par fernando » 16 Jan 2014, 13:22
Réchauffement climatique : la stratégie française critiquée par la Cour des comptes
Depuis cinq ans, la France conduit sa politique de lutte contre le changement climatique à l’aveuglette : c’est le jugement sévère que porte la Cour des comptes sur la mise en œuvre par Paris du « paquet énergie-climat » adoptée par l’Europe en 2008.
Dans son rapport remis, jeudi 16 janvier, à l’Assemblée nationale – par qui les magistrats avaient été saisis en novembre 2012 –, la Cour critique le manque de lisibilité de l’action publique tant dans les dépenses engagées que dans la mesure des résultats obtenus, que la faiblesse des outils de modélisation qui ont conduit la France à dessiner sa stratégie.
Cette dernière privilégie le développement des énergies renouvelables plutôt que la recherche des économies d’énergie dans les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre. En particulier le transport et l’agriculture. « Dans une économie peu carbonée, la principale source de réduction des émissions se trouve dans les économies d’énergie », estime le rapport en rappelant la spécificité nucléaire française.
GRAVE DÉFAILLANCE
Ce constat conduit, en préambule, les sages de la rue Cambon à reconnaître qu’ils n’ont pu répondre à la demande des députés. Plus que de rapport d’évaluation, ils préfèrent qualifier les 235 pages de leur travail – 680 avec les annexes – de « description » et « d’analyse » des différents éléments de la politique de transition énergétique, engagée en 2008 avec l’adoption, du « paquet énergie-climat ».
Celui-ci prévoit de réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne (UE) d’ici à 2020 par rapport à 1990 tout en portant la part des énergies renouvelables à 20 % du mix-énergétique. Pour prendre sa part du fardeau, la France s’est vue assigner comme objectif de diminuer de 14 % ses émissions dans les secteurs dits diffus (transport, bâtiment, agriculture) – les grandes installations industrielles étant soumises au système européen d’échanges de quotas de CO2 – et de parvenir à un niveau d’énergie renouvelable de 23 % en 2020.
La Cour des comptes donne plusieurs explications à cette grave défaillance. La plus importante d’entre elles est l’absence d’un pilotage au plus haut niveau, de la question climatique. « La mise en œuvre du paquet énergie-climat qui est, par nature, transversale et interministérielle, pose à l’Etat un problème d’organisation et de pilotage, qu’il n’est pas encore parvenu à entièrement relever », déplore, en des termes pondérés, le rapport. Ce que certains de ses auteurs traduisent de manière plus directe par : « Matignon ne joue pas son rôle et certains ministères ne sont toujours pas montés dans le train. »
Le rapport critique également la légèreté avec laquelle les choix ont été pris alors que des dizaines de milliards d’euros d’argent public ont été engagés. Les modèles de simulation chargés de décrire les transformations profondes que doit entraîner la transition énergétique sont soit « trop limités » soit « balbutiants ». Ils ne permettent pas de « faire complètement le tour du circuit économique et ainsi d’évaluer les besoins d’investissement, leur possible financement par la baisse de la facture énergétique, ni même leurs conséquences sur l’emploi ».
Cela aboutit à de retentissants ratages comme l’illustrent les déboires de la filière solaire. « Des situations de rente, voire de véritables “bulles” financières, ont parfois été créées, toujours financées par le consommateur ou le contribuable. L’exemple du mauvais ajustement initial des tarifs de rachat de l’électricité photovoltaïque reste emblématique d’un tel risque », avertissent les magistrats.
HYPOTHÈSES « IRRÉALISTES »
La Cour porte au final un regard dubitatif sur les résultats obtenus jusqu’à présent en les qualifiant « d’ambigus ». La baisse des émissions enregistrée depuis 2005, s’explique largement par la crise économique et la réduction très nette par l’industrie des émissions de gaz autres que le CO2, souligne-t-elle.
Dans ces conditions, la France pourra-t-elle tenir ses objectifs d’ici à 2020 ? La tâche sera « difficile » et au prix d’un « investissement considérable » de l’ordre de 1 % à 2 % du produit intérieur brut par an, avertit la Cour.
Elle émet en outre de sérieuses réserves sur sa capacité à atteindre la cible en matière d’énergies renouvelables et pointe les hypothèses très « volontaristes » voire « irréalistes » que le gouvernement continue d’afficher dans le domaine de la rénovation thermique. « L’hypothèse est de 900 000 rénovations lourdes par an de 2013 à 2020, alors que le Grenelle de l’environnement tablait sur 400 000 » et qu’au maximum le chiffre atteint jusqu’aujourd’hui a été de 135 000 en 2010…
L’Assemblée nationale avait saisi la Cour des comptes pour éclairer le débat qu’elle aura prochainement sur les objectifs climatiques dont l’Europe doit se doter à l’horizon 2030. La Cour invite les députés à s’y engager avec prudence en tenant compte d’un contexte radicalement différent de celui de 2008 : crise économique, nouvelle donne énergétique avec l’émergence des hydrocarbures non conventionnels, échec du marché européen du carbone qui devait être le principal instrument de pilotage de l’ambition communautaire…
Elle recommande de ne se fixer qu’un seul objectif contraignant de réduction des gaz à effet de serre en se donnant pour priorité de « modifier le modèle de consommation plutôt que le système de production dès lors qu’on vise à lutter efficacement contre le changement climatique ».
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