par fernando » 02 Oct 2015, 15:02
Scandale FIFA: le cas Blatter plombe à son tour Platini
01 octobre 2015 | Par Antoine Grynbaum
L’ancien dirigeant du football mondial et le favori à sa succession se trouvent aujourd'hui réunis sous les feux de la justice suisse. Retour sur une relation entre deux complices devenus adversaires sous le poids de la conquête du pouvoir.
C’est le dernier acte d’une dramaturgie shakespearienne liant deux destinées complices avant de devenir ennemies. Alors que Joseph Blatter pouvait donner l'impression d'avoir rendu les armes, démissionnant de la FIFA à peine réélu, il est en fait toujours battant pour empêcher Michel Platini de conquérir la direction du football mondial. Voici d'ailleurs que le Français se retrouve embringué dans les turpitudes de celui qu’il a toujours rêvé de remplacer.
Le sort de « Platoche » et de sa candidature est désormais entre les mains de la commission d’éthique de la FIFA, qui a décidé d’ouvrir une enquête dans la foulée de celle ouverte par la justice suisse contre Blatter, pour « soupçon de gestion déloyale et – subsidiairement – abus de confiance », dans laquelle le Français a été entendu sous un statut « entre celui de témoin et celui d’accusé », selon les termes du procureur général suisse Michaël Lauber. La décision de cette commission d’éthique, dont la composition laisse entendre que l’influence de Blatter y reste forte, peut empêcher la candidature de Platini, voire enclencher la suspension du président de l’UEFA (l’instance de direction du football européen).
Le trouble est grandissant autour de l’ancien capitaine des Bleus, au point qu’en France, le soutien jusqu’ici sans faille du gouvernement envers l’icône du football tricolore se fait désormais plus mesuré. Interrogé mercredi 30 septembre sur France Info, le ministre des sports Patrick Kanner se veut prudent. « Ce que je retiens, c'est qu'il a demandé de lui-même à être auditionné par la commission d'éthique de la FIFA, dit-il. J'espère que cela pourra lever tous les doutes. À lui de se défendre. »
Au cœur du “scandale Platini”, la réception d’un chèque, signé par Blatter, de 1,8 million d'euros en 2011. Pour sa défense, le président de l’UEFA explique qu’il s’agit du paiement différé de quatre ans de missions menées à la charnière des années 2000, comme “conseiller” d’un Blatter tout juste élu à la tête de la FIFA. Selon des proches de Platini, le Français travaillait à Paris et ne venait alors à Zurich, au siège de la FIFA, que de manière très irrégulière. Son contrat correspondrait à des voyages effectués pour accompagner le président de la FIFA, ainsi qu’à des missions demandées par Blatter, sur l’harmonisation des calendriers de compétitions internationales ou sur la possibilité d’une Coupe du monde tous les deux ans. À l’arrivée, les deux hommes n’auraient jamais réussi à se mettre d’accord sur la rémunération du Français.
S’il assure avoir « entièrement déclaré ces revenus aux autorités, conformément à la loi suisse » et explique avoir demandé à être entendu par la commission d’éthique, afin que « les incompréhensions disparaissent », Platini va devoir justifier du délai de 9 ans qui a séparé lesdites missions de leur paiement. S’il plaide la négligence et dit avoir transmis son contrat à la justice, il devra convaincre les enquêteurs suisses, qui nourrissent des soupçons sur la date du versement. Février 2011, soit trois mois après le vote de Platini en faveur du Qatar pour la Coupe du monde 2022 et trois mois avant la réélection de Blatter, avec le soutien d'un Platini qui se serait pourtant déjà bien vu prendre sa place.
Difficile aujourd'hui de ne pas voir dans la mise en cause de Platini le signe d’une vengeance de son ancien mentor déchu, choisissant d’entraîner dans sa chute celui avec qui les relations se sont peu à peu dégradées, au fil du temps et de l’exercice du pouvoir.
Quand le 28 mai dernier, à Zurich, Platini et Blatter se retrouvent en privé, la demande du président de l’UEFA est alors très claire : il invite le président de la FIFA à démissionner, à la suite des arrestations menées par le FBI, survenues la veille. Les deux hommes, si proches à la fin des années 1990, sont entrés dans un affrontement perpétuel. Dix-sept ans que Platini attend son tour.
Secrétaire général de la FIFA depuis 1981, Sepp Blatter a fini par accéder à la présidence le 8 juin 1998, à Paris, deux jours avant l’ouverture de la Coupe du monde en France. Il trouve à ses côtés, en soutien actif et décisif, Michel Platini, qui allait devenir son conseiller technique. Au fil des années, Blatter couve le Français, qu’il voit en héritier. En janvier 2012, dans France Football, il assure que « Michel Platini est prêt, s'il le veut. Bien sûr qu’il ferait un bon président. Il ne sera pas le même que moi, parce que chacun est différent, mais il fera un bon président ». Le 15 mai 2013, dans L’Équipe, il martèle : « Platini est mon candidat naturel. » Un plaidoyer ambigu. Car les sujets de désaccord sont nombreux. Surtout, plus problématique, et alors que sa fille unique aimerait qu’il se retire, Blatter va finalement se présenter une fois de plus à sa propre succession le 29 mai 2015. Platini finira par renoncer à la confrontation avec son ancien mentor, par crainte d'une défaite certaine. « Platini ne s’est pas présenté à la dernière élection car il savait qu’il n’avait aucune chance », nous confiait alors un observateur avisé des relations entre la FIFA et l’UEFA.
Les prémices d'une rupture
Quelques années auparavant, l’ancien sélectionneur des Bleus avait déjà pourtant tenté sa chance. Dans Président Platini (éditions Grasset), les auteurs (dont celui de ces lignes) racontent que le champion d’Europe 1984 aurait bien aimé devenir le grand patron du football mondial dès 1998. « Fin 1997, le Français, fier co-président du comité d’organisation de la Coupe du monde en France, s’imagine déjà candidat à la présidence de la FIFA. Il ambitionne sérieusement de défier le Suédois Lennart Johansson, qui dirige l’UEFA, afin de prendre la suite du vieillissant brésilien Joao Havelange, au pouvoir depuis vingt-quatre ans et enfin décidé à prendre sa retraite. Fin janvier 1998, à l’abri des regards indiscrets, dans un hôtel de Singapour, il s’en ouvre à Sepp Blatter, secrétaire général de la FIFA et donc numéro deux. Mais le Suisse, qui lorgne aussi sur le poste, le prend de court et lâche avec une conviction qui ne laisse pas la place au doute : “Je veux devenir président de la FIFA et je veux que tu sois ma conscience footballistique.” Platini est piégé. Trop respectueux, il obtempère. “Tu es jeune, tu as le temps”, lui dit-il aussi en substance. »
L’alliance va se révéler efficace. Blatter remporte la mise et devient président de la FIFA. Même s’il oublie de citer Platini dans son discours de remerciement, il en fait son conseiller, fonction que Platini occupera un peu plus de trois ans, et dont la rémunération est aujourd’hui l’objet des soupçons. « À l’époque, Platini apparaissait très proche de Blatter et, quelque part, son dauphin, ou son filleul, note l’ancienne secrétaire nationale du PCF, Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports entre 1997 et 2002. J’avais plutôt le sentiment qu’il y avait une certaine complicité entre eux. » Bref, du gagnant-gagnant. « Blatter a utilisé Platini pour son avènement à la FIFA mais Platini s'est aussi servi du Suisse afin d’asseoir son pouvoir à la tête de l'UEFA (en 2007) », ajoute Jean-François Lamour, ancien ministre des sports (2002-2007).
Au lieu de s’engager totalement dans la campagne du Français pour la présidence de l’UEFA au milieu des années 2000, le Suisse pratique un double jeu assez trouble. Six mois avant l’élection, Blatter reçoit le président sortant et adversaire du Français, Lennart Johansson, évoquant dans un communiqué quelques heures plus tard un besoin de stabilité au niveau des gouvernances. Mais le président de la FIFA va finalement « retourner sa veste » et faire la différence en faveur de son ancien protégé, lui accordant sa « sympathie » lors d'une conférence de presse à Paris dans les nouveaux locaux de la Fédération française de football, inaugurés la veille.
Le 28 janvier 2007 à Düsseldorf, Platini est élu président de l’UEFA et si Blatter s’en réjouit, il a une façon toute personnelle de lui tresser des louanges : « Il a de la chance d’accéder au pouvoir où le trésor est plein et où une pluie d’euros tombe sur l’UEFA. Moi, quand j’ai pris la présidence à la FIFA, les caisses étaient vides. » L'élection de 2007 est une première cassure entre les deux hommes, prémice d’une rupture douloureuse. Le soir même, Platini, qui n’a pas digéré le soutien tardif de Blatter, aurait critiqué le Suisse et même réfléchi à l’idée d’inviter des pays africains et sud-américains à l’Euro afin de réduire la mainmise de la FIFA et concurrencer la Coupe du monde. Blatter et ses proches, qui ont pourtant passé quelques coups de téléphone à des présidents de fédérations européennes pour qu’ils votent Platini, ne goûtent guère l'idée…
Au fil des mois, Platini gagne en assurance. Et en émancipation : « Nous sommes amis depuis le tirage au sort de la Coupe du monde 1990 mais nous n’avons pas toujours les mêmes idées, voilà tout. » Doux euphémisme. Agacé mais en y mettant les formes, le président de la FIFA estime que les positions de son ancien conseiller sont parfois trop naïves et romantiques. Par presse interposée, les deux hommes se rendent coup pour coup. En mars 2013, par exemple, dans le quotidien espagnol As, le Suisse critique la vision de Platini à propos de l’arbitrage, inexorablement opposé à la vidéo pour des raisons d’universalité du jeu de football. « Il n’en veut pas et il est le seul. Si Platini ne le souhaite pas, c’est parce qu’il en fait une affaire personnelle. Mais cela va changer », dit Blatter. « Je préfère être seul et fidèle à mes convictions plutôt que d’aller dans le sens du vent », réplique le Français.
Souvent, c’est le Suisse qui déclenche la première salve et reçoit immédiatement en retour. Concernant l'arbitrage vidéo, « c’est une méconnaissance totale du dossier, la preuve que le football n’appartient pas encore totalement aux footballeurs », tacle Platini. Et pourtant, en octobre 2013, sur Canal+, il affirme encore : « Sepp est mon ami. On s’entend sur 99 % des choses et après, il y a quelques points de divergence. »
Deux hommes « très voire trop proches »
Cette divergence va s’approfondir avec la Coupe du monde 2022 au Qatar. Alors que Platini a toujours reconnu avoir voté pour le petit pays du Golfe, Blatter a rapidement admis que la FIFA avait « peut-être commis une erreur » en optant pour Doha, avant d’émettre l’hypothèse d’influences politiques. Si Platini n’est pas cité, il est clairement visé avec une allusion au rendez-vous de l’Élysée fin 2010, quand Nicolas Sarkozy avait reçu le président de l’UEFA et le cheikh Hamad al-Thani, futur émir du Qatar, dans le but d’aider Doha à obtenir l’organisation de la compétition.
Les deux hommes s’affrontent sur un grand nombre de sujets – à peu près tous – et notamment sur la question d’un trophée très prestigieux. Créé en 1956, le « Ballon d'or France Football » a fusionné en 2010 avec le prix FIFA du joueur de l'année, devenant le « Ballon d'or FIFA France Football ». Mais Platini ne digère pas le choix du groupe Amaury de vendre l’appellation Ballon d’or à la FIFA plutôt qu’à l’UEFA. L’accord a été signé le 5 juillet à Johannesburg, pendant la Coupe du monde sud-africaine, entre Blatter et Marie-Odile Amaury, présidente d'Amaury Sport Organisation (ASO). « Si l'on veut grandir, on abandonne au passage quelque chose, mais le gagnant, c'est le football », jubile alors le Suisse. Platini encaisse en silence. Triple Ballon d’or (1983, 84 et 85), il aurait été légitime pour remettre chaque année le prix du meilleur joueur du monde, mais son lobbying n’y a pas suffi. Agacé, Platini crée dans la foulée un trophée concurrent, le « Prix UEFA du meilleur joueur d'Europe ».
La rivalité Blatter-Platini touche aussi de temps à autre à des sujets très symboliques. À l’été 2013, le Français et l’UEFA demandent une limite d’âge pour les dirigeants de la FIFA… Le Suisse répond avec humour « qu’il y a des septuagénaires qui sont jeunes dans leur tête ! » Il va plus loin en février 2014. La veille de la cérémonie d’ouverture des JO de Sotchi en Russie, le président de la FIFA, également membre du Comité international olympique, prend la parole en session plénière. Il appelle ses collègues à supprimer la règle de la limite d’âge, fixée à 70 ans pour les membres entrés après 1999, à 80 ans pour les autres. « Être membre du CIO ne devrait pas être une question d’âge, mais de compétence », explique-t-il aux durs d’oreille.
Pour le journaliste égyptien Osama Escheikh, qui couvre les congrès de la FIFA depuis dix ans, les deux hommes étaient « très, voire trop proches ». « Mais, au fond, l’amitié entre eux n’existe pas, estime-t-il. Platini avait tâté le terrain en juin 2013 à l’île Maurice, pour voir s’il avait une chance de devenir président [de la FIFA]. L’atmosphère était particulière, avec une ambiance pro-Blatter. Le Suisse n’a aucune pitié pour personne. » En privé et d’après des proches de Blatter, le président de la FIFA ne serait pas toujours très tendre quand il s’agit d’évoquer le Français. Interrogés, d’anciens membres du comité exécutif de la FIFA « n’ont rien à dire et ne savent rien ».
En revanche, un ancien président d’une grande fédération révèle que « malheureusement, les rapports se sont dramatiquement détériorés entre eux. Blatter considère que l’UEFA ne veut pas porter la responsabilité dans l’affaire de l’attribution de la Coupe du monde au Qatar. Je crois que Platini a déçu Blatter, pour ce qui touche aux relations entre les deux institutions ». Un fin connaisseur des codes footballistiques, le Brésilien Guido Tognoni, va plus loin dans Le Monde : « Depuis que Blatter gouverne la FIFA, il dit aux petites fédérations : je suis le seul qui vous protège de l’ambition de l’UEFA de gouverner la FIFA. »
La partie a semblé se terminer lors du dernier congrès de la FIFA, en mai 2015 à Zurich, sur fond d'arrestations, de perquisitions et de corruption. Dans un premier temps, devant la déferlante de polémiques, l’UEFA avait demandé un report de l’élection du président, Platini hésitant à jouer le rapport de force avec Blatter et à s’engouffrer dans la brèche ouverte par la justice américaine. Son entourage le lui aurait déconseillé et le prince Ali, soutenu par l’UEFA, a finalement abandonné pendant l’entre-deux-tours. Blatter est ainsi réélu une cinquième fois, avec le soutien d’une grande partie du football mondial… Platini semble décidé à jouer le coup d’après, en 2019. 72 heures plus tard, coup de théâtre: le Suisse démissionne. De nouvelles révélations mettent en cause ses proches, mais la décision de Blatter est aussi la conséquence de rendez-vous secrets.
Selon SKY News Arabia qui a dévoilé l’information le 5 juin 2015, la veille de sa démission, Blatter a rencontré Platini, Jérôme Valcke, secrétaire général de la FIFA, et le cheikh Ahmad du Koweït, membre du comité exécutif. Une réunion lors de laquelle Platini a une nouvelle fois demandé à Blatter de démissionner. Pas de démenti ni de confirmation des intéressés. Mais selon nos informations, une autre réunion s’est tenue le matin de sa démission, entre Blatter, sa fille Corinne, Valcke et Nicolas Maingot, porte-parole de l’institution.
Pressé par sa fille, très influente et inquiète pour la santé de son père, Blatter estime qu’il lui faut prendre le temps d’organiser sa défense, et se convainc de démissionner. Et de coopérer avec la justice. Un congrès extraordinaire sera organisé le 26 février 2016, avec au programme l’élection d’un nouveau président. Le « roi » Blatter a officiellement abdiqué, mais il ne s'effacera définitivement qu’au moment de transmettre le témoin à son successeur.
Le soir de la démission du Suisse, Platini est resté en famille. Mais aujourd’hui, il risque de se retrouver une nouvelle fois aux côtés de son vieil allié, cette fois-ci comme compagnon d'infortune.
"L'alcool tue lentement. On s'en fout, on a le temps."