par fernando » 30 Jan 2018, 14:47
Des singes et des hommes, cobayes pour le diesel allemand
29 janvier 2018| Par Thomas Schnee
Entre 2013 et 2014, une fondation financée par l’industrie automobile allemande a commandé des tests respiratoires sur des singes et des hommes pour prouver la “propreté” du diesel. Le patron de son conseil scientifique, le toxicologue Helmut Greim, est l'un des experts “indépendants” favoris du Bundestag, où il a notamment défendu l’innocuité du glyphosate…
Berlin (Allemagne), de notre correspondant.– Des tests respiratoires réalisés sur des singes puis des hommes, commandités par les grands noms de l’automobile allemande afin de prouver que le diesel est inoffensif. Les révélations du New York Times 3 et du quotidien régional allemand Stuttgarter Zeitung 3 occupent la une des médias allemands, comme une pièce accablante supplémentaire au dossier déjà lourd du « dieselgate ».
Nourri par les documents mis à la disposition de la justice américaine par Volkswagen, l'article du New York Times dévoile qu'en 2014, une fondation allemande financée par Volkswagen, Daimler, BMW et Bosch, nommée EUGT (Association de recherche européenne pour l’environnement et la santé dans le secteur des transports), a commandé une étude sur les effets de la respiration des échappements d’un moteur diesel. Objectif : prouver l’innocuité de ces gaz sur l’organisme humain. C’est le Lovelace Respiratory Research Institute d’Albuquerque (Nouveau-Mexique) qui a réalisé l’expérience, en enfermant dix singes dans une pièce où tournait le moteur d’un Beetle de Volkswagen. Et c’est la même fondation EUGT qui a commandé une étude similaire, publiée en 2016 3, auprès d’un des instituts du centre hospitalier d’Aix-la-Chapelle. Mais cette fois-ci, les dix singes ont été remplacés par 25 cobayes humains.
Au bout du compte, les résultats du Albuquerque Monkey Test n’ont jamais été publiés. Mais ils auraient été de toute façon faussés puisque, sans le dire aux scientifiques qui ont mené l’expérience, le véhicule fourni par Volkswagen était déjà équipé du logiciel trompeur qui enclenche le nettoyage des gaz d’échappement, mais seulement quand la voiture se trouve en situation de test. Quant à l’étude allemande, elle a conclu que l’absorption de gaz d’échappement pendant trois heures ne déclenchait pas de réaction forte de défense de la part des organismes testés. Interrogé par le Stuttgarter Zeitung, Thomas Kraus, l’un des responsables de l’étude, reconnaît que celle-ci ayant été effectué sur un panel trop limité, les résultats ne sont pas probants.
.Bien qu’elles soient inopérantes, la révélation de ces études a déclenché une vague d’indignation en Allemagne. D’abord parce que, même avec la meilleure volonté du monde, il est difficile de ne pas penser à certaines expériences et méthodes d’extermination aux gaz d’échappement mises en œuvre par les nazis. Ensuite parce qu’elle vient éclairer un peu plus les méthodes que peuvent utiliser certaines grandes entreprises, prêtes à tout pour couvrir leurs fautes et garantir leur réussite commerciale, au détriment de la santé publique et de la protection de l’environnement. Motif d'indignation supplémentaire, le gouvernement fédéral allemand n’est pas épargné par l’affaire.
Car la fameuse fondation EUGT, qui a mis la clé sous la porte depuis l’été dernier, disposait d’un conseil scientifique présidé par un éminent toxicologue, le professeur Helmut Greim. « Il est toujours là quand des intérêts industriels et la limitation de l’utilisation de certains produits sont en jeu », expliquait il y a peu le vice-président du groupe parlementaire écologiste, Oliver Krischer. Helmut Greim est en effet de tous les combats pro-industrie depuis plus de vingt ans. Il a ainsi dirigé plusieurs études sur le glyphosate pour le compte de l’entreprise germano-américaine Monsanto. Et c’est en tant qu’expert “indépendant” que le professeur Greim a été amené à disserter sur les bienfaits du pesticide au Bundestag. Sur invitation des députés de la CDU/CSU, le parti d'Angela Merkel…
Que valent les excuses des constructeurs automobiles, mais aussi celles de la chancelière allemande, dans cette histoire ? Daimler a expliqué qu’une enquête interne ne tarderait pas à être ouverte : « Nous considérons l’expérimentation animale pratiquée pour l’étude comme inutile et repoussante », explique-t-on au siège de Daimler.
Quant à Volkswagen, la direction du groupe a fait savoir qu’elle était convaincue « que la méthode scientifique employée à l’époque était fausse. Il aurait été préférable de renoncer à cette expérience », explique un communiqué, avant de préciser que l’entreprise s’excuse « pour cette erreur et pour les erreurs de jugement d’éléments isolés ». Le manager américain de Volkswagen Oliver Schmidt, qui a avoué les agissements de son entreprise devant la justice américaine et a écopé pour cela de sept ans de prison 3 assortis d’un licenciement sec pour faute grave, appréciera sans doute la fin du communiqué de son ancien employeur. Celui-ci maintient la ligne de défense suivie jusqu’à présent en Europe. À savoir qu’au-delà du dérapage de quelques groupes d’employés, le groupe dans son ensemble n’est pas coupable et n’a rien fait d’illégal.
Dans ce concert d’indignation, la réaction du gouvernement fédéral en la personne de Steffen Seibert, porte-parole d’Angela Merkel, est à l’unisson : « Les tests sur des singes et même des hommes ne peuvent être éthiquement justifiés… L’indignation de nombreuses personnes est tout à fait compréhensible », a-t-il déclaré lors de la traditionnelle conférence de presse du début de semaine.
Si cette réaction est peut-être sincère, personne au gouvernement n’étant directement impliqué dans l’affaire, les liens étroits et incestueux entre le gouvernement allemand et la première industrie du pays ne sont plus à prouver et sont, pour beaucoup, responsables de ce sentiment d’impunité généralisée qui semble régner dans les états-majors des grands constructeurs, Volkswagen en tête. « Cette affaire montre que la relation entre l’industrie automobile allemande et notre gouvernement va au-delà du lobbying », explique à Mediapart Christine Deckwirth, la représentante de l’ONG allemande LobbyControl : « Il est urgent que le pouvoir change son attitude, prenne ses distances et cesse de concevoir sa politique des transports comme une politique commerciale au service de l’industrie automobile. »
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