par fernando » 18 Juin 2024, 13:10
100 000 boules/mois pour Labrune, la soupe est bonne à la LFP...
Droits télévisés de la Ligue 1 : Vincent Labrune dos au mur
Auprès du « Monde », le président de la Ligue de football professionnel, Vincent Labrune, défend son action alors que le feuilleton de la vente des droits télévisés du football français traîne en longueur.
Dans le confortable canapé où il est assis, Vincent Labrune affiche sa sérénité. « Je dors tranquille », répète-t-il, sur la terrasse du luxueux hôtel parisien où il a donné rendez-vous. Son corps, pourtant, dit tout autre chose : le président de la Ligue de football professionnel (LFP) s’agite nerveusement sur place, se recoiffe sans cesse, enchaîne les cigarettes. Empêtré dans le dossier de la vente toujours inachevée des droits de retransmission de la Ligue 1, l’homme d’affaires de 53 ans est sous pression, de plus en plus ciblé par des critiques résonnant surtout – pour l’instant – à l’extérieur du cercle des dirigeants du ballon rond. « Cela commence à me casser les oreilles », concède-t-il dans la discussion.
A moins de deux mois du début de la nouvelle saison de Ligue 1, la LFP n’a toujours pas trouvé de diffuseur pour les 306 matchs du prochain championnat. Le plan sur lequel M. Labrune comptait depuis l’automne, fondé sur une cession des droits à BeIN Sports puis une rétrocession de certains d’entre eux à Canal+, est à l’arrêt. La chaîne qatari, avec laquelle le président de la Ligue conserve une bonne relation, ne souhaite pas investir seule et assumer l’intégralité du risque. Quant à la filiale du groupe Vivendi, dont l’actionnaire de référence est Vincent Bolloré, elle se montre très peu pressée d’arriver à un accord. Pour obtenir un prix cassé au tout dernier moment ?
« Jusqu’à présent, ni M. Saada [président de Canal+] ni M. Bolloré n’ont jamais voulu négocier ni même discuter avec nous », constate le président de la Ligue, qui n’a plus rencontré le milliardaire depuis 2016, malgré l’amitié commune qui les lie à un entremetteur de l’ombre dans ce dossier, Nicolas Sarkozy. « Ils ont dit ce qu’ils allaient faire et ils ont fait ce qu’ils avaient dit. Pour autant, il faudra bien finir par trouver un moyen de renouer le dialogue d’ici à la fin du mois [le contrat des droits télévisés pour le cycle 2021-2024 prend fin le 30 juin] : il serait irresponsable de prendre une décision sur nos droits audiovisuels sans avoir évalué les possibilités qui existent avec Canal+, s’il y en a… » Sollicité par Le Monde, Canal+ n’a pas répondu.
« Négociation commerciale ardue »
Entre Canal+ et la LFP, le fil a été coupé en juin 2021, lorsque les dirigeants du foot français ont décidé d’attribuer, pour les trois saisons suivantes, les droits de diffusion de la Ligue 1 à Amazon plutôt qu’au groupe français. L’offre du géant américain garantissait une recette minimale de 663 millions d’euros par an, contre 595 millions pour celle de Canal+. « Canal+ n’a pas souhaité s’aligner sur la proposition d’Amazon à ce montant. Les clubs étaient dans une situation financière très difficile à cette époque, ils étaient vraiment à 70 millions d’euros près », poursuit l’ex-communicant, élu à la tête de la Ligue en septembre 2020, juste avant que la défaillance du diffuseur espagnol Mediapro entraîne le foot français dans les turbulences. « Après Mediapro, ma priorité absolue a été de renouer les liens avec Canal+. Cela n’a malheureusement pas été possible, malgré tous nos efforts. »
Ayant observé ces dernières années Canal+ redéployer ses investissements dans d’autres contenus et droits sportifs, notamment dans les compétitions européennes de football commercialisées par l’UEFA, M. Labrune explique avoir cherché d’autres diffuseurs potentiels. « Apple, j’y ai cru », souffle-t-il. Plusieurs réunions ont eu lieu l’an dernier. Mais la société américaine n’a pas participé à l’appel d’offres lancé par la LFP en octobre 2023, finalement déclaré infructueux faute d’enchères satisfaisantes. Les prix planchers, pour les deux principaux lots de la Ligue 1 mis en vente, étaient très élevés, atteignant la somme de 800 millions d’euros. Avant cela, l’ex-président de l’Olympique de Marseille (2011-2016) avait affiché un objectif encore plus haut, à1 milliard d’euros.
On en est loin désormais. Mais M. Labrune reste soutenu par la plupart des présidents de club, dont celui du Paris-Saint-Germain, Nasser Al-Khelaïfi. « On est dans une négociation commerciale qui est toujours ardue. Chaque partie essaye d’aller dans son propre sens. M. Labrune est l’homme de la situation pour mener ce combat », loue Bernard Joannin, président de l’Amiens SC et administrateur de la LFP. « Au conseil d’administration de la Ligue [convoqué le 21 juin], pas un président ne bouge. Ils ont peur de parler, [de] régler leurs comptes et serrent les rangs », commente un bon connaisseur du football français. « A croire que Labrune a hypnotisé les patrons de club », renchérit un ex-dirigeant influent.
Solution de repli
En catastrophe, M. Labrune doit imaginer une solution de repli. Elle consisterait pour la Ligue à créer et à commercialiser sa propre chaîne avec l’intégralité des matchs de Ligue 1, avec un partenaire technique pour la fabrication. A deux mois de la nouvelle saison, le projet semble aventureux. Mais le patron de la LFP, persuadé de tenir avec la Ligue 1 « le spectacle préféré des Français », veut y croire et détaille son plan d’affaires. D’après ses calculs, un tel projet pourrait rapporter un peu plus de 700 millions d’euros en moyenne par an, avec une première année autour de 540 millions d’euros et une cinquième autour de 900 millions d’euros.
« Avec 2 millions d’abonnés, ce qui est une projection très prudente, payant 20 euros par mois pendant dix mois, on est déjà à 400 millions d’euros », anticipe-t-il. Or, une telle chaîne est susceptible, selon lui, d’attirer plus de 3 millions d’abonnés à la fin du cycle 2024-2029, et il projette d’appliquer un tarif de 25 euros par mois. Pour limiter le risque financier, il envisage de s’adosser à un partenaire stratégique (une chaîne) ou financier qui garantirait à la Ligue un niveau minimal de recettes annuelles (650 millions d’euros envisagés), seuil au-delà duquel ce partenaire et la LFP partageraient les bénéfices.
La vente des droits de diffusion du football français n’est pas le seul souci de M. Labrune. En mars, une enquête préliminaire a été ouverte par le Parquet national financier pour détournement de fonds publics, à la suite d’une plainte déposée par l’association AC ! ! Anti-Corruption.
Les investigations se polarisent sur la création, en 2022, par la Ligue d’une société commerciale, LFP Media (présidée par M. Labrune, dont le salaire annuel est de 1,2 million d’euros), et la cession de 13 % de son capital à CVC Capital Partners pour 1,5 milliard d’euros (dont les clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 se sont vu reverser près de 1,2 milliard). En échange, ce fonds d’investissement installé au Luxembourg touche 13 % du bénéfice distribuable de LFP Media, calculé avant la redistribution de ce qui revient aux clubs. Le pacte d’associés prévoit qu’il est possible pour CVC de revendre ses parts au bout de quatre ans ou de les mettre en Bourse au bout de six.
Les conditions dans lesquelles cet accord a été passé sont aussi devenues le principal sujet d’une mission d’information qui se déroule actuellement au Sénat, officiellement consacrée à « l’intervention des fonds d’investissement » dans le football français.
Jusqu’à présent, plusieurs auditions ont tourné à la dénonciation de l’action de M. Labrune à la tête de la LFP. « L’ensemble du deal avec CVC est contraire à l’intérêt supérieur du football », a déclaré le président du club du Havre, Jean-Michel Roussier. Cet ancien dirigeant de Mediapro a engagé une action judiciaire contre la façon dont les fonds de CVC ont été répartis entre les clubs – le PSG a touché la plus grosse part, avec 200 millions d’euros, tandis que l’Olympique de Marseille et l’Olympique lyonnais ont récupéré chacun 90 millions.
Les deux sénateurs qui dirigent les travaux de la mission, Laurent Lafon et Michel Savin, s’intéressent de très près au bonus de 3 millions d’euros empoché par M. Labrune après la conclusion de l’accord avec CVC, ainsi qu’aux 37 millions d’euros d’honoraires des banques d’affaires impliquées, Lazard et Centerview Partners, et du cabinet d’avocats d’affaires Darrois.
Décisions critiquées
Font aussi débat plusieurs décisions impulsées par le président de la LFP, dans un contexte de morosité économique pour le football français : l’achat d’un nouveau siège à Paris pour plus de 120 millions d’euros ou le passage de la Ligue 1 à dix-huit clubs (qui réduit le nombre de matchs dans une saison, donc baisse la valeur du produit).
Ces critiques agacent M. Labrune, dont l’audition au Sénat est attendue début juillet. « Nous avons lancé un processus ouvert avec deux banques d’affaires reconnues sur la place de Paris, à l’issue duquel nous avons choisi la meilleure des quatre offres, plaide M. Labrune. Nous avons valorisé LFP Media à 11 milliards d’euros, ce qui est un exploit dans les conditions de marché de l’époque. » « Personne ne peut remettre de bonne foi en cause la qualité de cet accord », insiste M. Labrune, pour qui son bonus se justifie par le « rôle-clé » qu’il a joué dans « la réalisation d’une opération de cette ampleur, qui a été salvatrice pour le football français et qui, à la différence de Mediapro, a été délivrée ».
Le président de la Ligue vante les montants en nette hausse touchés sur la vente des droits internationaux (160 millions d’euros), sur le naming (avec McDonald’s) ou sur les droits liés aux paris en ligne.
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« Avec les équipes de la Ligue, nous considérons que nous avons fait un boulot remarquable depuis notre arrivée, développe celui qui est à la tête d’une structure aux effectifs renforcés, d’environ 130 personnes. Si c’était à refaire, nous reprendrions exactement les mêmes décisions, car c’étaient les seules à prendre dans l’état de délabrement dans lequel se trouvait le football professionnel français à tous les niveaux, fin 2020. »
Le mandat de M. Labrune à la tête de la LFP s’achève en septembre. Sa reconduction dépend étroitement de l’issue du dossier des droits domestiques. « Nous sommes dans un combat, dit-il. Mon travail est de me battre jusqu’à mon dernier souffle pour défendre l’intérêt de nos clubs. Si nous perdons cette bataille, je le dirai et je l’assumerai. Mais elle n’est pas finie. Laissons-nous une chance de réussir. »
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