par fernando » 11 Juil 2016, 13:33
Le Portugal, une victoire sans panache mais pas sans mérite
Par Christophe Kuchly, « Les Cahiers du Football »
D’une certaine manière, ça ressemblait un peu au football d’il y a une dizaine d’années. Et à l’un de ses symboles, la finale de Ligue des champions 2003 entre la Juventus et l’AC Milan, où l’absence sur suspension de Pavel Nedved avait enterré les rares espoirs de spectacle avant même le coup d’envoi. L’année suivante, la Grèce remportait l’Euro sans plus de flamboyance. Mais l’obligation remplaçait le choix. Limités, les Grecs avaient appliqué la stratégie utilisée de tout temps par bon nombre d’outsiders : bien défendre leur but avant d’attaquer celui de l’adversaire.
La France et le Portugal, comme les deux équipes italiennes, ont des joueurs de talent, mais une envie très mesurée de prendre des risques. Forcément, leurs matchs se jouent alors sur des coups de dés auquel le football de club, au déséquilibre en constante expansion, est de plus en plus étranger.
Pepe et Patricio
L’histoire retiendra que Cristiano Ronaldo a remporté son premier titre international senior avant Lionel Messi. Mais là où le symbole aurait pu être grand si le buteur du Real Madrid avait pleinement contribué à la victoire, il est finalement relégué au second plan. D’ailleurs, son absence à partir de la 25e minute a eu moins d’impact sur la rencontre que la présence d’Eder à partir de la 79e. Il y a des phrases comme ça qu’on penserait ne jamais écrire… Car si l’attaquant du LOSC a changé le visage du match dans un style du numéro 9 physique très en vogue dans cet Euro, ce n’est pas devant mais derrière que le Portugal a construit son succès.
Sans panache mais pas sans mérite, loin de là. Il a beau être plus simple de bien défendre que d’attaquer, les victoires d’équipes attentistes sont trop rares pour ne pas souligner la performance.
Etait-ce pour récompenser le fait qu’il ait réussi à terminer la partie sans carton, contrairement à six de ses partenaires, tous à vocation défensive ? En tout cas, c’est Pepe, de retour de blessure, qui a eu l’honneur d’être nommé homme du match par l’UEFA.
Un beau symbole pour le joueur de 33 ans, déjà dans l’équipe type des deux derniers Euros. Et qui, quelques semaines après une Ligue des champions victorieuse, confirme qu’il est bien plus qu’un joueur qui aime flirter avec la limite. Physique mais propre, intelligent tactiquement, leader vocal : le Brésilien d’origine et Portugais d’adoption, comme le Barcelonais Deco avant lui, est l’aboyeur d’une arrière-garde qui n’a pris qu’un seul but lors de la phase éliminatoire. La seule fois qu’il a été battu, André-Pierre Gignac a trouvé le poteau. C’était aussi la seule fois que Rui Patricio, l’historique gardien du Sporting (il y est arrivé à 12 ans), semblait résigné à devoir aller chercher le ballon dans ses buts. Le destin tient à peu de chose…
Changement de plan
La bonne prestation de Bruno Alves face au pays de Galles en demi-finales le confirme : le Portugal défend avant tout en équipe. D’abord pénalisé par un Ricardo Carvalho désormais très loin du niveau requis sur le plan international, il s’est transformé quand José Fonte a intégré le onze face à la Croatie.
Pepe-Fonte dans l’axe, Cédric-Guerreiro sur les côtés : individuellement, on est loin de la muraille italienne. Et peut-être même, l’avis peut s’entendre, de la défense française. Après tout, hormis Pepe, on trouve ici deux joueurs de Southampton et un de Lorient. Un expérimenté (Fonte, 32 ans) et deux prometteurs (24 et 22 ans pour Cédric et Guerreiro). Mais leur complémentarité est totale et ils sont protégés par un solide milieu à quatre dont l’élément le plus reculé, William Carvalho, abat un travail monstrueux.
Fernando Santos, ancien sélectionneur de la Grèce, n’est pas connu pour être l’entraîneur le plus aventureux du monde. Face à la Hongrie, il avait pourtant aligné Eliseu et Vierinha, deux latéraux de débordement aux attitudes d’ailiers, mais aussi l’organisateur Joao Moutinho et le séduisant André Gomes. Les trois buts encaissés, qui avaient failli renvoyer son équipe à la maison, ont probablement achevé de le convaincre que le romantisme ne payerait pas.
D’autant que si la Hongrie était sans doute l’équipe la plus méritante du tournoi tant elle proposait un jeu élaboré avec des joueurs limités, la suite s’annonçait copieuse. En huitièmes de finale se dressait la Croatie, star du premier tour. Au bras de fer, mieux valait privilégier le poker. Menteur, en l’occurrence. De l’extérieur, on pouvait presque imaginer l’injonction portugaise. « On n’attaquera pas les premiers, à vous de voir ce que vous décidez. » Les Croates, longtemps passifs, sont partis à l’abordage en fin de prolongation et ont été contrés. Les Polonais ont joué jusqu’au bout mais ont raté le tir au but de trop. Prolongations en huitièmes, tirs au but en quarts, matchs fermés… Passer sans briller peut être un bon présage. Didier Deschamps a connu ça en 1998.
Fermeture de l’axe
Le sélectionneur de l’équipe de France passerait presque pour un audacieux en comparaison de son homologue. En finale, c’est son équipe qui a eu le ballon et la plupart des occasions avant de s’éteindre au fil des minutes, pour finir dominée par son adversaire.
L’explication est sans doute en partie physique : selon une étude du préparateur physique néerlandais Raymond Verheijen faite sur 27 000 matchs, les équipes qui ont deux jours de repos, une durée qui serait insuffisante pour complètement récupérer, auraient 40 % de chances en moins de gagner que celles qui disposent de trois jours.
Qu’on fasse complètement confiance ou non à ces chiffres, le calendrier jouait forcément un rôle. D’autant plus que la France, qui a passé une bonne partie du match contre l’Allemagne à courir après le ballon, avait plus souffert que le Portugal en demi-finales. Prudents par nature, les Bleus devaient la forcer. Mais, sans marge ni volonté de s’exposer inutilement, ils sont restés sous la menace jusqu’au bout.
Eux qui avaient plutôt bien défendu face aux champions du monde mais avaient tout de même laissé d’énormes espaces en première période ont trouvé meilleurs qu’eux dans ce secteur. Dans l’axe, ni Matuidi ni Pogba n’ont réussi à exister, victimes de la densité portugaise dans ce secteur. Le plus jeune des deux, dont on attendait énormément, n’a jamais réussi à se libérer d’Adrien Silva.
Le natif d’Angoulême, passé par Bordeaux dans sa jeunesse, n’était là que pour embêter le Juventino, une mission qu’il a encore mieux réussie que contre Modric deux semaines plus tôt. Malgré son modeste gabarit (1,75 m pour 69 kg), le milieu du Sporting a pu profiter des automatismes avec Joao Mario et William Carvalho, ses partenaires dans le club lisboète – comme le défenseur Cédric Soares, le gardien Rui Patricio mais aussi Nani, Cristiano Ronaldo et José Fonte dans leur jeunesse – pour mener à bien cette douce « mission destruction »
Un parfum de L1
Bloqués au milieu, les Bleus ont dû passer par les côtés, secteur où ils ne brillent pas. Evra et Sagna, limités dans leur capacité à déborder, ont souffert de la comparaison avec leurs vis-à-vis. Payet n’a jamais retrouvé sa forme du premier tour et seul Sissoko a pu apporter du danger offensif, lui qui abattait déjà du boulot à la récupération.
Dans ces conditions, il a fallu attendre l’entrée de Coman et Martial pour avoir de la provocation. Avec le risque d’échec que cela comporte, surtout dans des un contre un voire un contre deux souvent débutés à l’arrêt, dans une animation qui n’a pas tellement progressée depuis le début du tournoi. Des individualités se sont révélées, à l’image d’un Umtiti qui a une nouvelle fois dynamisé la relance – mais terriblement souffert face au colosse Eder, laissant rétrospectivement un frisson à l’idée de ce qu’aurait donné un duel contre Mario Gomez –, mais le jeu n’était pas suffisamment abouti pour faire des différences incontestables.
On l’avait écrit en début de compétition : vu la nature de l’équipe de France, la crainte était plus grande face à l’Italie qu’à l’Allemagne. C’est finalement le Portugal qui a joué le rôle de miroir. Meilleur défensivement, moins doué offensivement, il a compensé par la volonté et la réussite ses manques intrinsèques.
Il fait un vainqueur à l’image du tournoi : cohérent mais fade. Est-ce alors un simple hasard si, dans un match qui ressemblait finalement beaucoup à tant d’oppositions de Ligue 1, ce sont Sissoko, Gignac, Guerreiro et Eder qui eurent la victoire au bout du pied en fin de partie ? Le football français n’est pas révolutionnaire. Cet Euro a sacré une certaine forme de conservatisme. Et les hommes de Didier Deschamps, bien que méritants, n’étaient pas les seuls à jouer cette carte…
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