par fernando » 04 Mars 2014, 17:21
Moscou désavoué au Conseil de sécurité de l’ONU
LE MONDE | 04.03.2014 à 11h49 • Mis à jour le 04.03.2014 à 14h57 | Alexandra Geneste (New York, correspondante)
Un camouflet, par quatorze voix contre une. Quatorze voix se sont élevées contre celle de la Russie, lundi 3 mars, lors de la troisième réunion d'urgence en quatre jours du Conseil de sécurité de l'ONU sur la crise en Ukraine. De l'avis de nombreux diplomates, le débat public – convoqué cette fois à la demande de Moscou – restera dans les annales comme un tournant de la diplomatie onusienne.
L'ambassadeur russe, Vitali Tchourkine, souhaitait profiter du format « grand public » pour exposer sa lecture de la situation à ses homologues dubitatifs, voire incrédules. Il s'est retrouvé cloué au pilori, face caméras, par ses 14 partenaires – y compris son plus fidèle allié, la Chine –, chacun condamnant sans détour l'intervention russe en Crimée.
Après avoir appelé toutes les parties à régler leurs différends « dans le respect du droit international », l'ambassadeur chinois Liu Jieyi a en effet souligné que son pays avait « toujours respecté le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des pays et accordé une importance majeure au respect de l'intégrité territoriale de l'Ukraine ».
« DÉFENDRE LA POPULATION UKRAINIENNE »
La Russie est intervenue de son plein droit pour venir en aide à des millions de Russes et d'Ukrainiens russophones en danger, avait fait remarquer un peu plus tôt M. Tchourkine, brandissant pour preuve un document daté du 1er mars et signé du président déchu ukrainien, Viktor Ianoukovitch, aujourd'hui réfugié en Russie.
Dans cette missive, qui aurait donc été envoyée au lendemain de la conférence de presse où l'ex-chef de l'Etat ukrainien se disait opposé à toute intervention armée, M. Ianoukovitch demande au président russe, Vladimir Poutine, l'aide militaire de la Russie « pour défendre la population ukrainienne », dont le pays est « au bord de la guerre civile à la suite des événements intervenus à Kiev ». « Des vies sont menacées (…), des gens persécutés », sur la base de leur langue ou appartenance politique, continue de lire à voix haute l'ambassadeur russe, qui ajoute : « Les vainqueurs veulent piétiner les droits fondamentaux » des minorités pro-russes et « menacer nos compatriotes et la flotte de la mer Noire ».
« Légitimes », donc, les actions de la Fédération de Russie. De là à invoquer la « responsabilité de protéger » incombant à son pays, il n'y avait qu'un pas, que M. Tchourkine a franchi malgré lui, laissant les Occidentaux abasourdis. Ces derniers ont passé les trois dernières années à batailler en faveur de la protection des civils en Syrie, en vain à cause de l'opposition acharnée de la Russie. Chacune de leurs initiatives sur le dossier syrien s'est heurtée à un « niet » ferme de Moscou. « A l'entendre, on croirait la Russie devenue le bras armé de la haut-commissaire de l'ONU aux droits de l'homme », a ironisé l'ambassadrice américaine Samantha Power, réfutant un à un les arguments de son collègue russe.
« DES RÔLES DÉMODÉS DANS UN DÉCOR DÉSUET »
L'intervention militaire en Crimée « n'est pas une mission de protection des droits de l'homme, mais (…) un acte d'agression et il doit cesser », a martelé la diplomate, avant de préciser : « Il n'y a aucune preuve de violences contre les communautés russes ou pro-russes » en Ukraine, « la Russie réagit à une menace imaginaire ». Autant de « flagrantes contrevérités » qui rappellent une ère a priori révolue, a renchéri le représentant permanent de la France Gérard Araud, déplorant que « la Russie semble revenir à ses vieux démons, en rejouant des rôles démodés dans un décor désuet, à l'affiche d'un théâtre en faillite ».
C'est quarante ans en arrière, et plus précisément à l'invasion en 1968 de la Tchécoslovaquie par les forces soviétiques, que l'« occupation » de la Crimée ramène l'Europe, a regretté le diplomate. « Tout y est : la pratique comme la rhétorique soviétique, la brutalité et la propagande », a-t-il ajouté, en comparant M. Poutine à son prédécesseur Léonid Brejnev. Car, contrairement à ce qu'avance Moscou pour sa défense, « on ne tue pas aujourd'hui dans les rues de Kiev, on ne menace pas les populations russophones de Crimée et les néonazis n'ont pas pris le pouvoir à Kiev ».
La France veut coopérer avec une Russie « avec laquelle elle a une longue histoire commune, mais pas à n'importe quel prix », a encore insisté l'ambassadeur, avant de présenter le plan en six points qui devrait, selon lui, constituer la base d'une sortie de crise : le retour des forces armées russes dans leurs bases, le cantonnement immédiat, le désarmement et la dissolution des éléments paramilitaires, le rétablissement par le Parlement ukrainien de la loi sur les langues régionales, la mise en place d'un haut conseil pour la protection des minorités, la mise en œuvre de la réforme constitutionnelle et l'organisation d'élections présidentielles le 25 mai sous l'égide de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.
L'EXEMPLE DU KOSOVO
Un peu plus tard, devant la presse, M. Tchourkine mettait en doute l'utilité des institutions internationales dans les conflits, citant l'exemple du Kosovo en 2000, où « rien n'a été fait pour empêcher les tueries perpétrées contre les Serbes ». La Russie avait demandé cette réunion du Conseil, mais n'a proposé « aucune ouverture qui permettrait de faire baisser la tension », a regretté l'ambassadeur britannique Mark Lyall Grant à l'issue de cette séance houleuse de plus de deux heures.
Selon le représentant ukrainien à l'ONU, Iouri Sergueïev, approximativement 16 000 soldats russes ont été déployés en Crimée depuis le 24 février. Les forces armées ukrainiennes ont « fait preuve de retenue jusqu'à maintenant », a relevé l'ambassadeur, qui a cependant mis en garde contre le risque de « provocations » auxquelles l'armée russe pourrait recourir pour attaquer l'Ukraine. Si tel était le cas, l'ONU resterait figée dans son silence, le droit de veto dont dispose Moscou en tant que membre permanent du Conseil de sécurité faisant obstacle à toute action.
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