par fernando » 02 Fév 2021, 13:35
Droits TV : le football français se donne 48 heures pour éviter le chaos
L’appel d’offres pour les droits de la Ligue 1 et de la Ligue 2 du championnat de France est resté infructueux. La LFP espère que Canal+ reviendra à la raison.
Assommé par le Covid-19, qui a vidé les stades, et par la défaillance de l’éphémère Mediapro, le football français ne pouvait qu’être désespéré lundi 1er février. La Ligue de football professionnel (LFP) a déclaré infructueux l’appel d’offres pour la diffusion du championnat de football sur les saisons 2020-2024. De quoi donner des sueurs froides aux présidents de club qui voient leurs caisses se vider alors que Telefoot − la chaîne créée par Mediapro − doit arrêter la diffusion du championnat ce 3 février. La LFP s’est donné quarante-huit heures pour réfléchir « aux prochaines étapes de la commercialisation des droits ».
Ni Canal+, ni BeIN Sport, ses deux partenaires historiques, n’ont finalement déposé d’offre. A la Ligue, l’absence du duo n’était pas une surprise. Les deux groupes audiovisuels l’avaient informé qu’ils ne participeraient pas à une compétition, dont ils contestent les règles. Contrairement à ce qu’ils prônaient, la LFP n’a pas remis en jeu la totalité du championnat, mais seulement 80 %, autrement dit les huit matchs hebdomadaires de Mediapro. Les deux matchs restants appartiennent toujours à BeIN Sports, qui les a sous-licenciés à Canal+ pour 330 millions d’euros par an. Or, aux yeux de Canal+, la valeur de ce lot est désormais « artificiellement élevée », car issue de l’appel d’offres de 2018 quand Mediapro avait fait monter les enchères. La filiale de Vivendi a assigné la LFP devant le tribunal de commerce, et l’Autorité de la concurrence pour dénoncer cette procédure.
Tour de chauffe
Dans ce contexte délicat, la LFP jouer son va-tout face à un Canal+ bien décidé à la faire plier. Car la procédure ne lui a pas réservé que des mauvaises surprises. Trois acteurs majeurs de l’audiovisuel, Amazon, Discovery, et le britannique Dazn, une plate-forme de streaming consacrée aux sports, se sont portés candidats, même si aucun lot n’a atteint le « prix de réserve » (prix plancher en dessous duquel un lot n’est pas attribué). Un quatrième candidat s’est également présenté : Jean-Michel Roussier, qui avait un projet avec un fonds d’investissement. Pour le directeur éditorial de Telefoot (la chaîne de Mediapro), qui fut aussi président de club, il s’agissait plus d’un tour de chauffe afin d’avoir éventuellement le droit de participer à une négociation ultérieure.
Avec ces nouveaux entrants, la Ligue aurait pu choisir d’entamer des négociations de gré à gré, comme le lui permettait l’appel d’offres. Elle a choisi une autre option, celle de déclarer la procédure infructueuse. L’idée : laisser une chance à Canal+ de revenir dans la course. Pour mémoire, la filiale de Vivendi avait formulé, en novembre dernier, une offre « orale », proposant de reprendre la totalité du championnat pour 590 millions d’euros, avec un bonus de 100 millions à calculer en fonction du nombre d’abonnés. Sans finalement la concrétiser. Faisant peut-être le pari qu’il serait le seul dans la course, le groupe de Vincent Bolloré avait finalement poussé à l’organisation d’un appel d’offres sur la totalité du championnat. Persévérera-t-il dans ce sens ? Ou acceptera-t-il de s’asseoir à la table des négociations, comme l’a longtemps espéré la LFP ?
Le lot A, très prestigieux, aurait pu être convoité par Canal+, qui rêve de récupérer le match du dimanche soir
Avec de tels acteurs dans le jeu, une partie des matchs risque d’échapper à Canal+. C’est en tout cas ce que la Ligue espère lui faire comprendre. Selon nos informations, Discovery, qui possède Eurosport, et le groupe de Jeff Bezos ont manifesté leur intérêt pour des lots « premium » de la Ligue 1. De bonne source, le géant de la distribution en ligne a notamment porté son intérêt sur le lot A, qui comprend un match par journée de championnat, dont « dix matchs de premier choix et le grand magazine du dimanche ». Ce lot très prestigieux aurait pu être convoité par Canal+, qui rêve de récupérer le match du dimanche soir. Contactée, l’entreprise de Jeff Bezos ne fait pas de commentaires. La Ligue 1 achèverait de positionner Amazon comme un acteur de premier plan dans la diffusion sportive. Le lot C, qui réunit trois multiplexes, le Trophée des champions et deux matchs de barrage, pourrait également correspondre à la stratégie d’Amazon de viser des « lots premium et ciblés », mais il est beaucoup plus modeste.
Les ambitions d’Amazon
Jusqu’à récemment, dans le football, Amazon privilégiait l’aspect « événementiel » des compétitions. Au Royaume-Uni, la plate-forme diffuse vingt matchs du championnat concentrés sur deux journées, avant Noël. Ces rendez-vous servent de moteur d’abonnement à Prime, son service de livraison rapide commercialisé 49 euros par an, et qui donne accès à Prime Video, sa plate-forme de streaming. Mais Amazon nourrit de plus grandes ambitions.
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« Nous nous sentons de plus en plus confiants dans la diffusion du sport en direct », a expliqué le patron des achats de droits Alex Green dans un entretien à L’Equipe dimanche 31 janvier, précisant qu’il « sait produire et diffuser le sport en volume ». Amazon a acquis un match exclusif par journée de Ligue des champions, en Allemagne et en Italie, à partir de septembre. Et 37 tournois de la saison ATP de tennis diffusés au Royaume-Uni. « La priorité est de trouver le bon lot sur un certain marché, qu’on peut marketer efficacement, et qui fait sens économiquement », a expliqué le dirigeant.
Quant aux supporteurs, ils ne savent toujours pas où ils regarderont le prochain OM-PSG dimanche 7 février
L’heure tourne pour la LFP. Le 5 février, ses diffuseurs doivent s’acquitter de leur prochaine échéance. Le 12 janvier, le président du directoire de Canal+, Maxime Saada, avait laissé entendre dans un entretien au Figaro qu’il ne se sentait plus tenu de payer. Sauf que c’est son partenaire, BeIN Sports, qui reste le client de la LFP. Canal fera-t-il défaut auprès du Qatari ? Et, en retour, BeIN Sports, dont le président Nasser El-Khelaifi est également patron du PSG, osera-t-il ne pas verser son dû à la LFP ? Quant aux supporteurs, ils ne savent toujours pas où ils regarderont le prochain OM-PSG dimanche 7 février. M6 s’est bien proposé, mais la LFP n’a pas envie de donner gratuitement son match. Mais, c’est promis, « il n’y aura pas d’écran noir ».
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