par fernando » 31 Mai 2018, 13:48
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Loi agriculture et alimentation: les promesses non tenues du Macron des champs
30 mai 2018| Par christophe Gueugneau et Manuel Jardinaud
Le projet de loi sur l’agriculture et l’alimentation, dit Egalim, définitivement adopté à l’Assemblée nationale ce 30 mai, a donné lieu à plusieurs défaites du camp progressiste chez LREM. Malgré les promesses du président, l’inscription de l’interdiction du glyphosate d’ici trois ans a été rejetée.
« Jusqu’à quand les députés LREM supporteront-ils cette frustration ? », s’interroge le député La France insoumise (FI) Loïc Prud’homme, « à part se désoler, je ne sais pas trop ce qu’ils ont prévu de faire d’autre ». Alors que le projet de loi « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable » a été adopté mercredi 30 mai dans l’après-midi (339 voix pour, 84 voix contre et 130 abstentions), le constat du député insoumis en pointe sur le dossier n’est ni amer ni même ironique. Il est clinique.
Tout au long de la semaine de débats, qui se sont fréquemment prolongés tard dans la nuit, entre 50 et 70 députés de La République en marche ont tenté, à coups d’amendements, d’améliorer le texte, issu d’un long processus appelé États généraux de l’alimentation, qui se sont tenus entre juillet et novembre 2017. La future loi, qui se veut l’une des pierres de la politique de transition écologique tant vantée par Emmanuel Macron durant la campagne, s’est heurtée à l’intransigeance du gouvernement.
À commencer par celle du ministre de l’agriculture Stéphane Travert, mais aussi celle du rapporteur du texte, Jean-Baptiste Moreau, lui-même agriculteur, à la tête d’une coopérative agricole. Le député de la Creuse est membre de la commission des affaires économiques et non pas de celle du développement durable, juste consultée pour avis. Un choix originel qui en dit long sur l’angle du projet de loi, et la vision qu’il propose.
Pour Nicolas Girod, qui suit pour la Confédération paysanne les débats, « le gouvernement et la majorité ont loupé le coche de ce qui était sorti des États généraux de l’alimentation ». De fait, le résultat de cette addition de tables rondes et de consultations a été ramené à portion congrue dans le texte de loi, la majorité se raccrochant la plupart du temps aux promesses du candidat Macron pour ne surtout pas aller trop loin.
Et encore, pas toujours. Dans le dossier emblématique du glyphosate, la promesse du chef de l’État n’a même pas été respectée. En novembre 2017, le président Macron avait promis que la substance active du Roundup de Monsanto serait interdite en France « dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans trois ans ».
Quelques mois plus tard, le ministre de l’écologie, Nicolas Hulot, en était déjà à évoquer des « exceptions », semblant préparer le terrain à la reculade de l’exécutif. L’amendement porté notamment par les députés LREM Matthieu Orphelin et Sandrine Le Feur (elle-même agricultrice et ancienne membre de la Confédération paysanne), avec une cinquantaine d’autres élus de la majorité, a été rejeté dans la nuit de lundi à mardi. Si les débats fratricides au sein de LREM sont restés respectueux, ils ont cependant illustré une ligne de fracture nette sur la question de l’environnement et de la santé publique.
Chaque orateur a tenté, coûte que coûte, de convaincre le gouvernement d’écrire noir sur blanc la promesse d’Emmanuel Macron. Et de la voter. Symbole : Barbara Pompili, présidente de la commission du développement durable, et à ce titre garante d’un certain respect de la philosophie du texte, est montée au créneau pour tenter de faire passer l’amendement glyphosate : « Tout le monde s’attendait à ce que cette parole forte soit dans le texte. Et comme il n’y est pas [l'amendement], ça inquiète, ça pose question », a-t-elle déclaré à l’adresse du ministre de l’agriculture. Lequel, sur ce sujet, a joué sur le fait que l’Organisation mondiale pour la santé (OMS) ne classe ce produit que comme « cancérogène probable ».
Pompili explique pourquoi le groupe LREM trahit la promesse de Macron d'interdire le glyphosate. © bartlebus
Matthieu Orphelin, tête de pont de cette proposition, a déclaré dès le lendemain au micro de RMC 3 : « C'est parce que je crois que cette promesse présidentielle est importante qu'il fallait la graver dans le marbre. Ce n'est pas l'alpha et l'oméga, mais aujourd'hui il y a des alternatives qui existent, donc il faut accélérer le déploiement de ces alternatives, il faut accélérer l'accompagnement des agriculteurs. Sur ce sujet-là, on a loupé une occasion importante. »
Il est loin d’être le seul à faire part de sa déception. Le député des Bouches-du-Rhône Jean-Marc Zulesi a tweeté 3 sur « l’occasion manquée », tout comme l’a confié à Mediapart Sandrine Le Feur avant le vote dont l’issue ne faisait déjà peu de doute.
Le week-end précédent, la députée du Finistère avait dû avaler son chapeau quand en pleine distribution de tracts auprès de militants, elle avait découvert un message de Stéphane Travert annonçant préventivement qu’il s’opposerait à toute inscription dans la loi, préférant responsabiliser les acteurs des filières, en bon macronien. La séquence, cocasse, avait été filmée pour l’émission C Politique de France 5 3, la montrant réagir par un spontané « Le salaud ! ».
Frustrations chez certains LREM
Cette tentative de députés LREM, qui complétait des amendements déposés dans le même sens par l’opposition, a eu le don de tendre les représentants du gouvernement. Benjamin Griveaux, le porte-parole du gouvernement, a réitéré la position officielle dès le lendemain matin indiquant qu’il « n’est pas toujours utile de tout inscrire dans la loi. Nous devons travailler en confiance avec les acteurs de la filière pour trouver ensemble les solutions ». Pourtant peu adeptes des corps intermédiaires concernant les politiques sociales, la majorité leur redécouvre une vertu dans cette loi pour ne pas les contraindre à avancer vers plus d’écologie.
La stratégie de l’exécutif a même poussé Richard Ferrand, président du groupe LREM à l’Assemblée nationale, à sortir de son silence et de sa discrétion habituelle pour vanter une – hypothétique – mobilisation générale à la suite de l’engagement du président de la République. Sans bien sûr demander qu’elle soit inscrite dans la loi et en garantir l’issue dans trois ans.
Pour Loïc Prud’homme, député FI de Gironde, la nuit de lundi à mardi a été un « bal des faux culs » 3 : « Avec cet exemple du glyphosate je prends acte, avec une grande colère et une inquiétude immense, que nos dirigeants n'ont pas conscience (ou préfèrent ignorer ?) du désastre sanitaire et écologique qui est en cours. Les agriculteurs-trices en sont les premières victimes, le reste de la population n'est déjà pas épargné. »
À première vue, cette bataille autour du glyphosate rappelle celle qui a animé les débats du projet de loi asile et immigration. En avril, une dizaine de députés LREM avaient, parfois bruyamment, tenté d’assouplir le texte intransigeant et dur de Gérard Collomb, le ministre de l’intérieur. Avec très peu de victoires au bout, une dizaine d'abstentions et un vote contre, celui de l’ex-socialiste Jean-Michel Clément, qui a depuis quitté le groupe.
Cette séquence se révèle un peu différente. Car pour les plus progressistes, il ne s’agit pas de rejeter des mesures du gouvernement, comme ont tenté de le faire leurs collègues un mois plus tôt, mais de le teinter de plus d’écologie, de plus de santé publique et d’informations pour les consommateurs. La discussion au Palais-Bourbon illustre néanmoins, une nouvelle fois, une ligne de fracture au sein de la majorité – que Matthieu Orphelin qualifie de « biodiversité ».
Laurianne Rossi, également active pour améliorer le texte, refuse de parler de tensions mais évoque sa « frustration » : « Certains amendements ne coûtaient rien et n’imposaient rien », regrette-t-elle. À sa suite, une élue critique vertement l’organisation des discussions en interne avec ces amendements retoqués par la commission des affaires économiques et pourtant votés par celle du développement durable. Et qui, de fait, ont poussé certains à les proposer à nouveau en séance, au risque de donner l’image de la division. « On pourrait améliorer la méthode », dit sobrement Matthieu Orphelin pour ne pas mettre de l’huile sur le feu.
Les frustrations ont cependant été nombreuses. C’est le cas, par exemple, sur le sujet de l’élevage des poules en cage. Pendant la campagne et à Rungis 3 le 12 octobre 2017, le candidat puis président Macron en avait promis l’interdiction. Pour couper la poire en deux, le texte la prévoit bien, mais juste pour toute nouvelle installation. Sauf que la France n’en a pas connu depuis plusieurs années… Et pour cause, même les industriels, sous la pression des associations et consommateurs, se détournent des œufs produits dans de telles conditions.
« Sur Twitter, le ministre a reconnu qu’il ne prenait pas de décision sans l’approbation de la filière avicole. Une confession choquante pour un ministre de la République… », a réagi l’association L214, qui se bat sur ce sujet, dans un communiqué. La députée LREM Sandrine Le Feur, qui se dit sensible à la cause animale, tente de justifier le choix du gouvernement : « On ne peut pas demander aux agriculteurs de changer de modèle du jour au lendemain. Donc, là, j’ai envie de faire confiance. »
L’interdiction de la castration à vif des porcelets ou du broyage des poussins mâles, demandée notamment par des députés insoumis ou LR, a également été rejetée.
Des députés MoDem et LREM ont aussi, mais vainement, tenté d’imposer plus de repas végétariens dans les cantines (30 par an pour le MoDem, au moins un par semaine pour LREM). Les députés LR, rejoints par des députés LREM, se sont vivement opposés à la mesure, accusant carrément ses promoteurs de vouloir « imposer un style de vie » aux concitoyens. Le ministre Stéphane Travert a quant à lui tranché, expliquant que cela ne relevait pas de la loi.
Victoire des lobbies, et grosse couleuvre à avaler pour les promoteurs d’une meilleure alimentation : les amendements visant à rendre obligatoire le Nutri-Score, ce code couleur sur tous les supports publicitaires pour des denrées alimentaires visant à une meilleure information nutritionnelle, ont fait long feu.
Quelques avancées brandies en victoires
Dans son opposition à cette mesure, le ministre de l’agriculture avait reçu, dès le 10 mai, le soutien des grands patrons de chaînes de télévision. Delphine Ernotte, la présidente de France Télévisions, Gilles Pélisson, le directeur général de TF1, mais aussi les patrons de Lagardère Active et de NRJ Group, avaient écrit au gouvernement et à quelques députés pour dénoncer ces tentatives de « restrictions relatives à la publicité alimentaire dans les médias » au motif que cette « mention nutritionnelle » risquait de faire fuir leurs annonceurs.
Dans la même veine, la publicité des produits gras et sucrés à la télévision lors des programmes pour enfants, que LREM, PS, Insoumis et même quelques LR ont voulu en vain interdire, ou même simplement limiter, restera en l’état. Tous les amendements ont été rejetés. Cendra Motin, LREM, a argué qu’il s’agissait d’abord de « la responsabilisation des parents » tandis que Bruno Millienne, MoDem, invoquait le risque de « mettre des secteurs en danger » avec une « dérégulation de la publicité » sans concertation européenne.
Face à ces revers, pour garder la tête haute et montrer sa volonté de cohésion avec son groupe parlementaire, Matthieu Orphelin veut rester positif : « J’acte toujours les avancées et les reculs. Notre politique doit être majoritaire. Je préfère que l’on avance ensemble lentement plutôt que d’avoir raison tout seul. » Sa collègue, et alliée de combat, Sandrine Le Feur reconnaît qu’il n’y a « aucun intérêt à être en froid avec Stéphane Travert. J’ai limité mes amendements, il faut rester cohérent dans la majorité. »
Pour se consoler, les députés LREM pourront toujours arguer que le projet de loi a élargi la définition des néonicotinoïdes, ce qui devrait permettre d’interdire les insecticides aux modes d’action similaires. De même, les « préparations naturelles peu préoccupantes » (PNPP), défendues par la Confédération paysanne, ont enfin une existence légale. Jusqu’ici, le purin d’ortie, par exemple, n’était pas autorisé comme traitement alternatif aux pesticides car il ne figurait pas sur la liste des produits autorisés.
Autre motif de satisfaction, l’article 15, qui autorise le gouvernement à recourir aux ordonnances pour imposer la séparation du métier de fournisseur de produits phytosanitaires avec celui de conseiller sur ces mêmes produits, a été adopté dans la nuit de mardi à mercredi. Non sans donner lieu à une âpre bataille dans l’hémicycle, les députés LR reprochant en particulier à leurs collègues LREM de compliquer la vie des coopératives sans forcément simplifier celle des agriculteurs.
Cette séparation est demandée de longue date par les ONG de défense de l’environnement. Cette mesure est complétée par un autre article du projet de loi, qui interdit désormais aux revendeurs de pesticides de faire des rabais et ristournes sur leurs produits.
Une autre promesse de campagne d’Emmanuel Macron, réitérée lors de son discours à Rungis en octobre dernier, a peu ou prou été tenue : le passage à 50 % de produits bio dans les cantines. Certes, le chiffre de 50 % ne concerne plus le bio uniquement (réduit à 20 %) mais également les produits « acquis selon des modalités prenant en compte les coûts imputés aux externalités environnementales » ou bien disposant du Label rouge, par exemple. « Il y a cette fois-ci un peu d’avancée, note tout de même Nicolas Girod de la Confédération paysanne, mais ce qui nous dérange, c’est que cette proportion de 50 % de produits de qualité et 20 % de bio soit renvoyée à un décret. »
« Nous aurions également souhaité que les notions de lien au sol et d’emploi figurent dans la loi », ajoute Nicolas Girod, prenant pour exemple le fait que l’on peut faire du « bio industriel ». La mention des circuits courts ou bien le respect du bien-être animal dans le choix des fournisseurs de la restauration collective sont cependant passés à la trappe. De même que tous les amendements proposant d’étendre le champ d’application de ces dispositions aux gestionnaires privés de service de restauration ont tous été rejetés.
Autres victoires, parfois vues comme symboliques ou anecdotiques, du clan écolo de LREM : l’amendement dit « doggy bag », qui oblige à horizon 2021 tous les restaurateurs à proposer des contenants aux clients pour rapporter leurs restes. La suspension de l’usage de l’additif E171, le dioxyde de titane sous forme de nanoparticule, fait aussi partie des petites victoires sur le gouvernement.
Comme l’est l’interdiction des bouteilles plastique dans les cantines, qui va désormais relever de la loi. Les députés ont voté un amendement en ce sens. L’utilisation des « contenants alimentaires de cuisson, de réchauffe et de service en matière plastique » pourra également être interdite par les communes dans les services de restauration collective dont elles ont la charge, mais simplement à titre expérimental sur trois ans…
L’examen, la semaine précédente du titre I du projet de loi, visant à instituer de nouveaux rapports entre les producteurs et les vendeurs, a en revanche donné lieu à un drôle d’exercice pour l’exécutif. Alors que Macron et son gouvernement fustigent à longueur de temps les corps intermédiaires, Stéphane Travert n’a cessé de s’y référer pour refuser toute législation trop contraignante pour la profession.
Cette partie du texte « renvoie tout aux interprofessions. Nous demandions que l’État puisse arbitrer en dernier ressort, mais le gouvernement a refusé, donnant au médiateur la possibilité de faire du “Name and Shame”, sauf qu’il faudra pour cela l’accord des deux parties ! », se désole Nicolas Girod de la Confédération paysanne. Pour Guillaume Garot, député PS, cette vision de la régulation démontre une fois de plus le « vent libéral qui souffle sur cette majorité, où la préoccupation première est la libération des énergies ». « Rien dans ce texte ne garantit que les agriculteurs vivront mieux demain de leur travail », ajoute l’élu de Mayenne.
« Nous avons porté et adopté des amendements pour que les indicateurs qui serviront à définir les prix soient établis en concertation dans les interprofessions, qu’ils ne soient ainsi pas imposés par une centrale d’achat ou un distributeur seul », se félicite tout de même Matthieu Orphelin sur son site. Mais la Confédération paysanne voulait aller plus loin, en demandant par exemple qu’un prix minimum, correspondant au prix de production, soit défini. Au grand dam de la Conf’, une autre mesure a été supprimée : celle consistant à interdire les sanctions financières pour les paysans passant au bio et rompant leur contrat avec des centrales d’achat.
Le député insoumis Loïc Prud’homme regrette également le rejet de son amendement visant à interdire la vente à perte. En l’état du texte, celui-ci limite le seuil de vente à perte pour les grandes surfaces mais rien ne contraint les acheteurs à acheter au moins au coût de production aux agriculteurs.
« Mais ce ne sont que des mesures ici ou là, regrette Guillaume Garot, député PS et ancien ministre de l’agriculture. Il manque dans cette loi un grand dessein. » Le « grand dessein » des lobbies divers pour torpiller la loi n’a, lui, pas manqué. Dans un communiqué envoyé mercredi matin, le Réseau Action Climat France, qui fédère une vingtaine d’ONG, regrette un texte qui « ferme les yeux sur l’urgence climatique » et en appelle aux sénateurs pour qu’ils « corrigent le tir ». Avec un Sénat à majorité de droite, il est permis d’en douter.
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