par fernando » 03 Fév 2016, 11:57
un député LR qui dit des choses intéressantes sur ce sujet, c'est pas banal (et donc c'est ni Jacob ni Estrosi)
Constitution: «Hollande se moque du monde»
Le député LR (ex-UMP) Philippe Houillon, proche de François Fillon et ancien président de la commission des lois constitutionnelles, explique en quoi l'inscription de l’état d'urgence et de la déchéance de nationalité dans la Constitution est « inutile ». Il dénonce la « supercherie » de François Hollande.
Il sera l’un des principaux orateurs de la droite lors des débats sur le projet de réforme constitutionnelle, qui démarrent vendredi 5 février, au palais Bourbon. Avocat de formation, ancien vice-président de l’Assemblée nationale (1999-2000), puis président de la commission des lois constitutionnelles (2005-2007), le député et maire LR (ex-UMP) de Pontoise (Val-d’Oise) a déjà fait part de ses réticences à Manuel Valls, en commission des lois.
Ce proche de François Fillon en est convaincu : la réforme constitutionnelle voulue par François Hollande ne sert à rien. Pourtant, elle piège politiquement bon nombre de parlementaires LR, qui s’apprêtent à la voter. Pour le symbole. Et pour rien d’autre. Entretien.
Vingt parlementaires LR ont signé une tribune3 pour dénoncer le projet de réforme constitutionnelle, qu’ils qualifient d’« inutile et dangereux ». Partagez-vous leur avis ?
Philippe Houillon. Ce n’est pas en soi dangereux, mais c’est inutile, oui. Il n’est pas nécessaire de constitutionnaliser l’état d’urgence pour qu’il soit applicable. Par ailleurs, en passant de la loi à la Constitution, on élève le principe de l’état d’urgence dans la hiérarchie des normes légales, mais le Conseil constitutionnel sera toujours appelé à statuer sur les mesures qui seront déclinées, à travers ce principe. Une fois que l’état d’urgence sera inscrit dans la Constitution, l’appréciation du Conseil sera un peu plus contrainte. Ce qui pose des questions en matière de libertés.
Puisqu’il est question de libertés, l’état d’urgence doit-il être contrôlé par un juge judiciaire ou un juge administratif ?
Quand on est à la frontière des mesures de police administrative et des mesures qui touchent aux libertés – pour des saisies, par exemple –, est-ce que la constitutionnalisation ne penchera pas vers l’administratif ? Si oui, cela peut s’analyser comme une restriction en matière de libertés.
En l’état, on ne peut pas dire que ce soit dangereux sur le plan juridique, mais sur le plan du contrat social, de la philosophie constitutionnelle, cela veut dire qu’on insère dans la Constitution une mesure restrictive de libertés. Je regrette que l’on n’affirme pas d’abord un principe de liberté. Énoncer une restriction dans le contrat social qui nous régit tous sans réaffirmer un principe de liberté crée un déséquilibre.
Quid du deuxième volet de la réforme constitutionnelle ? Êtes-vous favorable à l’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution ?
Le texte de réforme constitutionnelle, dans sa nouvelle rédaction, ne dit rien. C’est une tautologie. La Constitution fixe déjà les règles concernant la nationalité, ce qui veut dire implicitement, mais nécessairement, toutes les règles : comment on acquiert la nationalité et comment on la perd.
Autant il y avait une différence dans le précédent projet, puisqu’on visait directement la perte de nationalité des binationaux, autant là, c’est une lourdeur totalement inutile. L’important, ça va être la loi d’application. Et dans celle-ci, on va probablement constater que seuls les binationaux pourront être déchus. C’est donc une supercherie.
En outre, il est bien possible au bout du compte que cette réforme soit une restriction du périmètre de déchéance des droits attachés à la nationalité. L’exposé des motifs de l’amendement du gouvernement confirme très clairement cette question, puisqu’on ne pourra plus prononcer cette déchéance qu’en cas de crimes ou délits constituant une atteinte grave à la vie de la Nation.
Nous avons actuellement, dans le code civil, des hypothèses de perte de la nationalité et, dans le code pénal, des hypothèses de perte des droits attachés à la nationalité, qui ne concernent pas du tout le terrorisme. Par exemple, article 23.7 du code civil : le Français qui se comporte en fait comme le national d'un pays étranger peut, s’il a la nationalité de ce pays, être déclaré, par décret après avis conforme du Conseil d’État, avoir perdu la qualité de Français. Le Français qui se comporte en fait comme le national d’un pays étranger, ce n’est pas forcément un terroriste.
Pourquoi l’exécutif a-t-il fait ce choix ?
Pour des raisons politiques. Pour qu’il soit toujours question de déchéance de nationalité française et qu’en même temps, on ne parle pas de binationaux, c’est-à-dire pour se garder à droite et se garder à gauche.
Le président de la République s’est fait applaudir par tout le Congrès et a fait cette annonce qui a surpris tout le monde. Maintenant, il est dans la seringue et il essaie d’aller jusqu’au bout de la réforme constitutionnelle. Pour avoir une majorité, il enlève ce qui fâche la gauche et ce qui fâche la droite, en espérant que tout le monde votera. On ne parle plus des binationaux, mais on sait que cela ne peut concerner qu’eux. Ce n’est pas sérieux.
Justement, quel regard portez-vous sur le sérieux de la méthode ?
Une réforme constitutionnelle, cela suppose une majorité qualifiée, c’est-à-dire une majorité des trois cinquièmes. On est dans le domaine du consensuel et de la quasi-évidence. Cela veut dire qu’un gouvernement, quel qu’il soit, arrive avec sa majorité derrière lui et essaie de convaincre au-delà. Là, nous sommes à fronts renversés. François Hollande arrive avec l’opposition pour convaincre au-delà du pourcentage de sa majorité qui n’est pas d’accord. Ce n’est pas vraiment l’esprit d’une réforme constitutionnelle…
Deuxièmement, quand on est dans le domaine de l’évidence, on ne change pas d’avis toutes les deux minutes. Là, nous sommes dans la confusion. Après avoir communiqué une rédaction, on nous annonce, le jour même du début de la discussion en commission des lois, un amendement qui change le texte. On patouille avec une réécriture. Et on enfume un peu… C’est vraiment une posture politicienne.
Hollande a sûrement fait précéder la déclaration à la réflexion. Il s’est ensuite aperçu que ce n’était pas si simple que cela, ni juridiquement ni politiquement. Car il y a aussi la jurisprudence européenne : quand on est déchu de la nationalité française, on perd aussi la citoyenneté européenne, bref…
Je suppose que le président de la République pense que c’est bon pour son image de faire voter quelque chose par le parlement, de rejeter la responsabilité du vote sur une partie de sa majorité ou sur la droite, qu’il fait un bon coup. Résultat : il s’entête pour des choses qui ne servent à rien. Ce n’est pas l’attitude d’un chef d’État. C’est une incohérence de plus.
Et puis quand même, c’est un texte qui s’appelle, excusez du peu, « projet de loi constitutionnelle de protection de la nation ». Ce n’est quand même pas rien ! C’est du lourd, comme disent les jeunes. Quand on se permet d’apporter un tel titre à un projet de loi, il faut quand même qu’il y ait quelque chose derrière qui corresponde à une efficacité quelconque pour la protection de la nation. Là, on se moque un peu du monde !
Pourquoi, dans ce cas, la droite persiste-t-elle à vouloir voter cette réforme ? Est-ce simplement parce qu’elle ne veut pas se voir reprocher quoi que ce soit en cas de nouvel attentat ?
C’est bien toute la difficulté et c’est bien tout ce que Hollande escompte. La constitutionnalisation de l’état d’urgence, ce n’est pas un drame. Quant à la réforme constitutionnelle qui dit que l’on fixe les règles concernant la nationalité et quand on la perd, ce n’est pas un drame non plus. Cela n’apporte rien.
Mais à partir du moment où ce débat, qui est un débat sérieux, se réduit à “vous n’êtes pas d’accord pour enlever la nationalité française aux terroristes”, évidemment cela prend une dimension différente. Cela risque en effet de contraindre un peu les options des uns et des autres…
Pensez-vous que l’état d’urgence a épuisé ses effets ?
Après ces drames de l’année 2015, tenter d’éradiquer la menace terroriste en prenant des mesures exceptionnelles, ce n’est pas choquant, c’est normal. C’est même responsable. Mais quand on a des outils exceptionnels, il faut que cela réponde à une situation exceptionnelle. La réponse est contenue dans la locution « état d’urgence ». On n’est pas tout le temps en état d’urgence.
Il faut analyser l’efficacité de cette mesure dans le temps. Si cela dure six mois ou huit mois, tous ceux qui auront quelque chose à planquer, et qui savent qu’ils pourront être perquisitionnés, se seront arrangés avant. Manuel Valls va déposer un projet de loi [ce mercredi 3 février – ndlr] pour étendre aux périodes de droit commun, c’est-à-dire en dehors de l’état d’urgence, les mesures de ce dernier. On ne sera donc plus dans le domaine d’une situation exceptionnelle qui justifie des mesures exceptionnelles.
Je pense que le ministre de l’intérieur fait tout à fait son job, mais qu’il y a malheureusement des tas d’aléas. On ne règle pas toute la menace terroriste par une loi. Sur le plan des libertés, est-ce que cela justifie de banaliser un état d’urgence ? Le danger étant, qu’au fil du temps, on n'utilise cela pour autre chose…
"L'alcool tue lentement. On s'en fout, on a le temps."