par fernando » 31 Oct 2024, 14:05
Michel Savin, sénateur (LR) : « Le football français est passé du mirage à la désillusion »
Dans un entretien au « Monde », le rapporteur de la mission d’information du Sénat sur la « financiarisation du football » revient sur les principaux constats établis par le rapport après le fiasco de l’attribution des droits télévisés de la Ligue 1.
Au terme de six mois de travaux, la mission d’information du Sénat sur « l’intervention des fonds d’investissement dans le football professionnel français » a rendu et adopté à l’unanimité son rapport, mardi 29 octobre. Dans un entretien au Monde, son rapporteur, Michel Savin (Les Républicains, Isère), dénonce notamment un milieu qui « vit au-dessus de ses moyens ».
Quel constat faites-vous de l’état économique du football professionnel français ?
Après le vote de la loi, en mars 2022, qui définissait les conditions de la création de la société commerciale de la Ligue de football professionnel (LFP), notre mission avait un double objectif : savoir où en était le football professionnel deux ans après cette création et s’interroger sur l’intervention des fonds d’investissement dans les clubs français.
Si l’arrivée du fonds CVC Capital Partners à hauteur de 1,5 milliard d’euros a été, à l’époque où le contrat a été signé [en 2022], une réelle bouée de sauvetage pour la plupart des clubs, alors en très grande difficulté financière, l’objectif affiché à l’époque de vouloir rattraper les quatre grands championnats européens s’éloigne. On espère que certains clubs ne mettront pas la clé sous la porte cette saison.
Qui est responsable de la crise ? Un système ? Quelle est plus spécifiquement la responsabilité de la gouvernance de la Ligue ?
Le foot français vit au-dessus de ses moyens. Il est passé du mirage à la désillusion. Les clubs doivent faire un travail de fond pour obtenir d’autres recettes. Car les droits TV de la Ligue 1 sont ce qu’ils sont [un peu moins de 500 millions d’euros par saison après l’attribution des droits cet été à DAZN et BeIN Sports].
Quelle est la responsabilité des pouvoirs publics dans les défaillances observées autour de la création de la société commerciale de la LFP, l’accord financier avec CVC ?
Je constate la discrétion des pouvoirs publics et de la Fédération française de football (FFF) dans tous les épisodes qui se sont succédé dans le foot professionnel. Notamment sur le plan du respect de l’intérêt général, du principe de solidarité, de la vérification et du respect de la convention de subdélégation de service public qui lie la LFP à la FFF. On a d’ailleurs appris que le ministère des sports n’avait pas eu connaissance du pacte d’associés avec CVC ni du montage financier de la société commerciale.
Pourquoi la rémunération de Vincent Labrune, le président de la LFP, vous choque-t-elle ?
On ne peut pas admettre que, lors du deal avec CVC, des intermédiaires [les banques d’affaires Lazard, Centerview et le cabinet d’avocats Darrois] aient été largement rétribués sur une enveloppe de 37,5 millions d’euros, et que le président de la LFP ait touché à titre personnel un bonus de 3 millions d’euros et triplé son salaire. C’est très discutable de verser des bonus lors d’une augmentation de capital. C’est une question de principe, de conflit d’intérêts. La LFP aurait pu faire un autre choix que de faire monter CVC au capital, c’est-à-dire emprunter, mais il n’y aurait pas eu de bonus.
Pour nous, il y a une économie du foot à réinventer. Le foot pro ne peut pas espérer chaque année retrouver la poule aux œufs d’or qui amène 1 milliard d’euros. Il faut être réaliste.
Avec le recul, quelles auditions vous ont le plus marqué ?
Celles de présidents de club nous ont surpris, car on voyait bien qu’ils avaient une très faible connaissance du dossier de la création de la société commerciale, et un manque de connaissance du pacte d’associés et du pacte financier de la LFP, dont les conséquences ne sont pas neutres sur l’économie du foot. Ils ont fait confiance à une personne [Vincent Labrune]. C’est un peu surprenant quand on est à la tête de clubs professionnels avec des enjeux aussi importants.
Lors des auditions à huis clos, on nous a dit à plusieurs reprises qu’il y avait un cas dans notre championnat qui pose problème, avec un président qui a une double casquette [Nasser Al-Khelaïfi, président du Paris Saint-Germain, membre du conseil d’administration de la LFP et patron du diffuseur BeIN Sports].
La direction de la LFP considère que c’est injuste d’être jugée à court terme. Que répondez-vous ?
Je n’entends absolument pas cet argument. Il y a eu une succession d’affaires liées aux diffuseurs, Mediapro, Amazon, Canal+ ; puis la promesse de 1,1 milliard d’euros de droits TV. On est à peine à la moitié des objectifs aujourd’hui, et ça peut avoir des conséquences assez dramatiques pour les clubs. Il était urgent de réagir et de dire que le foot français vit au-dessus de ses moyens et risque d’aller dans le mur.
Que pensez-vous de la gestion du football français par Vincent Labrune depuis quatre ans ?
Toutes les décisions prises au niveau de la LFP l’ont été avec le vote des présidents de club. Donc ce n’est pas la décision d’un seul homme, même si l’on voit bien la place que tient le président de la Ligue et le pouvoir qui est peut-être le sien au sein de la LFP. Mais il y a eu des votes et des délibérations. Quand je vois qu’une partie des présidents ont pris des décisions sans connaître le pacte d’associés et le pacte financier, font confiance au président, se retrouvent aux abois et se disent « si on n’a pas ça, on n’a rien »… Ceci ne démontre pas un bon fonctionnement d’une Ligue. On voit aussi le pouvoir de certains et les pressions que peuvent avoir certains présidents par rapport à d’autres.
Dans quelle mesure le football professionnel peut-il s’approprier vos préconisations ?
Une partie des recommandations seront du fait du bon vouloir de la LFP et de la société commerciale, de la FFF, du ministère. Parmi les 35 propositions, une grande partie sera incluse, dans les prochaines semaines, dans une proposition de loi. Là, le droit devra s’appliquer.
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