur l'emploi hautement rémunéré de Penelope Fillon, plus connue comme « la femme du maire qui ne travaille pas ». Et personne ne se souvient d'une quelconque activité politique de l'épouse de l'ex-premier ministre.
Sablé-sur-Sarthe (Sarthe), envoyé spécial.– Le choc des révélations a laissé le fief de François Fillon sans voix. À Sablé-sur-Sarthe, même Vanessa Charbonneau, l'étoile montante de la droite locale, en a perdu sa verve. Ancienne directrice de cabinet de François Fillon à la communauté de communes, ex-attachée parlementaire de Marc Joulaud à l’Assemblée nationale, devenue vice-présidente de la Région Pays de la Loire en 2015, Vanessa Charbonneau fait à l’évidence partie de celles et ceux qui connaissent le mieux le système Fillon de l’intérieur.
Alors quand on lui parle de l’affaire qui secoue le pays depuis plusieurs jours, Charbonneau se fait économe en mots. « Bien sûr que Penelope était avec nous. On travaille en équipe ici, vous savez ? », explique-t-elle à la sortie d’un concert samedi soir. Quelles tâches effectuait la femme de l’ancien premier ministre ? « Je ne peux pas vous répondre », évacue l’élue d’un sourire gêné.
Si la nouvelle responsable départementale des Républicains ne se risque pas à en dire plus, c’est que les explications sur les fonctions politiques de Penelope Fillon n’ont ici convaincu que peu de monde. Très peu, même. « Honnêtement, personne à Sablé ne croit que Penelope ait pu travailler pour son mari », explique une commerçante du centre, qui n’entend parler que de cette affaire depuis une semaine.
Loin de l’image d’un candidat cassant qui rêve de supprimer 500 000 fonctionnaires, François Fillon a su construire ici, au fil des décennies, une image d’homme rassembleur, droit et surtout intègre. Sa « base arrière » ou son « nid » le lui a bien rendu, en le faisant maire de 1983 à 2001, conseiller général de 1981 à 1998, conseiller régional de 1998 à 2007, sénateur de 2004 à 2007, député de 1981 à 2007 (hors fonctions ministérielles) et président de la communauté de communes de 2001 à 2012. Loin des joutes électorales de son mari, Penelope Fillon est toujours apparue comme une discrète femme au foyer, désintéressée de la politique.
Daniel Chevalier, maire LR de la commune voisine de Juigné, vice-président de l’intercommunalité et conseiller départemental, a ainsi pensé bien faire en déclarant dans les médias locaux, au lendemain de la publication du Canard enchaîné, avoir « découvert [l’emploi de Penelope Fillon] dans la presse ». « Personnellement, je n'ai jamais eu affaire à elle dans un cadre politique. Mais en même temps je ne pouvais pas la solliciter puisque je ne savais pas », dit-il. Sans s’en rendre compte, Daniel Chevalier a pourtant ruiné en deux phrases les explications de l’ancien premier ministre sur le rôle essentiel de sa femme à ses côtés.
C’est aussi de bonne foi que Martine Crnkovic, également vice-présidente de l'intercommunalité de Sablé et conseillère départementale LR, en a remis une couche dans Ouest-France : « Je n’ai jamais eu affaire à Penelope Fillon comme attachée parlementaire de Marc Joulaud ou François Fillon. […] Je suis un peu perdue. »
Sortie de la messe dans la commune voisine de Solesmes, dimanche 29 janvier. Sortie de la messe dans la commune voisine de Solesmes, dimanche 29 janvier.
Les témoignages dans son sens sont d’ailleurs légion. Comme celui de cet ancien employé de mairie : « Je ne l’ai jamais vue travailler. La permanence parlementaire était pourtant à la mairie. Et puis quand Fillon dit qu’elle le représentait dans les associations… Mon œil ! » Une autre commerçante, qui fréquentait le couple Fillon quand leurs enfants allaient à l’école ensemble, ne dit pas autre chose : « Madame Fillon, c’était pour nous la femme du maire qui ne travaille pas. Elle s’occupait de ses enfants, de son jardin et de ses chevaux. On la voyait de temps en temps en bottes de fermière en ville, mais elle était très loin de la politique. »
Plus que les soupçons d’emploi fictif, cette quinquagénaire, sympathisante de droite, est surtout effrayée par le montant des rémunérations versées entre 1998 et 2007 à la femme de l’ancien premier ministre : « Pour un petit salaire, je ne dis pas… Quelques centaines d’euros par mois pour aider. Mais là, 500 000 euros. Tout le monde est abasourdi ! » Autre son de cloche, au bar-tabac Le Globe, le centre névralgique de la vie sabolienne le dimanche matin : « Tant qu'à ne rien faire, autant être bien payé ! », s’esclaffe un client devant son café noir.
Il n’y a finalement qu’à Solesmes, à quelques encablures de là, que d’irréductibles fillonistes contestent les informations parues dans la presse. Les Fillon y habitent un château depuis 1993 et après François de 2001 à 2014, Penelope siège discrètement au conseil municipal depuis 2014.
Après la messe suivie par une vingtaine de fidèles, le père Louis Soltner, curé de l’église du village qui jouxte la célèbre abbaye, n’a pas de mots assez durs contre cette presse qui ne pense qu’à « asséner des coups brutaux ». « Les Fillon ne vivent pas du tout dans le luxe. Tout est simple chez eux. Et tout le monde les soutient ici », jure le prêtre, avant de se lancer dans une longue démonstration sur le « pessimisme français ». Et de pressentir que « tout cela n’aura finalement pas de conséquence sur les élections ».
Les élus LR du coin ne se prêtent pas à de tels pronostics. La tendance est plutôt à faire profil bas, en espérant que la polémique les survole en faisant le moins de dégâts possible. L’un des poulains de Fillon, le maire Marc Joulaud, ancien député devenu parlementaire européen après avoir perdu son siège à l’Assemblée nationale contre Stéphane Le Foll en 2012, a carrément déserté sa mairie et sa ville depuis la semaine dernière. Dans le hall de l’hôtel de ville, son directeur de la communication retient les assauts continus des médias : « Monsieur le maire réserve ses explications à la justice. » Pas à ses administrés, donc. Et puis, il y aussi ce détail qui n’a échappé à personne dans cette commune de 12 000 habitants : Joulaud, qui a employé Penelope Fillon de 2007 à 2012, n’était pas au meeting de la Villette dimanche dernier.
Le silence les protège, pensent sans doute les fillonistes de la région. Mais la stratégie a aussi ses limites, même dans une ville qui a voté à près de 70 % à droite en 2014.
« Jusqu’à quand vont-ils refuser de nous parler ? » interroge ainsi un passant planté devant la mairie, tel un manant au pied d’un château. Les premières failles apparaissent aussi au sein de la droite locale. Comme avec Pierre, militant gaulliste de la première heure, au bord de la rupture. Sympathisant du Général en 68, encarté à droite depuis 81, celui qui figure parmi les membres fondateurs des Républicains – « parce que j’ai pris ma carte dans les 200 ou 300 premiers » – estime que les révélations successives sont désastreuses pour son camp. « Au marché, à la sortie de la messe, les gens sont franchement écœurés par ces affaires. »
Ce vieux routard de la vie politique se remémore ensuite les scènes d’euphorie au bar L’Élysée, jouxtant la mairie de Sablé, au soir du second tour de la primaire : « Tout le monde se voyait déjà vainqueur de la présidentielle. » Deux mois plus tard, la ferveur de « l’Élysée » s’est définitivement éloignée.
"L'alcool tue lentement. On s'en fout, on a le temps."