par fernando » 21 Avr 2020, 15:37
« Etre confiné avec des cafards, c’est terrible » : à Villeneuve-d’Ascq, les étudiants à l’abandon
Par Eric Nunès
Les étudiants les plus précaires du campus scientifique de l’université de Lille sont logés dans des bâtiments insalubres. Sans ressources financières, ils sont dépendants de l’aide alimentaire fournie par des associations.
Résidence universitaire Evariste-Galois, à Villeneuve-d’Ascq (Nord), troisième étage, bâtiment B. Vendredi 17 avril, l’heure du déjeuner s’annonce. Mohammed Hassan, 25 ans, étudiant en master de sciences de la santé, prépare son repas. Pas de quoi décourager le cafard en train de courir sur son plan de travail. Partager ses jours, ses nuits, son sommeil avec des blattes et des punaises de lit, c’est, depuis plus d’un mois, le quotidien de centaines d’étudiants logés dans des bâtiments insalubres du campus scientifique de l’université de Lille.
Au sein de la métropole lilloise, ils sont 5 700 étudiants à passer la période de confinement dans un logement social étudiant. Ceux qui peuvent débourser 330 euros habitent les confortables studios de 18 m2 avec douche et coin cuisine dans l’une des élégantes résidences récemment sorties de terre ou tout juste rénovées. Ceux qui ont dû faire le choix d’un loyer plus modeste (162 euros) doivent supporter de vivre 24 heures sur 24 dans les chambres de 9 m2 des vieux bâtiments des résidences Bachelard, Camus et Galois.
« Ce n’est pas cher, admet Fares Gasmi, 26 ans, étudiant en master automatique et systèmes électriques, mais c’est horrible. Quand je suis arrivé, j’ai été choqué de réaliser qu’en France, il est possible de louer des logements dans cet état. » Sur les murs de nombreuses chambres, l’humidité forme une couche de moisissure autour des fenêtres. En ce qui concerne les sanitaires, mixtes et collectifs, nombre d’entre eux sont bouchés, les autres sont sales et la pression de l’eau est insuffisante dans les étages supérieurs. Un bâtiment est quasi dépourvu d’eau chaude, a contrario la chaudière d’un autre tourne à fond malgré la température printanière alors que les têtes thermostatiques des radiateurs sont cassées et la chaleur étouffante.
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Mais ni la vétusté des immeubles ni l’étroitesse des cellules n’inquiètent plus les étudiants que l’omniprésence de cafards et de punaises de lit, encore plus insupportables en ces temps de confinement. « Ils sont partout, dans les canalisations, derrière les plinthes, dans les murs », témoignent les résidents. Les mesures de désinfection prises par le centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) sont sans effet. « On ne peut pas dormir, témoigne Ahki Mahamat, 27 ans, en master de génie mécanique, les punaises sortent dans l’obscurité, s’endormir est un calvaire quand on sait que nuit après nuit, on va se faire piquer. » « Etre confiné avec des cafards c’est terrible, lâche Brahim El Medhi, 27 ans, en licence de littérature arabe, je ne peux pas m’y habituer. » Mais il n’y a pas d’échappatoire pour ces résidents dont la famille est très éloignée, souvent en Afrique ou dans un département d’outre-mer.
Ressources épuisées
Un nouveau rythme de vie s’est progressivement installé depuis le 17 mars, date du début du confinement. « Une insupportable routine, décrit Mohammed Hassan : je me lève, je consulte mes mails, je regarde si de nouveaux cours en ligne me sont parvenus, je travaille, je prépare des pâtes, je donne des nouvelles à ma famille au Sénégal et la boucle est bouclée. Le lendemain je recommence. » Veiller une partie de la nuit et se lever tard n’est pas une stratégie pour combattre la solitude ou l’ennui, mais la faim. « Cela leur permet de passer de trois repas quotidiens à deux », observe Louis Lagache, directeur des résidences de la cité scientifique.
Après plus d’un mois de confinement, les − déjà maigres − ressources de ces étudiants sont épuisées. Akhi Mahamat, un futur ingénieur, a perdu son job dans un fast-food quand les restaurants ont été fermés. Apolline (elle a requis l’anonymat), en master spécialisé de sécurité informatique, a vu son stage de fin d’année s’arrêter net car son employeur a estimé qu’il devait se faire en présentiel : « Je n’ai plus aucun revenu », déplore-t-elle. Yolp (il ne souhaite pas donner son nom complet), 19 ans, en licence de maths-physique, cumulait les petits boulots payés de la main à la main. « Depuis le début du confinement, ce n’est plus possible », explique-t-il. Salaires, gratifications, pourboires… beaucoup des moyens de subsistance de ces étudiants non boursiers ont disparu. « Pourtant ils ont besoin d’argent, de manger », alerte Louis Lagache.
Ces jeunes gens en grande difficulté peuvent demander une aide d’urgence. Le Crous les invite d’ailleurs à contacter une assistante sociale qui envoie aux demandeurs un formulaire à remplir. Il y est écrit que « tout dossier rendu incomplet ne sera pas examiné ». Il faut joindre à la demande une liste de 15 pièces allant des derniers avis fiscaux des parents (qui sont souvent à l’étranger) à un état de situation comptable du loyer (que les étudiants ne sont plus en mesure de payer). « Une liste de documents improbable que nous ne pouvons réunir et que nous devrions numériser sur un scanner que nous n’avons pas », dénonce un étudiant.
Toutefois, une initiative du Crous lillois est saluée par tous les résidents : une carte d’achat de 50 euros dans un magasin de grande distribution a été offerte à tous. Un coup de pouce, mais pas de quoi se nourrir pendant plusieurs semaines. Ce qui sauve ces étudiants de la faim, ce sont les colis du Secours populaire et des Restos du cœur, dont une antenne est ouverte le mercredi soir de 17 à 20 heures, et devant laquelle une file d’étudiants, longue de 200 mètres, se forme chaque semaine.
Devant son plat de pâtes quotidien, Mohammed souligne : « Sans l’aide alimentaire que nous apportent ces deux associations, ma situation serait catastrophique. » « Si je peux encore me nourrir c’est seulement grâce à elles », abonde Yolp.
A une dizaine de mètres de leur bâtiment, les portes du restaurant universitaire Henri-Pariselle demeurent closes. « Parce qu’au début du confinement, plus personne ne venait », justifie Louis Lagache. Mais depuis le 17 mars, les urgences ont évolué et, sur le campus de Villeneuve-d’Ascq, se nourrir est devenu la priorité de nombreux étudiants. Sur le mur est du resto U déserté, on peut lire un tag : « La précarité tue. »
"L'alcool tue lentement. On s'en fout, on a le temps."