par fernando » 24 Août 2016, 11:10
Sarkozy candidat: on prend le même et ça recommence...
C'est donc la surprise du chef : on se demandait si Nicolas Sarkozy serait candidat à la présidentielle, via la primaire à droite, ou s’il ne le serait pas. La réponse est tombée, tels les trois coups du destin : c'est oui. Quel étonnement !
Dans l'introduction de son livre Tout pour la France (publié chez Plon), Nicolas Sarkozy raconte ses hésitations : « Rarement dans ma vie ai-je aussi profondément réfléchi aux conséquences d’une décision. J’ai hésité. J’ai retourné les données du débat dans tous les sens, j’ai essayé d’être le plus honnête possible vis-à-vis des autres, de ma famille, comme de moi-même. J’ai consulté, j’ai écouté. Et finalement j’ai décidé. Ce fut comme un soulagement car l’évidence s’était imposée. »
La décision s'est donc imposée à lui, et il s'est humblement incliné, soulagé d’obéir à un message venu pour ainsi dire de l’extérieur. C’est beau comme du Jeanne d’Arc, et ce tourment hugolien d’un homme aux prises avec les voies impénétrables du devoir et du destin est raconté au nom du « défi de vérité ». Tout le monde le croira sur parole. Il est tellement évident, depuis cinq ans, que Nicolas Sarkozy s’interroge sur son retour et qu'il doute de son désir… Tellement évident qu’il n’y pense pas jour et nuit et plus seulement en se rasant. Tellement évident que cette candidature n’est pas proclamée sur tous les tons et sous toutes les formes, depuis mille cinq cents jours !
La surprise est si puissante qu’elle serait un « blast », comme le disent ses lieutenants, paroles pieusement rapportées par une bonne partie de la presse fascinée. Un typhon. Un tsunami. La vérité nous oblige, ici à Mediapart, à admettre que ce vent de vérité emporte tout sur son passage. Chapeau l'artiste. Comme le répètent les confrères, l'opération est « parfaitement huilée ».
D'abord la date. Cette annonce est lancée le 22 août. Incroyable ! Personne ne l’attendait. D’ailleurs, le magazine l’Express avait placé l’événement en couverture dès la semaine dernière. Après le 25 août, s'il était resté président de son parti, Nicolas Sarkozy n'aurait pas pu se présenter. Cette surprise a donc la dimension d’un passage obligé. Elle est inopinée comme une fête de Noël qui tomberait le 25 décembre, ou une nouvelle année qui commencerait le 1er janvier…
Ensuite, la forme de l'événement : un livre. Là, c’est le boum intégral. Le coup de génie inventé par un artiste de la communication. Personne, avant lui, n’avait jamais eu l’idée d’écrire un livre pour lancer une candidature. Voilà l'innovation que personne n’aurait été capable d’anticiper. Nicolas Sarkozy est le premier à y avoir pensé tout seul. Il y a vingt-deux ans, en juin 1994, Jacques Chirac n’a pas publié Une nouvelle France aux éditions NiL en pensant à 1995.
Quant aux concurrents de la primaire à droite, aucun n’a pris la plume pour se lancer dans ce qui est devenu un acte aussi exceptionnel que le placardage d’une affiche publicitaire. Alain Juppé ne s’apprête pas à sortir chez Lattès son troisième livre de l’année après le Pour un État fort publié en janvier, et le Cinq Ans pour l’emploi mis en rayon en mai. En septembre 2015, François Fillon n’a pas publié son Faire (Albin Michel), en janvier dernier Jean-François Copé son Sursaut français (Stock) ou Bruno Le Maire, en février, son Ne vous résignez pas (Albin Michel)… Même Nadine Morano annonce périodiquement qu’elle a la plume qui la démange !
Les fidèles de l’ancien président répondent que les livres de leur héros s’arrachent comme des petits pains. Le dernier, La France pour la vie, est annoncé par eux à 200 000 exemplaires vendus, soit le record national pour un livre politique en 2016. Double erreur. D’une part, le chiffre exact est de 140 630 (source Edistat) et la courbe des ventes est atypique, avec un pic les deux premières semaines, puis un effondrement des ventes. D’autre part, l’essai politique le mieux vendu cette année n’est pas celui de Nicolas Sarkozy mais celui de Christiane Taubira, Murmures à la jeunesse, parti moins vite mais porté par le bouche à oreille, et qui atteint à ce jour les 156 113 exemplaires vendus. Mais c’est ainsi, il y a là comme une fascination : ce que dit l’ancien président, ou que font dire ses partisans, est rapporté de proche en proche, et devient une vérité.
Ainsi de la liste de ses soutiens. Elle ferait sensation en témoignant d’une mécanique implacable, propre à transformer une annonce programmée, donc sans relief, en événement majeur, donc en Himalaya. Voyez la liste : Éric Ciotti, Christian Estrosi, Brice Hortefeux, Éric Woerth, Christian Jacob chez les élus, et Frédéric Péchenard pour l’organisation ! C’est à tomber par terre ! L’histoire est aussi renversante que si Rox s’était rapproché de Rouky, Laurel de Hardy, Belle de Sébastien, Pluto de Mickey, ou les sept nains de Blanche-Neige. Bien sûr, il y a le député Gérald Darmanin, qui rappelle les prises de guerre de 2007, ou le chiraquien François Baroin, mais la présence de ces voix plus « centristes » provoque déjà, comme à l’époque de la victoire, des raidissements chez les fidèles de toujours…
Il y a enfin le programme. Et là, pas d’hésitation. Plus de savant équilibre entre une « ligne Guaino » et une « tendance Guéant », devenue à partir de 2010 le triomphe de Patrick Buisson. Cette fois Nicolas Sarkozy, comme il l’annonce depuis deux ans dans plusieurs entretiens à Valeurs actuelles, confirme qu’il met le cap vers la droite la plus extrême pour contrer l’extrême droite, et qu’il se lance dans un libéralisme débridé au moment où le monde entier s’interroge sur les limites et les dégâts du laisser-faire économique.
Rien de nouveau dans ce qu’il présente comme des annonces, mis à part un durcissement global. Renforcement de la TVA sociale (déjà annoncé), fin des 35 heures (déjà annoncée), suppression de l’ISF (déjà votée en 1986 avant d’être réintroduite en 1988, et maintes fois ré-annoncée par la droite), réduction drastique de charges pour les entreprises (déjà annoncée), non-remplacement de 300 000 fonctionnaires (déjà annoncé), retraite à 63 ans (déjà annoncée) et à 64 ans en 2025 (durcissement), service minimum en cas de grève (officiellement voté pendant son mandat), dégressivité de l’allocation chômage (déjà annoncée), fin pure et simple du regroupement familial (durcissement), création d’une « présomption de nationalité française » (durcissement), abrogation de l’ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs (durcissement)… Bref, il y a d'abord dans ce catalogue le rappel d’une stratégie engagée depuis longtemps et confirmée en 2012. Pour requinquer la droite, l’ancien président veut durcir son extrême.
À défaut de faire du neuf, et comme il procède depuis quarante-cinq ans, Nicolas Sarkozy annonce qu’il va tout casser. Et comme d’habitude, les médias dominants donnent du volume à sa sono. Attendons-nous à en manger matin, midi et soir.
La lettre qu’il a écrite aux militants sera rapportée comme un texte fondateur. La nomination mécanique de Laurent Wauquiez à la présidence de LR a été annoncée par des dépêches urgentes… Ses discours sont disséqués, et leurs incohérences mises en avant sans complaisance. Mais ils font l’événement à la une, y compris s’ils sont creux, rabâcheurs, ou s'ils se contredisent entre eux.
Ce qui frappe dans cette histoire qui commence, c’est qu’elle recommence tous les matins. Toujours la même approche, la même technique, les mêmes ressorts, les mêmes ficelles, et le personnage obsédant duquel tout part et tout revient. Toujours Sarko et son storytelling, comme si le monde n’avait pas évolué.
Jusqu’où peut-il aller ? La réponse est évidente : jusqu’à l’Élysée, dans l’espoir d’y rester dix ans… Qui pourrait l’en empêcher ? Les sondages, naturellement, si comme lors de son « retour » en politique, il y a deux ans, ils contredisaient l’emballement médiatique et venaient à le refroidir.
Les électeurs de la primaire peuvent aussi stopper la machine. Les électeurs de droite, pour peu qu’ils se méfient des surenchères et laissent les solutions du Front national aux partisans de Marine Le Pen. Et les électeurs de gauche, s’ils vont voter en masse à cette primaire de la droite pour barrer la route à l’éternel revenant, puisque tous les Français inscrits sur une liste électorale ont le droit d’y participer.
Le « retour » de Nicolas Sarkozy a donc toutes les chances de transformer la primaire en référendum plébiscitaire, ou en procédure de destitution. « Pour ou contre Sarkozy », telle pourrait être la question… Si c'est le cas, il n'y aura pas fin novembre un million de votants mais trois, quatre, ou cinq millions, et la conséquence de cette présidentielle d'avant la présidentielle sera considérable. En cédant à sa tentation présidentielle, l'ancien président aura achevé la glissade infernale de la Cinquième République vers un système à la première personne. Non plus un choix collectif, mais un concours d'ambitieux.
"L'alcool tue lentement. On s'en fout, on a le temps."