par une des fakes de Der » 20 Fév 2013, 14:42
Le Furet, liseur de bonne aventure
Institution du Nord, Ce vendeur de produits culturels lillois part à la conquête de l’Hexagone. Sur un marché fragilisé, il fait le pari de mettre en avant l’objet livre.
Par MARIE RIVIER
Le fu-quoi ? Connaît pas.» C’est la réponse courante lorsqu’on entend parler du Furet du Nord. Normal : jusqu’en 2011, cette enseigne de biens culturels (livres, vidéos, musique, jeux vidéo) se cantonnait au Nord - Pas-de-Calais, son fief historique. Mais aujourd’hui, l’entreprise basée à Lille affiche des ambitions nationales, et s’en tire bien sur un marché fragilisé par la dématérialisation des biens culturels et le recul des ventes de l’électronique grand public. Alors que les Virgin Megastores ont été placés en redressement judiciaire le 14 janvier, et que la Fnac se repositionne façon Darty branché en vendant des aspirateurs et des machines à café haut-de-gamme pour survivre, le modeste Furet a vu son chiffre d’affaires grimper de 14% entre 2008 et 2012. Avec une dizaine de magasins, ses ventes ont atteint 88,5 millions d’euros l’an dernier. On est loin de la Fnac qui affichait encore 4 milliards de chiffre d’affaires en 2012, avec ses 80 lieux de vente en France et à l’étranger. Mais là où la filiale de PPR ferme magasin après magasin et licencie (510 suppressions de postes annoncées l’an dernier), l’enseigne nordiste a ouvert quatre nouvelles boutiques depuis trois ans, dont deux en Ile-de-France. De fait, Le Furet se présente comme une affaire «rentable»; mais, en bonne entreprise nordiste, garde le secret sur ses chiffres… Faché avec le greffe (les comptes n’ont pas été déposés au tribunal de commerce de Lille depuis 2008), le patron de l’enseigne, Pierre Coursières, préfère parler de sa grande ambition : faire du Furet une chaîne de produits culturels aussi connue sur le territoire national que sur ses terres d’origine.
Lapin. Dans le Nord, le Furet est déjà une institution. L’histoire commence en 1936, lorsque Georges Poulard transforme un magasin de fourrure de la rue de la Vieille-Comédie, à Lille, en librairie. Il conserve le nom de la boutique, qui fait référence au petit animal utilisé dans la région pour chasser le lapin. En 1959, Paul Callens, fils d’un boucher de Tourcoing, rachète la boutique et l’installe sur la mythique Grand-Place de Lille. Aujourd’hui, le «vaisseau amiral» du groupe est toujours là. Précurseur, le jeune Callens sera l’un des premiers à parier sur le libre-service en librairie, à laisser ses clients feuilleter sans acheter et à aménager un rayon pour le livre de poche.
Depuis, le Furet a ouvert douze magasins dans le Nord-Pas de Calais, d’Arras à Douai, en passant par Roubaix et Valenciennes. En 1989, l’entreprise est devenue une société anonyme. Mais sur ses terres d’origine, elle conserve son image familiale. «Il y a un côté affectif : le Furet, c’est une enseigne du Nord perçue comme telle. Le succès tient à l’ha bile mélange en tre la grande enseigne et la petite librairie de spécialiste», résume Raphaël, originaire d’Haubourdin, près de Lille. Pierre Coursières, qui vient pour sa part de Toulouse et préside le directoire de l’entreprise depuis 2003, l’assure : un livre sur deux vendu dans le Nord-Pas de Calais vient de son enseigne.
Car le Furet est avant tout un libraire. Dans les rayons, CD et DVD introduits au début des années 2000 sont toujours restés secondaires. C’est en partie ce qui explique ses bons résultats sur un marché des biens culturels dont le chiffre d’affaires a chuté de 6% entre 2011 et 2012, selon l’institut GfK. «Les enseignes qui ont fait le choix d’être spécialisées sur le livre sont protégées car ce bien souffre moins de la dématérialisation», explique Claude Terrier, chef de groupe de l’institut d’études GfK. Alors que la vidéo a reculé de 8,7% et la musique de 12,2%, le livre n’a perdu que 1,9% sur cette période, selon Gfk. D’où les difficultés de Virgin, principalement axé sur le disque, et de la Fnac, qui a opté pour la stratégie «des 25%» (chaque rayon livres, CD, vidéo, électronique mis en avant à égalité).
Mais pour Pierre Coursières, la résistance du Furet tient aussi au respect des basiques du commerce. Les équipes de vente, qui représentent les deux tiers des 384 salariés, «jouissent d’une grande autonomie pour gérer les stocks. En contrepartie, ils sont très impliqués dans leur travail», souligne cet ancien de la Fnac. «Contrairement à certaines enseignes, il y a encore des vendeurs dans les rayons du Furet. Ils savent ce que veulent les gens, et adaptent l’offre à la demande locale. Vous ne trouvez pas les mêmes produits d’un magasin sur l’autre», ajoute Marie-Hélène Fosse-Gomez, professeure de marketing à Lille-II.
Au Furet, classiques de la littérature et manuels attirent une clientèle d’élèves et de professeurs. «Ces produits font plus de marge. D’autres ont fait le choix de privilégier les nouveautés, mais cela concentre les ventes sur peu de titres», explique Yves Marin, consultant du cabinet Kurt Salmon.
Fort d’une indépendance retrouvée en 2008 - depuis que Lagardère Services l’a revendu et que le groupe a été racheté par un fonds d’investissement -, le Furet du Nord fait donc le pari de s’aventurer hors du Nord - Pas-de-Calais. Deux magasins ont ouvert en Ile-de-France : à Arcueil en octobre 2011, et au Kremlin-Bicêtre en octobre 2012. «Et ce n’est qu’un début», promet Pierre Coursières, qui prévoit d’essaimer d’autres points de vente sur le territoire national. Le prochain vient d’être signé pour 2014, à Beauvais (Oise). Habitué des centres-ville, le libraire cible désormais les centres commerciaux de périphérie délaissés par ses concurrents. Car avec l’augmentation des loyers, un espace en cœur d’agglomération peut devenir un gouffre financier. Virgin en a fait les frais sur les Champs-Elysées. «Les bailleurs en centre commercial sont très intéressés de voir une enseigne comme le Furet s’installer car nous augmentons le passage. A Arcueil, le trafic a ainsi augmenté de 5%. Cela nous permet de négocier le loyer plus facilement», ajoute Pierre Coursières. «Reste à voir comment ils vont s’adapter à l’essor du livre numérique», remarque Marie-Hélène Fosse-Gomez. En France, ce dernier représente moins de 2% du marché du livre (lire EcoFutur du 14 janvier). Mais les analystes parient qu’il atteindra rapidement les 15%, comme aux Etats-Unis.
Loges. Le Furet place donc ses pions. Son site internet revendique déjà 1,3 million de références. On peut y commander des livres papier, mais aussi télécharger la version numérique de 110 415 ouvrages (200 000 pour la Fnac). L’onglet Livres numériques figure d’ailleurs aux premières loges sur la page d’accueil. Pour les lire, le Furet commercialise la liseuse Cybook Odissey du français Bookeen. Une alternative maison au Kobo de la Fnac et au Kindle d’Amazon. «Ce qui m’intéresse, ce n’est pas sur quel support le lecteur lit, c’est qu’il achète Furet du Nord», tranche Pierre Coursières. Pour lui, le numérique ne tuera pas les lieux physiques de vente. Il parie sur la complémentarité. «Plus de la moitié des gens qui réservent un livre sur notre site vont retirer leur achat en magasin.» Coursières est convaincu que le client de demain ne se rendra pas forcément au Furet pour acheter, mais pour être conseillé et vivre une expérience culturelle agréable. Et si le Furet était tout simplement en train de réinventer le modèle Fnac ?