par fernando » 24 Fév 2016, 14:32
un peu long à lire (ça va plus vite à did'nt read loler), mais édifiant, ça fait froid dans le dos
SNCF: le nouveau scandale de Brétigny
23 février 2016 | Par Yann Philippin
Selon des écoutes téléphoniques consultées par Mediapart, les aiguillages de Brétigny sont restés « pourris » et « non conformes » pendant au moins un an après le déraillement qui a fait sept morts en juillet 2013. Pour tenter de masquer cette situation catastrophique à la justice, la SNCF a essayé d'« édulcorer » un rapport interne.
Ce 23 juin 2014, Jean-Bruno Delrue, directeur de l’établissement de maintenance SNCF sud-ouest francilien, est très en colère. Une semaine plus tôt, deux de ses agents qui travaillaient sur les voies ont failli être écrasés par un train à cause d’une panne d’avertisseurs. Et voilà que le service de communication lui demande de participer à un point presse à Brétigny (Essonne) pour l’anniversaire de l’accident qui a fait sept morts et une trentaine de blessés un an plus tôt. L’objectif : montrer aux journalistes les résultats concrets de Vigirail, le plan d’amélioration du réseau mis en place après le drame.
Ulcéré, Jean-Bruno Delrue appelle un collègue pour se plaindre de ces « boulets » de communicants : « Je leur ai dit Vigirail […] on a abandonné parce qu'on est en sous-effectif, […] les appareils de voie qu'il faut changer […] on en a cinq l’an prochain on ne va pas être capable de les faire, et puis pour couronner tout ça on a eu un quasi-accident avec deux mecs qui ont failli se faire tuer […]. Vous n'avez qu'à amener des journalistes à Brétigny, vous allez avoir [le délégué syndical] de Sud Rail qui va leur tomber dessus et vous allez voir comment ça va se passer ! Et puis je vous préviens, moi il ne faut pas m'interroger sur ce qui a été fait […], ce n'est pas du tout ce que vous attendez, ce n'est pas du Vigirail qu'on a fait, c'est du redressement, ce n'est rien d'autre que ça. »
Bienvenue à Brétigny-sur-Orge. Les écoutes téléphoniques, ordonnées par les juges d’instruction d’Évry chargés de l’enquête sur le déraillement, offrent une plongée brute et glaçante dans ce « paysage quasiment de guerre », à mille lieues de la com’ bien huilée de l’entreprise, mise en examen pour « homicides involontaires », et des promesses de « transparence » de son très médiatique président, Guillaume Pepy.
On savait déjà que les experts judiciaires avaient estimé l’entreprise responsable de l’accident, l’accusant d’avoir laissé les aiguillages se délabrer, en violation de ses obligations légales en matière de sécurité. « Franchement c'est la merde à Brétigny. Ça pète dans tous les sens... de la non-maintenance […]. Il reste encore tellement de boulot ! Je suis usé », écrivait le dirigeant de proximité de Brétigny dans un SMS du 3 juillet 2013, neuf jours avant le déraillement mortel.
Mais il y a plus grave encore. Selon nos informations, les écoutes téléphoniques montrent que de graves problèmes de maintenance et d'infrastructures ont subsisté à Brétigny jusqu’à l’automne 2014, et sans doute au-delà. En clair, malgré le choc provoqué par l’accident, la SNCF a, en connaissance de cause, laissé 350 trains par jour rouler sur des aiguillages « pourris » et « non conformes ». À tel point que les passagers semblent avoir eu bien de la chance d’avoir échappé à une nouvelle catastrophe. « D'autres choses aussi qui m'inquiètent, c'est la multiplication des quasi-accidents […]. Ça commence à devenir du grand n'importe quoi », diagnostiquait Jean-Bruno Delrue, responsable du sud-ouest de l’Île-de-France, en octobre 2014.
Pour ne pas donner l'impression de reconnaître cette situation catastrophique, la SNCF a repoussé pendant six mois la mise en place d’une limitation de vitesse à Brétigny, que le responsable du secteur réclamait avec insistance depuis novembre 2013. Bref, l’entreprise semble avoir préféré prendre un risque de sécurité plutôt qu’un risque judiciaire. Les écoutes suggèrent que cette décision a été prise au plus haut niveau, puisque le problème est remonté jusqu’au grand patron de la branche infrastructure, Pierre Izard, membre du comité exécutif de la SNCF.
Les « grandes oreilles » des policiers sont branchées en octobre 2013. L’une des premières conversations est révélatrice du climat qui règne à la SNCF. Claire Chriqui, la juriste chargée de « briefer » les salariés avant leurs auditions par la police, prévient Régis Ambert, le chef des experts de la maintenance, que les juges et les policiers se montrent de plus en plus offensifs :
– Il faut redoubler de vigilance […] un homme averti en vaut deux, dit Chriqui.
– Bon ben merci pour l'info, maintenant il faut tout verrouiller.
– Il faut tout verrouiller, heu... tu gardes ça évidemment pour toi.
La politique de la maison est simple : il faut « protéger les gens », de la base au sommet. Le service juridique redoute en effet que le grand patron Guillaume Pepy ne soit entendu par les juges, parce qu'il a reconnu un problème de « maintenance » peu après l'accident. La SNCF veut aussi éviter que l’enquête ne plombe trop ses finances. « Le pire du pire, c'est de se retrouver condamné pénalement. […] Il faut voir aussi quels sont les impacts derrière. Si derrière il faut changer tout notre matériel », soupire une juriste. « Il faut pas non plus qu'on refasse tout parce que les mecs ont pas fait leur boulot », abonde Régis Ambert.
S’il est d’accord pour « protéger » les agents de Brétigny devant la justice, Ambert est pourtant très remonté contre eux. En tant que chef des experts maintenance, il suit le dossier de très près. Il a envoyé à Brétigny un homme de confiance, Christophe Bohly, d’abord pour une mission d’expertise, puis comme patron du secteur.
Le diagnostic des deux hommes est terrible. « Brétigny, c'est des crevards. Faut les foutre tous dehors ! […] Ils s'en branlent. Ils en ont rien à foutre », lâche Bohly. Il a découvert que la grande majorité des fiches d’incident ne sont pas remplies, ce qui empêche de savoir si le travail a été fait. Les agents ont même obtenu de ne pas travailler la nuit, lorsque les trains ne circulent pas, alors que c’est indispensable pour réaliser certaines opérations lourdes. « Il faut que tu mettes la brigade de Brétigny sous tutelle hein !!! », lui répond Régis Ambert.
De son côté, l’expert en chef a repéré que les cœurs d’aiguillage n’étaient pas démontés lors des grandes vérifications. Résultat : 60 % des fissures n’ont pas été détectées… dont l’une sur l’aiguillage qui a causé le déraillement mortel. « C'est un truc catastrophique ! […] Putain, j'ai un tableau là, il fait peur », lâche Ambert. « Quand tu vois les rapports, il n'y en a pas un qui est bon. […] La maintenance, c'est pas qu'elle est un “peu pas bonne”, c'est qu'elle est “super mauvaise” », ajoute-t-il.
« Si on met un ralentissement, c'est qu'on est en tort »
Devant les juges, l'ex-dirigeant de proximité de Brétigny, en poste au moment de l’accident, a démenti toute responsabilité. Mais il a reconnu « en partie » le manque de compétence et d’implication de ses troupes. « Il était difficile de réussir à faire travailler les agents de Brétigny. Ils étaient démotivés à cause du manque de moyens et de l'augmentation de la charge de travail. […] C'était démotivant et frustrant de constater que des chantiers n'étaient pas réalisés la nuit à cause d'un petit aléa comme un manque de matériel. »
À ce stade de l’enquête, trois agents de Brétigny, dont l’ex-dirigeant de proximité, ont été placés sous le statut de témoin assisté. Ce qui signifie que les juges ont à ce stade des éléments contre eux, mais pas suffisants pour les mettre en examen. À la décharge de ces salariés de base, Brétigny est un cauchemar. Les aiguillages, vieillissants et soumis à un trafic intense (350 trains par jour), partent en lambeaux. « C'est surtout l'armement qui est complètement pourri, c'est ça qui est surtout inquiétant », explique l’expert en chef Régis Ambert à son supérieur hiérarchique. « Une ruine à ce point-là de tout ce qui est quincaillerie... Ça arrive ? Enfin moi je n'ai jamais vu ça hein! », lui répond son interlocuteur.
« Au-delà de la non-conformité, c'est que le matériel il est en fin de vie. On n'arrive plus à maintenir », s’alarme Ambert auprès de la direction. Brétigny, c’est le tonneau des Danaïdes. Vu le nombre de défauts à surveiller (plus de 300), seuls les plus graves sont réparés. Pendant ce temps, les autres s’aggravent… À cela s’ajoutent les lacunes de l’entreprise, comme le manque de matériel ou les « renoncements » imposés par la hiérarchie. En novembre 2013, la venue à Brétigny d’une « bourreuse », ce train spécial qui corrige les défauts de géométrie, est subitement annulée. « Putain mais vous êtes complètement malades ! », se plaint le chef de secteur au téléphone.
Dans les mois qui suivent l’accident mortel, les incidents graves se multiplient. Des éclisses (la tige de métal qui a provoqué le déraillement) cassent sur un nouvel aiguillage. Des boulons « pètent » parce qu’il s’agit de modèles « interdits » qui n’auraient jamais dû être installés. Il y a même de la casse sur l’aiguillage tout neuf qui a remplacé celui qui a causé l’accident ! Car cette traverse de jonction (TJ) a été mal montée. « Elle a été posée dans le trou, à l'arrache parce qu'il fallait rendre… […] Ce n'est quand même pas l'exemple parfait de remplacement d'appareil quoi ! », lâche Bohly au téléphone.
Malgré sa bonne volonté, le chef de secteur n’arrive pas à redresser la barre. Dès novembre 2013, il demande deux limitations de vitesse à 100 km/h en gare de Brétigny : l’une en urgence sur une partie des voies ; la seconde sur l’ensemble de la gare, pour soulager les infrastructures. Cette mesure n’est pas anodine : ralentir la vitesse, c’est la « norme » à la SNCF lorsqu’il y a un risque pour la sécurité. Au téléphone, Christophe Bohly explique qu’il n’a jamais dérogé à ce principe : « Je ne veux pas aller en cabane pour faire plaisir à je ne sais pas quel patron dans un bureau là-haut ! »
Signe de la gravité de la situation à Brétigny, ce simple chef de secteur a parlé de sa demande de limitation de vitesse avec Pierre Izard, grand patron de la branche infrastructure et membre du comité exécutif de la SNCF : « Je l'ai dit à Izard […] les TJ, pour moi, ça devrait déjà rouler à 100 dessus aujourd'hui et pas à 150 tel que c'est fait actuellement ! […] Alors il l'a noté mais c'est tout. »
Le sujet est ultrasensible. En interne, cela fait cinq ans qu’il y a débat3 sur la nécessité de rouler à 100 km/h sur ces traverses, y compris celles en bon état. Du coup, la SNCF considère que limiter la vitesse à Brétigny serait un aveu de culpabilité, une preuve que cela aurait dû être fait avant l’accident. « Il faut qu'on trouve un prétexte parce que si on met un ralentissement, pour la justice, c'est qu'on est en tort », justifie Régis Ambert à Bohly. « C'est pas que j'ai peur hein, c'est que je me rends compte que je ne tiens pas les cotes, je ne tiens rien quoi là-dedans », insiste le chef de secteur.
Après quatre mois de tergiversations, la SNCF se décide enfin à dépêcher un expert, Hervé Chapuis, pour instruire la demande. Lors de sa visite à Brétigny, le 10 février 2014, il confie au téléphone qu’il va préconiser d’urgence un ralentissement sur l’une des voies, où il a repéré un gros défaut sur un aiguillage. « Faut arrêter ! Ça tape, faut voir comment ça danse et tout. Cette TJ, y a une dizaine d'attaches manquantes […], des attaches où tu tapes avec le pied et ça bouge. Donc, faut arrêter de jouer là. J'aurais voulu avoir la vidéo avec l'Iphone, […] c'est impressionnant, 150 [km/h] ça déboule hein, y a pas pitié là hein ! »
La note rendue par Chapuis est accablante. Lorsqu’elle arrive au service juridique de la SNCF, c’est la panique. « Quand tu l'as lue, tu vois la maintenance […] d'un paysage […] quasiment de guerre où il n'y a plus rien qui fonctionne », s’alarme la juriste Claire Chriqui. Elle en veut beaucoup à Chapuis, qu’elle accuse de s’être « tiré une balle dans le pied » en voulant se « couvrir ». Le Cassandre semble mis sur la touche. Lors d’une nouvelle expertise à Brétigny, un cadre sera dépêché sur place pour « virer Chapuis s’il vient » !
Ce qui embête surtout Claire Chriqui, c’est qu’« il va falloir qu'ils se positionnent en haut lieu » pour décider si la SNCF transmet le rapport à la police. Car en plus d’avoir dit la vérité, Chapuis a eu l’indélicatesse de signaler, lors de son audition, l’existence de sa note aux enquêteurs. Lesquels l’ont immédiatement réclamée. « Oh putain ! Non ! Il n'a pas donné ce document-là quand même », s’inquiète Régis Ambert, l’expert en chef de la maintenance.
« Je ne mens pas, j'arrange les choses »
La direction lance la contre-attaque. Le 17 mars, Pascale Vallier, cadre au service juridique, tente de convaincre Régis Ambert de l’aider à « édulcorer » le rapport Chapuis. Puisqu’il est trop risqué de modifier un document déjà signé, l’idée est de rédiger une note « plus globale » et plus positive sur l’ensemble du sud-ouest francilien, afin que Brétigny soit noyé dans la masse. Mais Ambert, qui a soutenu par mail les conclusions de Chapuis, fait de la résistance :
– Mon mail, de toute façon, je le revendique. […] Je ne le changerai pas d'une virgule. Et je ne te dirai pas que ça va si ça ne va pas.
– Tu ne changerais pas le fond… Mais si Pascale Vallier s'asseyait à côté de toi et qu'elle mettait certains mots mieux choisis que tu accepterais, tu le changerais. C'est de la forme. […] Je ne mens pas en fait. J'arrange les choses, plaide Vallier.
La juriste suggère par exemple de supprimer que les appareils de Brétigny sont « en très mauvais état », pour que le résultat soit « un peu moins épouvantable ». Et de conclure par cette réprimande : « Quand même Régis […], il faut que tu te dises toujours que ce que tu écris ça peut éventuellement être relu par la justice. Fais un tout petit peu attention à ça quand même. »
DG de la branche SNCF Infra jusqu'en septembre 2014, Pierre Izard est directeur général technologie et systèmes ferroviaires de la SNCF. © D.R.DG de la branche SNCF Infra jusqu'en septembre 2014, Pierre Izard est directeur général technologie et systèmes ferroviaires de la SNCF. © D.R.
Cette tentative d’« édulcorer » le rapport Chapuis semble être venue du sommet, c’est-à-dire du grand patron de l’infrastructure, Pierre Izard. C’est en tout cas ce que suggère, deux semaines plus tard, cette confidence d’un cadre dirigeant de la maintenance : « C'est confirmé avec des échanges de Pierre Izard d'aujourd'hui, c'est ne pas stigmatiser Brétigny, donc faut élargir le débat. »
Bref, la SNCF semble bien plus préoccupée par l’enquête judiciaire que par la sécurité des passagers. Le 27 avril 2014, six mois après la demande du chef de secteur, la direction se décide tout de même à limiter la vitesse à 100 km/h sur une partie des installations de Brétigny. Le souci, c’est qu’un salarié indélicat l’a dit aux policiers ! Une fois encore, c’est panique à bord, comme l’illustre cette conversation entre deux cadres de la SNCF :
– Quel con !
– Bah, ça lui a échappé en fait.
– Ah il faut tout de suite mettre Claire [Chriqui, la juriste – ndlr] au courant.
– Oh putain ! Oh putain ! […] Là, il faut prévenir tout le monde tout de suite.
– Ouais.
– Bah, de toute façon, ils [les policiers – ndlr] peuvent parfaitement s'en rendre compte. Le sujet n'est pas là. C'est surtout qu'ils vont se dire qu'on leur cache des choses.
Sur le terrain, le chef de secteur, Christophe Bohly, est ravi d’avoir enfin obtenu gain de cause. Mais un détail le chagrine : la limitation de vitesse n’a pas été accordée sur l’ensemble de la gare. Alors même que Chapuis avait approuvé cette mesure à l’oral, afin de préserver l’état des installations jusqu’au remplacement des « TJ pourries ».
Malgré son insistance, Bohly ne parvient pas à l’obtenir. Il s’en ouvre au téléphone avec Claude Mangone, un cadre dirigeant de la maintenance. « À mon avis, la limitation permanente de vitesse, le vrai problème, c'est un problème politique. […] Politique et judiciaire », lui confie Mangone.
Cette limitation globale à 100 km/h sera finalement annoncée par le président de la SNCF en personne, Guillaume Pepy, le 7 juillet 2014. Soit le jour où le procureur d’Évry s’apprêtait à rendre publiques les conclusions du premier rapport des experts judiciaires, qui avait déjà été dévoilé la veille par Le Figaro. Or, le rapport préconisait justement la limitation à 100 km/h ! Bref, la SNCF semble avoir réduit la vitesse à contrecœur, pour ne pas apparaître comme plus laxiste que les experts.
Le souci, c’est que cela ne suffit même pas à éviter les incidents. Le 14 mai 2014, une éclisse, la pièce qui a provoqué le déraillement mortel, casse sur un aiguillage de Brétigny où la vitesse était déjà limitée à 100 km/h. Christophe Bohly appelle Claude Mangone, un cadre dirigeant de la branche infrastructure de la SNCF :
– Bon. C'est pourri à ce point-là Christophe ?, demande Mangone.
– Elle est pourrie mais c'est pas la seule, hein, je te rassure. Toutes les TJ de Brétigny sont dans cet état-là. […]
– Il faut qu'on vienne y faire un saut sur toute la zone de Brétigny parce que c'est à répétition quoi ! Y a des incidents tout le temps maintenant. […]
– Le ralentissement à 100 [km/h] de la TJ, ça ne nous permet pas d'être à l'abri, ça nous permet juste de solliciter moins l'appareil, mais ça n'empêche pas qu'on y passe autant de temps et autant d'énergie et qu'on dort pas bien. […] Tu vois ça n'empêche pas que ça pète, conclut le chef de secteur.
Bref, la seule solution serait de remplacer l’ensemble des aiguillages. Le précédent chef de secteur a raconté aux juges qu’il a demandé un renouvellement anticipé bien avant l’accident, qui lui a été refusé « pour des raisons budgétaires » : « Comme la régénération était prévue en 2016, donc, il fallait attendre. »
Curieusement, malgré l’accident mortel et la décrépitude des aiguillages, la SNCF n’a pas accéléré ce chantier. « Personne ne la remet en cause [l’échéance de 2016], je ne comprends pas », s’étonnait en mars 2014 Hervé Chapuis, l’expert qui a obtenu la limitation de vitesse. Régis Ambert, chef des experts maintenance, avait lui aussi plaidé par écrit pour un renouvellement anticipé. Contacté par Mediapart, SNCF Réseau (l'ex-Réseau ferré de France) indique que ce grand chantier de régénération de Bretigny doit commencer cette année avec le remplacement de cinq appareils de voie. Le site sera entièrement remis à neuf d'ici 2019.
Face aux juges d’instruction, les cadres de la SNCF ont relativisé les propos qu’ils ont tenus au téléphone. « Quand je dis “pourrie”, ça ne veut pas dire en dehors des normes, ça veut dire “vieux” », a assuré le chef de secteur Christophe Bohly. Tandis que le chef des experts maintenance, Régis Ambert, assure que la décision de réduire la vitesse n’a pas été prise pour des raisons de sécurité. « On a ralenti les trains pour faciliter le travail des équipes de maintenance, qui avaient été fragilisées par l'incident. Quand les trains roulent moins vite, on intervient moins souvent. »
Contactée par Mediapart via son avocat, la SNCF a botté en touche. « Je regrette que cette information judiciaire, portant sur des sujets très techniques et complexes, connaisse ces développements dans les médias dans des formats peu propices à la compréhension qui aboutissent à une présentation simpliste, réductrice et très loin d'une présentation objective », nous a répondu par courriel Me Emmanuel Marsigny. SNCF n'entend donc pas participer à une information parallèle et réserve ses réponses à la justice. » Pour mémoire, l’entreprise estime n’avoir commis aucun manquement qui puisse être considéré comme une cause de l’accident. Elle a également affirmé n'avoir jamais tenté de cacher quoi que ce soit à la justice.
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