par krouw2 » 26 Sep 2014, 18:07
La fin des négociations portant sur le traité de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne doit être annoncée aujourd'hui à Ottawa. L'eurodéputé écologiste Yannick Jadot, déjà à la pointe du combat contre le traité transatlantique, nous explique en quoi cet accord remet lui aussi en cause nos choix de société et notre souveraineté.
Marianne : L'accord de libre-échange entre l'Union européenne et les Etats-Unis, le TAFTA, les Français savent désormais de quoi il s'agit. Quelques (trop rares) médias, à commencer par Marianne, s'en sont emparés ces derniers mois. En revanche, ça n'est pas le cas de l'accord de libre-échange UE - Canada. Mais le CETA (son acronyme), c’est quoi ?
Yannick Jadot : Le CETA, c’est un accord de libre-échange entre l’Europe et le Canada qui couvre les échanges de biens, de services et d’investissements, et qui tente également de standardiser les normes et les règles entre ces deux marchés. Ces normes et ces règles peuvent parfois être très techniques, très administratives. Il est donc parfois intéressant de tenter de les harmoniser quand il y a trop de différences. Mais ces normes et ces règles sont souvent aussi des choix de société, démocratiquement construits, qu’il s’agisse du refus des OGM, de la protection des services publics, de la santé, des droits sociaux ou des libertés numériques…
Quels sont, selon vous, les dangers d’un tel accord ?
Il est dangereux à deux niveaux. L’objectif des négociateurs, qu’ils soient du côté américain ou du côté canadien, est de faire passer ces choix de société par la lessiveuse commerciale. Le but est que ces choix de société — encore une fois la protection de la santé, la protection des consommateurs, la protection des salariés — ne remettent pas en cause le développement des échanges commerciaux. Donc forcément, il y a une prime qui est donnée à la rentabilité commerciale, aux profits tirés des échanges, par rapport à la valeur qui est donnée à l’environnement, la santé, le droit social, la démocratie. Il y a un renversement de la hiérarchie des valeurs au profit du seul aspect commercial. La deuxième chose, qui est la plus dangereuse dans l’accord avec le Canada comme dans l’accord qui se profile avec les Etats-Unis, c’est l’idée que les investisseurs, les entreprises, pourront assigner les Etats devant un tribunal privé. Les entreprises pourront contourner les juridictions existantes (nationale, européenne, provinciale, fédérale…) et ainsi demander aux Etats des compensations lorsque les décisions prises par ces Etats remettent en cause leurs activités et leurs perspectives de profit. C’est sur cette base-là par exemple — puisque ce dispositif existe déjà dans l’accord qui lie les Etats-Unis, le Canada et le Mexique — que la société américaine Lone Pine attaque le gouvernement du Québec et lui demande 250 millions de dollars de dédommagement parce que celui-ci a fait un moratoire sur l’exploitation du gaz de schiste. On est vraiment — et c'est totalement inacceptable — dans le transfert de souveraineté de la société, des peuples, des collectivités, des Etats, vers les entreprises.
Les critiques faites au CETA sont donc similaires à celles qui sont faites au traité transatlantique…
Absolument. En fait, si en ce moment il y a une focalisation (enfin !) sur le CETA (parce que nous, nous le combattons depuis cinq ans, depuis que les négociations sont engagées), c’est aussi parce qu’il apparaît comme un brouillon du traité transatlantique entre l’Union européenne et les Etats-Unis. Et qu’il comporte, à une échelle un peu moindre — car l’économie canadienne n’est pas l’économie américaine —, la remise en cause de nos choix de société et de notre souveraineté.
Pourquoi le CETA revient-il sur le devant de l’actualité ?
On en parle parce qu’aujourd’hui, à Ottawa, il y a un sommet Union européenne – Canada et que Barroso, pour la Commission, Van Rompuy pour le Conseil européen et Harper, le Premier ministre canadien, vont annoncer la conclusion des négociations. La bonne nouvelle, c’est que pour l’instant, nous ne sommes pas encore rentrés — loin de là — dans le processus de ratification. L’accord est négocié, mais il va falloir que le Conseil européen valide, que le Parlement européen le valide aussi et il faudra, enfin, que les parlements nationaux des 28 Etats membres de l’Union le valident à leur tour. Aujourd’hui, nous avons probablement réussi à faire en sorte qu’au Parlement européen, une majorité rejette au moins la partie sur l’investissement.
Les négociations sont donc arrivées à leur terme, mais c’est peut-être aussi le début de la fin pour ce traité…
C'est bien ce que nous souhaitons. Sur le traité transatlantique, les Etats se cachent derrière leur petit doigt et disent : « Vous ne savez pas quel est le résultat des négociations donc attendez avant de critiquer. » Là, le résultat est sur la table, les dangers sont présents dans le texte et il va donc falloir que les Etats se positionnent vis-à-vis de leurs opinions publiques. Il vont devoir dire qu’aujourd’hui, leur stratégie consiste à exposer un peu plus les citoyens européens aux intérêts de sociétés privées et ils vont devoir assumer le transfert de leur pouvoir de construction démocratique au profit des entreprises. Ça ne va donc pas être facile pour eux... D'autant que nous comptons mettre toute la lumière sur les dangers du traité. Par cette mise en lumière et la mobilisation citoyenne, nous espérons que ce traité finira comme l'accord commercial anti-contrefaçon (ACTA) qui touchait aux libertés numériques, aux semences fermières, aux médicaments génériques et sur lequel le Parlement européen avait fini par voter contre et l’avait enterré.
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