par fernando » 12 Jan 2021, 10:15
Football : « Si on ne diminue pas les charges salariales, il n’y aura pas de miracle »
Le président du Stade de Reims, Jean-Pierre Caillot, évoque la situation d’urgence des clubs français avant le début de négociations, mardi, avec le syndicat des footballeurs professionnels, sur une éventuelle baisse de salaires.
Confronté à une double crise, sanitaire et financière (matchs à huis clos et retrait du diffuseur Mediapro), le football français entame, mardi 12 janvier, à 14 heures, des négociations avec le syndicat des joueurs, l’Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP), pour tenter d’obtenir un accord-cadre, préambule obligatoire avant toute éventuelle baisse des salaires. Jean-Pierre Caillot, le président du Stade de Reims, sera l’un des représentants de la délégation « patronale ».
Pourquoi vouloir discuter des salaires maintenant ? La situation des clubs est-elle aussi dramatique ? Les faillites dans le football français restent rares…
J’ai souhaité que cette réunion se fasse une fois que le contrat avec Mediapro a été rompu. J’espérais avoir le plus d’éléments possible avant. J’espérais aussi que la Ligue ait déjà trouvé un nouveau diffuseur, mais ça sera a priori plus long que prévu. Le spectre des discussions va des reports de rémunérations jusqu’aux baisses. Cela s’appelle du dialogue social.
Aujourd’hui, nous sommes confrontés à la prolongation du huis clos et à la défaillance de notre diffuseur. Il est opportun de se remettre autour d’une table. Nos revenus sont de zéro en billetterie et en hospitalité, il manque 600 millions d’euros sur les droits télévisuels et pourtant nos charges sont à peu près identiques, puisque la charge principale est la masse salariale. A Reims, elle représente environ 60 % du budget, 55 % à 65 % en moyenne pour les clubs.
Vous parlez de faillites. Les dernières au Mans, à Sedan ou à Bastia étaient liées à des mauvaises gestions. Là, je le répète, nos revenus stade sont à zéro à cause de la crise sanitaire et seulement 41 % des droits télévisuels sont sécurisés. Concrètement pour mon club, j’avais budgétisé pour ce poste 35,458 millions d’euros et ce ne sont que 14,674 millions d’euros qui tombent. Ce n’est pas lié à de la mauvaise gestion.
Si la pandémie n’est pas du ressort du football français, l’erreur du choix de Mediapro l’est bien…
Lorsque j’ai rencontré le président Macron l’année dernière, il m’a également fait cette remarque : en gros, « vous avez cru au Père Noël ». Je rappelle que le contrat des droits TV 2016-2020 était de 816 millions d’euros et que même sans Mediapro, nous aurions flirté avec le milliard. Et puis, quand on les a choisis, Mediapro n’avait rien d’une coquille vide. Les avocats et les conseils qui accompagnent la Ligue ont tous considéré que le dossier était sûr. C’est facile d’être donneur de leçons après.
Ma réalité, dorénavant, c’est que les clubs français puissent payer leurs joueurs jusqu’à fin juin. Si on ne diminue pas les charges, il n’y aura pas de miracle. Il y aura d’un côté les clubs avec des actionnaires puissants qui auront la trésorerie, puis de l’autre, 60 % à 70 % des clubs qui n’en auront pas la capacité. Et j’insiste, ce n’est pas un problème de gestion.
A Reims, combien manque-t-il, par exemple, pour boucler la saison ?
Il y a un manque à gagner de 31 millions d’euros sur le budget prévisionnel. Mais cet été, le club a réalisé plus de ventes que ce qui avait été inscrit au budget. Comptablement, mon exercice sera déficitaire mais pas catastrophique. Mon vrai problème se situe sur la trésorerie : il manque un peu plus de 10 millions. Quand je transfère Axel Disasi pour 13 millions, Monaco me paie sur trois ans. Je n’ai donc pas cet argent dans la caisse. Alors je vais faire de l’affacturage, des choses de ce genre. Ce n’est pas simple…
En avril 2020, vous aviez déjà conclu un accord-cadre sur les salaires. Avait-il été appliqué ?
Il s’agissait d’un report dans nos trésoreries des sommes dues aux joueurs. Assez rapidement, nous avions été fixés sur la fin du championnat et la perspective de la nouvelle saison avec le contrat Mediapro qui débutait. Il n’y avait plus de raisons de demander des efforts supplémentaires. L’accord-cadre avec le syndicat des joueurs était une base. Ensuite, il fallait avoir une discussion par individu. Dans beaucoup de clubs, le retour avait été positif. Cela n’a pas été le cas partout : peut-être aussi parce que certains présidents ont voulu des concessions plus importantes et n’ont finalement rien obtenu. A Reims, ça s’est fait en quarante-huit heures.
Cette fois-ci, cela ne risque-t-il pas d’être plus compliqué de faire accepter une baisse et non un report ?
Oui, on en a bien conscience. Il faut d’abord trouver ce que l’on pourrait appeler ailleurs un accord de branche. Les gens de l’UNFP vivent sur la même planète. Ils savent la problématique des salaires dans les comptes d’exploitation des clubs. Le football est un secteur particulier avec une inflation des salaires assez exceptionnelle depuis dix ans.
N’est-ce pas avant tout les propriétaires, les présidents et les intermédiaires qui en sont responsables ?
C’est la ressource dans son ensemble qui est inflationniste. On parle des salaires des joueurs mais tout le monde est concerné. Il va falloir regarder toutes les lignes de dépense. Si les entreprises déposent le bilan, les joueurs seront au chômage et pour le coup, on connaît le maximum de l’indemnisation qui est très éloigné de la rémunération moyenne d’un footballeur.
Au-delà de ces négociations, les clubs ne vont-ils pas devoir réduire leurs effectifs et baisser les propositions de salaires lors des renouvellements de contrat ?
C’est ce qui va se passer à moyen terme. Sans oublier que le marché des transferts va s’effondrer. On en a eu un premier aperçu à l’intersaison, où la totalité des opérations du mercato est passée de 5,5 milliards d’euros en 2019 à 3,5 milliards en 2020 sur l’Europe. Lors de ce mercato d’hiver, ça n’a pas l’air de bouger beaucoup [peu de transferts de joueurs et de mouvements financiers] ; et cet été, ça s’annonce catastrophique.
Tout ce que vous me dites c’est du moyen terme, sauf qu’à moyen terme, il faudra encore être vivant. Or, la situation est urgente. Les joueurs sont des citoyens conscients. Quand je parle avec eux, ils se rendent bien compte que si l’argent ne rentre pas dans la caisse, comme je ne suis pas un Etat ou un milliardaire, c’est la pérennité du club qui est remise en question. Je ne suis pas aussi pessimiste que vous sur le fait que les joueurs, qui ont des revenus importants, ne soient pas sensibles et fassent un effort.
Par exemple, sans que je ne lui demande rien, l’un de mes joueurs [Xavier Chavalerin] a expliqué dans une interview que s’il devait faire un effort pour sauver les autres salariés, il le ferait.
Comment peut-on maintenir l’harmonie d’un vestiaire lorsque l’on connaît les écarts de salaires importants au sein d’une même équipe ?
Je ne veux pas déflorer les négociations qui n’ont pas encore débuté, mais j’imagine que comme l’année dernière, c’est sur les gros salaires que l’effort doit porter le plus, et pas sur celui qui gagne 3 000 euros. La baisse est plus entendable par quelqu’un qui gagne 50 000 euros ou 60 000 euros.
Au-delà des salaires, cette crise ne doit-elle pas conduire le football français à arrêter de vivre au-dessus de ses moyens et mieux travailler ?
Bien sûr, il y aura un monde d’après, comme dans tous les secteurs d’activité. Mais permettez-moi de vous corriger, l’image que vous décrivez est celle de quelques clubs. Je dirige le Stade de Reims comme ma PME régionale, et je n’ai pas attendu la crise pour faire attention à chaque dépense. Dans la presse, on ne parle que des clubs à problèmes et jamais des autres.
Lire aussi « S’il faut sauver le football français, c’est d’abord de lui-même »
Cette crise ne risque-t-elle pas d’accélérer un football à deux vitesses et de rendre les grands clubs encore plus égoïstes, à l’image du projet de Superligue quasi fermée au niveau européen ?
C’est tentant pour certains, car les gros souffrent aussi. Des mutations vont s’opérer. Je ne sais pas si ça passera par une Superligue. J’ai une vision différente. Pour moi, c’est l’incertitude du résultat qui fait la valeur du produit.
"L'alcool tue lentement. On s'en fout, on a le temps."