par fernando » 12 Déc 2016, 11:38
Plus fourbes que les asiatiques : les portugais
L’incroyable fiction de l’agent de Ronaldo et Mourinho pour gruger les impôts
Jorge Mendes n'est pas l'agent de Mourinho : tout ce qui se raconte sur le sujet depuis douze ans est faux. C'est ce qu'ont essayé de faire croire les deux hommes à l'administration fiscale espagnole pour payer moins d'impôts. Un argumentaire risible, qui illustre bien les méthodes du clan.
Non contentes de dissimuler une partie de leurs revenus dans des paradis fiscaux pour échapper à l'impôt, certaines stars du foot ont trouvé une autre combine pour diminuer leurs impôts : elles font payer les commissions de leurs agents par les clubs qui les emploient. L'intérêt est double. Primo, le paiement par les clubs autorise la récupération de la TVA, alors que si le joueur paye directement son agent, il ne la récupère pas. Secundo, si le club paye à la place du joueur, celui-ci minimise son impôt sur le revenu, le paiement par le club représentant pour lui un revenu déguisé et net d'impôt.
Mais certains services fiscaux n'acceptent plus ce système. C'est le cas en Espagne : pour le Trésor public, le paiement des commissions par les clubs constitue bien un complément de salaire pour le joueur, qui doit payer des impôts supplémentaires. Ainsi, en 2015, l'Agencia Tributaria s'intéresse aux poulains de l'écurie de Jorge Mendes, l'agent des plus grands (Ronaldo, Mourinho…), ce qui alarme l'avocat Julio Senn, défenseur de ces stars du foot avec son cabinet madrilène Senn Ferrero.
Le 17 juin 2015, Julio Senn prévient par mail Carlos Osório de Castro, l'avocat fidèle du super agent portugais : ça sent le roussi. Certes, il a réussi à contenir les premières investigations du fisc sur les droits à l'image dissimulés dans des paradis fiscaux, qui se sont terminées sans trop de dommages (lire notre enquête ici). Mais voilà que le Trésor public revient à la charge sur ce dossier des « commissions Gestifute », du nom de la société de Jorge Mendes.
Le fringant Portugais a pourtant bien prévu le coup. Qui peut prétendre qu'il est l'agent de toutes ces vedettes ? Prudent, il n'apparaît pas dans les contrats de Cristiano Ronaldo, José Mourinho, Pepe Carvalho ou Tiago. La légende veut qu'il préfère ne jamais rien signer, étant avant tout un homme de parole (lire ici son portrait). Mais cette légende a une raison bien pragmatique : grâce à cela, il fait payer ses commissions par les clubs, et tout le monde est content, sauf l'État, qui voit des taxes s'envoler. Rien que pour les commissions payées aux agents par le Real, le Trésor public espagnol estime la perte en impôts à plus de 11 millions d'euros.
Voilà pourquoi les inspecteurs du fisc s'accrochent aux basques du Portugais en se montrant plus sévères que pour l'affaire des droits à l'image. Ils veulent appliquer une pénalité de 75 %, mais Julio Senn n'est pas d'accord et veut se battre. Comment ? Selon les documents Football Leaks, l'avocat suggère une pirouette : prétendre que Mendes n'était pas l'agent des stars concernées.
Ainsi, pour José Mourinho, le coach actuel de Manchester United (MU) dont les documents Football Leaks montrent qu'il a caché sur un compte en Suisse 12 millions d'euros provenant de ses droits à l'image (lire ici), Julio Senn va demander au Real Madrid de témoigner que Mendes était l'agent du club, pas celui de l'entraîneur de l'équipe madrilène pendant la période 2010/2013, qui a vu le Real payer à Jorge Mendes un total de 1 971 600 euros de commissions.
La fiction est totale. Tout le monde sait que Mendes est de longue date l'agent de Mourinho, celui qui a lancé sa carrière en le transférant de Porto à Chelsea en 2004, et qui le suit depuis fidèlement, de l'Inter au Real en repassant par Chelsea et maintenant MU. L'agent s'en est amplement vanté neuf mois plus tôt dans son « autobiographie » La Clave Mendes (« La Clé Mendes »), sortie en Espagne en janvier 2015. Et comme au fisc espagnol on s'intéresse au foot et on lit les journaux, on ne mord pas à l'hameçon.
Les inspecteurs s'en amusent même, établissant le schéma d'une table de négociations avec d'un côté, le Real et le « Sr Mendes » ensemble, et de l'autre, tout esseulé, Mourinho. Le fisc tique sur cette représentation : « Il est de notoriété publique que Jorge Mendes est l'agent de José Mourinho, assure-t-il, pas du Real. » Les inspecteurs se réfèrent aux « articles de presse, interviews, publications dans des livres ou sur des pages web ». Aussi tracent-ils un nouveau schéma, où l’on voit le Mou et Jorge Mendes ensemble, face au Real. « La réalité, c'était plus comme cela », commentent-ils.
D'humeur badine, les enquêteurs reproduisent même, dans une inspection similaire sur Fabio Coentrao, une photo publiée sur son compte Facebook, où le défenseur pose avec « le meilleur agent du monde » et assure : « C'est un plaisir d'être représenté par lui. » Difficile, ensuite, de prétendre le contraire.
Forte de son enquête, l'Agencia Tributaria présente le 30 juillet 2015 l'addition à Mourinho, jugé coupable d'avoir sous-évalué sa déclaration de revenus : un redressement à 881 369 euros (756 509 euros d'impôts impayés et 124 860 euros d'intérêts). La facture totale, avec la pénalité de 571 073 euros, atteint 1,4 millions (1 452 442 euros).
Trop cher pour Mourinho, qui joue la montre et néglige la date limite de paiement fixée au 7 septembre. C'est risqué. Un de ses avocats, Diego Rodriguez du cabinet Garrigues, prévient que le fisc pourrait se fâcher et saisir ses comptes en Espagne, voire s'attaquer à ses avoirs en Grande-Bretagne où il réside. Mais le Mou s'obstine, et ses avocats sont d'accord pour ne pas lâcher la partie. Pour Diego Rodriguez, selon sa réponse à l'EIC, le redressement fait suite à un « changement de critères » de la part du Trésor public, changement qui a, selon l'avocat, produit une « situation injuste », puisque le fisc « considère le paiement à l'agent par le club comme un salaire imposable, mais n'autorise pas de déduction sur ce paiement » s'il est effectué par le joueur.
Les avocats veulent donc combattre cette « injustice ». Ils font d'abord valoir que la réalité des contrats constitue à leurs yeux une meilleure preuve que des articles de presse décrivant Mendes comme l'agent de Mourinho. Sans convaincre. Alors, le 4 octobre, Julio Senn tente le tout pour le tout. Il demande à Luis Correia, neveu de Mendes et un des boss de son agence Gestifute, de faire signer des lettres par Gestifute, Mendes et Mourinho assurant que Mendes travaillait bien pour le Real. Seul problème : Mourinho doit antidater sa lettre de quelques jours, pour faire croire que c'est lui qui a initié cette demande, et que le club madrilène a pris quelques jours pour répondre. Sa lettre est donc signée du 29 septembre.
Le même 4 octobre, Julio Senn transmet au patron du Real, José Ángel Sánchez, la demande de Mourinho pour confirmer que Mendes était bien l'agent du club, en joignant fort aimablement une proposition de réponse écrite par ses soins, que le Real n'a plus qu'à signer. Du travail bien mâché. Quel dévouement. L'autre avocat, Diego Rodriguez, qui a la pression – on travaille contre la montre, indique-t-il –, se doute qu'avec le Real, ce sera un peu plus délicat. Pour dissiper toute crainte, Senn précise au président que Carlos Osorio, l'avocat de Mendes, a validé l'affaire, et que cela ne mettra pas le Real en difficulté. Une simple routine, en quelque sorte.
Mais le recours final de Mourinho ne fera pas état de lettre du club. Y figurent juste celles de Gestifute et de Mendes. Le document préparé à l'intention de l'agent – signé du 30 septembre – précise qu'il n'a, vis-à-vis de Mourinho, « jamais agi en son nom, ni dans son intérêt ou à sa requête » lors de la négociation avec le club madrilène, mais « exclusivement en faveur du Real ». Oui, vous avez bien lu : l'agent de Mourinho affirme qu'il n'est pas l'agent de Mourinho.
Un peu gros alors que, depuis plus de dix ans, Jorge Mendes se sert du coach et de ses multiples succès pour promouvoir son business, mais la manœuvre illustre bien le fonctionnement de certains agents : les papiers, les signatures et les contrats, on les tord comme on veut, et qu'importe qu'ils ne reflètent pas la réalité ou la contredisent. Avec la FIFA, peu regardante, ça passe généralement. Avec le fisc, cela s'annonce plus difficile, surtout qu'il faut lui faire avaler une autre énormité.
Dans ce cas de figure, Mourinho n'avait pas d'agent lors de ses négociations avec le Real. À ce niveau, c'est impossible. Si les avocats avaient anticipé une enquête fiscale, ils auraient pu lui adjoindre un agent lambda. Mais là, la défense doit trouver des arguments a posteriori, et cette gymnastique risque de se retourner contre elle : un magistrat mal luné pourrait considérer que Mourinho tente de tromper le fisc. On passerait alors du simple redressement à une procédure pénale et cela alourdirait son cas, sachant que dans l'autre affaire concernant les 12 millions d'euros planqués en Suisse, les documents Football Leaks montrent que le coach et ses conseils ont caché des informations au Trésor public (lire ici).
D'autant que les inspecteurs débusquent une troisième difficulté. Comme Jorge Mendes détient Gestifute, qui a 20 % de la société Polaris, et comme Polaris détient 20 % des droits à l'image des joueurs de son écurie, l'agent se retrouve donc avec 4 % de ces droits (20 % de 20 %). Peut-il être l'agent du club comme il le prétend, tout en détenant 4 % des droits du coach ? Cela crée un conflit d'intérêts. À moins qu'il ne soit pas l'agent du club, mais bien celui du coach.
Malgré ces arguments en sa défaveur, Don José Mario Dos Santos Mourinho dépose le 22 décembre 2015 un recours de 52 pages demandant l'annulation du redressement, arguant en plus que selon lui, le délai légal d'enquête a été dépassé par le fisc. Même si, selon le dossier, ce sont surtout ses avocats qui ont fait traîner la procédure.
On ignore ce que ce recours est devenu. Selon son cabinet d'avocats Garrigues, la procédure est examinée par une cour administrative d'appel et il n'y a pas encore eu de décision. Sans s'exprimer sur ces faits, José Mourinho a publié un communiqué le 6 décembre via Gestifute qui, rappelons-le, n'était pas son agent lors de son passage au Real : ayant vécu en Espagne de juin 2010 à mai 2013, il y a payé « plus de 26 millions d'euros en impôts, soit un taux moyen d'imposition de 41 % ». Et le fisc espagnol a « certifié qu'il est en règle avec ses obligations fiscales » – mais ça, c'était avant les révélations des Football Leaks.
Dans sa réponse à l'EIC, l'avocat Diego Rodriguez précise que le redressement concerne deux contrats de 2010 et 2012, dans lesquels son cabinet Garrigues ne porte aucune responsabilité, n'ayant pas participé à leur rédaction. Et il nie avoir conçu des actes de « tromperie ou de falsification », arguant que les lettres en question « ont été faites à la demande des parties ». De leur côté, les avocats de Julio Senn ont indiqué qu'il n'entendait pas répondre, mais on sait qu'il conteste avoir participé à établir des documents pour tromper les autorités fiscales.
Pendant ce temps, les agents du fisc espagnol, bien échauffés avec le cas Mourinho, se sont intéressés à d'autres joueurs, dont un bon client de Mendes, Cristiano Ronaldo (CR7). Le 3 décembre 2015, Julio Senn informe les personnes concernées qu'il a été notifié d'une inspection fiscale concernant CR7 pour les années 2011, 2012 et 2013, qui peut durer 18 mois, soit jusqu'en mai 2017. Senn croise les doigts : l'inspectrice chargée du dossier est la même que pour Mourinho, et il pense avoir une bonne relation avec elle. D'ailleurs, par mail, ils se souhaitent de « bonnes fêtes ». Derrière ces amabilités, il imagine qu'il sera question des « commissions Gestifute ».
Le 12 janvier 2016, l'avocat prévient qu'il faut se tenir prêt : comme dans le dossier Mourinho, l'important sera de montrer très vite une bonne image, pas de pédaler dans la semoule à la première question sur les commissions. Le 15 janvier, nouveau mail : Senn a passé deux heures la veille avec sa « chère » inspectrice, juste pour expliquer la structure des droits à l'image, mais il répète ses craintes sur les « commissions Gestifute » : certes, elle n'en a pas encore parlé, mais la situation est forcément connue. D'ailleurs, le défenseur du Real Pepe est aussi visé par une inspection, selon un mail.
Contacté, le Real Madrid n'a pas souhaité répondre à notre enquête, indiquant que les informations divulguées « sont relatives à des données appartenant à des tierces parties, et donc protégées par la loi ». Pour le club, « seules les personnes directement concernées peuvent, si elles le désirent, se procurer cette information ». Depuis ces inspections, la défense de Mourinho a fait savoir que le Real a arrêté de payer les commissions aux agents. Au moins, elles auront servi à quelque chose.
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