par fernando » 25 Jan 2017, 21:45
Pour Prince PD et Rodolfo, la contribution de Mediaprout au lynchage
L'affaire est un accident industriel pour la droite
25 janvier 2017 Par Ellen Salvi
L’affaire des emplois présumés fictifs de son épouse pourrait coûter très cher à François Fillon. Celui qui avait construit sa campagne sur l’exemplarité et promis une cure d’austérité aux Français, voit ses contradictions et ses prétendus alliés se retourner contre lui. La droite s’interroge sur ses chances de l’emporter.
C’était déjà mal parti. Ça ne risque pas de s’arranger. En difficulté pour défendre un programme jugé trop « radical », y compris dans son propre camp, François Fillon doit aujourd’hui faire face à sa première affaire. Bien sûr, officiellement, ce n’est rien d’autre qu’une « boule puante », assure-t-il. Sa femme, Penelope Fillon, grassement rémunérée comme attachée parlementaire pendant huit ans, sans qu’aucune trace de son activité ait été trouvée ? « C’est moche », résume un proche de l’ancien premier ministre. Moche, mais « légalement prévu par la loi et encadré par l’Assemblée nationale », indique Thierry Solère, le porte-parole du candidat LR à la présidentielle. La preuve : « Beaucoup de parlementaires travaillent en famille. On ne découvre pas une réalité. »
En déplacement à Bordeaux ce mercredi 25 janvier, François Fillon a pris soin de délivrer aux journalistes les éléments de langage préparés à la va-vite par ses équipes. « Je voudrais simplement dire que je suis scandalisé par le mépris et la misogynie de cet article, a-t-il affirmé. Alors, parce que c’est mon épouse, elle n’aurait pas le droit de travailler ? Imaginez un instant qu’un homme politique dise d’une femme – comme le fait cet article – qu’elle ne sait que faire des confitures. Toutes les féministes hurleraient. Voilà ce que j’ai à dire. »
Une défense pour le moins hasardeuse venant d’un homme dont les valeurs féministes n’ont pas franchement transparu au cours des derniers mois et qui ne répond en rien aux questions posées. Fillon a oublié qu'en octobre dernier, il résumait la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, à son statut d’ex-femme de François Hollande.
Une défense, surtout, qui paraît bien faible au regard de la campagne que l’ancien premier ministre mène depuis deux ans sur le terrain de l’exemplarité. Face à Nicolas Sarkozy et ses multiples casseroles d’abord, face à Alain Juppé et sa condamnation pour “prise illégale d’intérêts” dans l’affaire des emplois fictifs de la ville de Paris, François Fillon n’a cessé d’endosser le costume de Monsieur Propre. Multipliant les allusions à peine voilées aux démêlés judiciaires de ses adversaires à primaire, il expliquait un jour que ceux qui ont « des affaires dans tous les sens » ne devraient pas être investis ; un autre que s’il était « mis en examen il ne serait pas candidat » ; et encore un autre que, lui président, « il n’y aurait jamais de responsables politiques, de ministres qui soient mis en examen ». « Question de morale », concluait-il invariablement.
Fin août, lors de sa rentrée politique annuelle à Sablé-sur-Sarthe (Sarthe), il avait également surpris tout le monde, à commencer par ses proches, en lâchant : « Avoir une haute idée de la politique signifie que ceux qui briguent la confiance des Français doivent en être dignes. Ceux qui ne respectent pas les lois de la République ne devraient pas pouvoir se présenter devant les électeurs. Il ne sert à rien de parler d’autorité quand on n’est pas soi-même irréprochable. Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ? » Plus récemment encore, le candidat LR à la présidentielle s’est fait le chantre de l’antisystème. « Mon projet perturbe les castes bien établies, a-t-il déclaré à Oyonnax (Ain), le 19 janvier. Tous ceux qui, au fond, profitent du système. Tous ceux qui veulent conserver leur pré carré. »
Sans parler du fait qu’il est élu depuis 1981 et qu’il a été successivement député, président de conseil général, président de conseil régional, sénateur, plusieurs fois ministre et enfin premier ministre de Nicolas Sarkozy pendant cinq ans, François Fillon aura du mal à tenir trois mois de campagne sur la seule posture de l’antisystème victime de « caricatures ». Et l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet national financier (PNF) n’arrangera pas les choses.
Depuis les révélations du Canard enchaîné, ses anciennes déclarations sur la moralité de la vie publique sont exhumées sur les réseaux sociaux. « Est-ce que vous imaginez madame de Gaulle accepter un emploi fictif financé par le contribuable ? » s’est amusé le candidat EELV Yannick Jadot sur Radio Classique, mercredi matin. D’autres élus lui ont emboîté le pas, y compris à droite, à l’image du député LR Henri Guaino, candidat dissident à la présidentielle.
Un autre tweet, posté par l’ancien premier ministre lui-même le 20 octobre 2012, a également beaucoup circulé. On peut y lire : « Il y a une injustice sociale entre ceux qui travaillent dur pour peu et ceux qui ne travaillent pas et reçoivent de l’argent public. » Parmi les soutiens de François Fillon, et malgré l’accumulation de double discours, chacun a tenté de minimiser l’affaire en répétant que « Madame Fillon a toujours travaillé dans l’ombre car ce n’est pas son style de se mettre en avant ».
Un argument qui va, là encore, à l’encontre de ce propos tenu par la principale intéressée le 21 octobre 2016 et rapporté par Le Bien public : « Jusqu’à présent, je ne m’étais jamais impliquée dans la vie politique de mon mari. » « Oh bah j’ai pas de rôle. Voilà, je l’accompagne de temps en temps comme ça, ça se limite à ça », déclarait-elle déjà en 2008, dans l’émission “À vous de juger”.
« Elle ne se mêle pas de la politique nationale, mais de la politique locale, rétorque Thierry Solère à Mediapart, dans la droite lignée de ce qu’ont répété les proches du candidat toute la journée de mercredi. Elle a toujours été la courroie de transmission de François Fillon dans la Sarthe. Preuve en est : elle y est même élue. » Depuis mars 2014 en effet, date à laquelle elle a pris la relève de son époux au conseil municipal de Solesmes (Sarthe), après des années à se présenter comme « mère au foyer » ou « paysanne » préférant « s’asseoir au fond à l’arrière et écouter les autres ».
« Je ne vois pas comment il peut s’en sortir »
Si les porte-parole de François Fillon bafouillent difficilement une défense depuis 24 heures, du côté de la rue de Vaugirard, nul n’est vraiment dupe « C’est d’un tel niveau d’impréparation… confie un ancien membre de l’équipe de campagne d’Alain Juppé. Je ne vois pas comment il peut s’en sortir. » L’information a visiblement pris de court beaucoup de monde à droite.
Dans les rangs de l’opposition, personne n’avait jamais entendu parler de Penelope Fillon autrement qu’en qualité de femme de. Ce qui vient étayer, dit-on, le caractère fictif de l’emploi qu’elle occupait. Et l’idée que l’ancien premier ministre vivait dans un tel sentiment d’impunité, qu’« il s’est permis de donner des leçons à tout le monde, sans jamais prévenir ses équipes qu’il avait lui aussi un petit problème à solder ».
L’affaire rebaptisée « PenelopeGate » sur les réseaux sociaux tombe au pire moment pour le candidat LR. Lui qui espérait relancer sa campagne à l’occasion de son grand meeting parisien du 29 janvier, fait aujourd’hui l’actualité sur un sujet qu’il aurait pu anticiper. Dimanche, il défendra son projet en parlant de liberté et essayant de le teinter du vernis social qui lui manque, mais tout le monde pensera aux révélations du Canard enchaîné.
« Le pire, c’est qu’ils ne semblent même pas se rendre compte du problème, souffle un parlementaire LR, qui a assisté mercredi matin à la réunion organisée au QG du candidat par son directeur de campagne, Patrick Stefanini, et son conseiller spécial, Jérôme Chartier. Leur problème à eux, c’est que ce soit rempli dimanche pour faire une démonstration de force. Ce qui n’est pas gagné parce que la mobilisation parisienne n’est pas super. Sur le reste, ils nous demandent tout simplement de dire que tout est en règle. Ils sont complètement hors sol. »
Parmi les élus sarkozystes qui se sont réunis mercredi matin pour un petit déjeuner, on affiche officiellement son soutien. Mais on rit sous cape. « Il va falloir chercher des parrainages pour Nicolas ! » plaisante l’un d’entre eux. Depuis quelques semaines, les proches de l’ex-chef de l’État n’en finissent pas de critiquer ouvertement François Fillon sur son programme, sa méthode et ses choix. Non content de devoir gérer les approximations de son projet et les velléités de ses prétendus alliés, l’ancien premier ministre va devoir aujourd’hui prouver que l’emploi de sa femme n’était pas fictif.
« C’est à lui de s’expliquer », répond Jean-Christophe Lagarde quand on l’interroge sur le sujet. En pleines négociations avec LR, le patron de l’UDI répète ne pas « douter » de « l’honnêteté de François Fillon et de sa femme », rappelant que « c’est une pratique assez commune ». D’ailleurs, il a lui-même travaillé aux côtés de son épouse, « mais pas à ce salaire », précise-t-il.
C’est l’autre sujet que soulève l’affaire. Car selon les informations du Canard enchaîné, Penelope Fillon a été rémunérée jusqu’à 7 900 euros brut, soit la quasi-totalité de l’enveloppe « collaborateurs » dont dispose chaque député. « Avec 7 500 euros net par mois, elle est conçue pour trois personnes payées autour de 2 500 euros net par mois », rappelle une assistante parlementaire LR dans une tribune publiée sous couvert d’anonymat par le Huffington Post. « Qu’un assistant gagne plus que le député pour lequel il travaille, ça ne doit pas être très fréquent… » se contente de glisser Jean-Christophe Lagarde.
L’affaire qui vise aujourd’hui François et Penelope Fillon est d’autant plus gênante politiquement que le candidat LR répète depuis des mois que les Français seront contraints de se plier à la cure d’austérité qu’il leur promet. « La France est menacée de faillite, alors on se retrousse tous un peu les manches, on fait un effort de travail qui n’est pas surhumain », avait-il lancé sur TF1, le 21 novembre. Des mois, des années même, puisqu’en 2012 il déclarait déjà : « Il y a une injustice sociale entre ceux qui travaillent dur pour peu et ceux qui ne travaillent pas et reçoivent de l’argent public. »
Deux mois après son plébiscite à la primaire de la droite et du centre, l’ancien premier ministre multiplie les déconvenues. « Il y a, au sein des Républicains, beaucoup de gens qui cherchent à ce que la campagne patine », reconnaît le patron de l’UDI. De fait, après les déclarations fracassantes de Laurent Wauquiez, Christian Estrosi, Brice Hortefeux et plus récemment Rachida Dati, irritée par l’investiture de Nathalie Kosciusko-Morizet dans la circonscription parisienne de Fillon, nombreux sont ceux à s’interroger sur les origines de la « boule puante » du Canard enchaîné.
Du côté de la rue de Vaugirard, plus nombreux encore sont ceux à douter des facultés du candidat à l’emporter en mai prochain. « Il n’était pas préparé à gagner la primaire et à mener une campagne présidentielle, affirme un député LR. Personne n’avait vraiment regardé son projet avant le 20 novembre [date du premier tour de la primaire –ndlr]. Résultat : on se retrouve à défendre l’indéfendable. » Une confidence faite à Mediapart avant le « PenelopeGate ». Et qui prend un nouveau sens aujourd’hui.
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