La Wallonie en force! Chheeuuurrr le CETA!
C'est quoi ces députés belges qui lisent en détail les textes qui sont soumis à leur ratification, et qui se permettent même d'en discuter le contenu? Abjecte! Ils font honte à leur mandat, vraiment.
Il pète le tweet
Libre-échange: la Wallonie porte un coup fatal au traité avec le Canada
Le CETA est mort, dans sa version actuelle. C’est au nom de la « vitalité démocratique » que les socialistes qui dirigent la Wallonie ont dit non à l’accord commercial entre l’Europe et le Canada. Et ce malgré des pressions répétées, en particulier de la France. Ce refus bloque l’approbation de l’accord par l’Union européenne, qui se retrouve en plein désarroi. Accusées : les méthodes de négociations opaques de la commission européenne.
L’ultimatum lancé par le président du Conseil européen, Donald Tusk, n’a eu aucun effet, si ce n’est peut-être d’exacerber un peu plus le débat. Sommé de répondre par oui ou par non d’ici à lundi soir à l’accord commercial entre l’Union européenne et le Canada (Comprehensive Economic and Trade Agreement ou CETA), le gouvernement wallon a maintenu son refus d’approuver l’accord en l’état, entraînant la Belgique à sa suite.
Lundi 24 octobre, à l’issue d’une réunion du comité de concertation qui regroupe toutes les entités fédérées de Belgique et le gouvernement fédéral, le premier ministre belge, Charles Michel, a informé les dirigeants européens que la Belgique n’était pas « en état » de signer l’accord de libre-échange entre l’Union et européenne et le Canada. « On nous a demandé de donner une réponse claire aujourd'hui. La réponse claire à ce stade, c’est non », a-t-il commenté.
Le CETA est-il mort ? Les responsables européens veulent y croire encore. L’accord commercial avec le Canada paraît cependant durablement compromis. S’il est signé un jour, il ne le sera pas dans les mêmes termes. La commission européenne, qui avait pesé de tout son poids dans cette négociation, se retrouve plongée dans un profond désarroi.
Le blocage de la Wallonie a été accueilli par un flot de critiques des partisans du CETA. Les Flamands, en particulier, qui soutiennent cet accord contre la Wallonie et Bruxelles, sont particulièrement remontés. Ils dénoncent les manœuvres politiques d’un gouvernement socialiste, travaillant sous l'influence des syndicats et du Parti du travail de Belgique (PTB), d’une région qui ne vit que des subsides de l’État. Les Wallons leur rétorquant qu’ils agissent dans le cadre des nouvelles lois fédérales que les Flamands leur ont imposées, au nom du régionalisme.
La confirmation du refus de la Wallonie, en revanche, a été saluée par un concert d’applaudissements et d’encouragements par tous les opposants au traité de libre-échange avec le Canada en Europe. Tous se félicitent du courage et de la ténacité du gouvernement wallon, le seul qui a su tenir tête à l’Union européenne. Tous espèrent que le non wallon signe la mort de ce type d’accord, qui donne tout pouvoir aux multinationales face aux États, ou du moins ouvre à des renégociations sur de nouvelles bases.
Le gouvernement wallon se défend de vouloir la mort du CETA. Pour lui, il ne s’agit pas de fermer la porte à tout accord mais de l’améliorer. « Il est d’autant plus important de fixer des règles sociales, environnementales, commerciales élevées que cet accord est appelé à servir de modèle à tous les autres », expliquait le chef du gouvernement, le socialiste Paul Magnette, la semaine dernière devant le gouvernement wallon. Tous ont le TAFTA (accord entre l’Union européenne et les États-Unis) en tête. Face à des enjeux économiques, sociaux, environnementaux si considérables, toutes les négociations doivent se faire dans la transparence, dans le cadre d'une discussion démocratique et avec l’assentiment des citoyens, insistait-il dans un discours d’une tenue et d’une hauteur de vue dont on peine à trouver des échos en France. Et c'est au nom de la « vitalité démocratique » de la Wallonie, que Paul Magnette justifiait le refus de l'accord (voir la vidéo ci-dessous).
Nulle envie donc de jouer le « dernier village gaulois qui résiste », se défendent les responsables wallons, « mais juste de défendre des convictions ». « Dans les circonstances actuelles, on ne peut pas donner un “oui” aujourd’hui », a expliqué Paul Magnette, à la sortie de la réunion du comité de concertation. « Nous ne déciderons jamais rien sous ultimatum ou sous la pression (…). Chaque fois que l’on essaie de poser des ultimatums, ça rend impossibles les discussions sereines, ça rend impossible le débat démocratique », a-t-il ajouté.
Le matin, le président (centriste) du parlement de Wallonie, André Antoine, avait prévenu qu’il ne serait pas possible de respecter l’échéance de lundi fixée par le Conseil européen. « Nous sommes aujourd’hui devant une marmelade de textes. J’ai 300 pages de textes, 1 300 pages d’annexe, 2 ou 3 déclarations interprétatives », avait-il expliqué à RTL, avant de demander aux négociateurs de la clarté, de la cohérence et de l’équilibre dans les rapports avec le Canada.
Plusieurs points inquiètent les représentants wallons et exigent, selon eux, des modifications substantielles. Il y a d’abord les dispositions prévues sur les tribunaux arbitraux, qui risquent d’aboutir à la création d’une justice parallèle, hors des États, permettant aux multinationales d’attaquer les États pour des mesures ou des règles qu’ils jugent contraires à leur intérêt. De même, ils s’alarment de l'absence de clauses de sauvegarde réciproques en matière agricole ou sur les appellations d'origine qui permettraient à des entreprises américaines de se faufiler dans le dispositif de libre-échange. Ils s’interrogent sur le maintien des services publics et des politiques de prévention. Tout cela justifie des mesures contraignantes, insistent-ils.
Ces préoccupations ne sont pas nouvelles. Dès que la commission européenne a fait connaître, en septembre 2015, aux responsables politiques le fruit de ses sept années de négociation avec le Canada, la Wallonie a dit que ce texte lui posait des difficultés et qu’elle refuserait de le signer en l’état, comme la loi fédérale le lui permet. L’avertissement a été reçu dans l’indifférence générale. Ce n’est qu’à l’été 2016 que le gouvernement belge a commencé à se demander ce que pouvait bien vouloir le gouvernement francophone. Il a fallu attendre ces dernières semaines, à partir du moment où la signature de l’accord entre l’Union européenne et le Canada a été arrêtée au 27 octobre, pour que le gouvernement belge et les responsables européens réalisent que la Wallonie ne plaisantait pas, qu’elle n’allait pas ratifier comme cela un accord qu’elle désapprouvait. Tout le monde a commencé à s’affoler.
En moins d’un mois, tous ont essayé de rattraper le temps perdu. Les échéances fixées par la commission européenne n’ont cessé de se succéder : au cours de la dernière semaine, le gouvernement wallon devait donner son accord jeudi, puis vendredi, puis dimanche et enfin ce lundi. Tout le week-end, les responsables européens se sont relayés, les uns maniant la carotte, les autres le bâton, pour tenter de faire plier le gouvernement wallon, afin de maintenir la signature du 27 octobre.
Alors que la ministre canadienne du commerce, Chrystia Freeland, avait jeté l’éponge vendredi, estimant impossible de continuer les négociations et sommant l’Europe de « finir le job », le président du parlement européen, Martin Schulz, a repris le flambeau pendant le week-end. Samedi, il se disait encore « optimiste » sur l’issue des négociations. Dimanche, il ne disait plus rien.
Perte de légitimité
Car entre-temps, la machine bureaucratique européenne semble avoir repris le dessus. Dimanche, les responsables wallons faisaient part de leur énervement : le texte qu’on leur avait soumis ce jour-là était en retrait par rapport à celui de la veille. Leur agacement était d’autant plus grand que, dans le même temps, Donald Tusk accentuait les pressions pour les obliger à plier. Ce qui lui vaudra un tweet rageur de Paul Magnette en retour : « Dommage que les pressions de l’UE sur ceux qui bloquent la lutte contre la fraude fiscale ne soient pas aussi intenses. »
Aujourd’hui, la commission européenne se défend de toute pression. « La Commission n'a pas l'habitude de travailler avec des ultimatums ou des délais », assurait le porte-parole de la commission européenne, Margaritis Schinas, lors de sa conférence de presse lundi, avant de connaître la position de la Belgique. La commission européenne prône désormais « la patience » à l’égard de la Belgique. Que peut-elle dire d’autre ? Sauf à provoquer une crise politique et constitutionnelle, elle ne peut faire plier la Wallonie. De toue façon, elle n’en a plus les moyens.
Après la Grèce et le Brexit, l’effet de souffle provoqué par le refus du gouvernement wallon ébranle un peu plus l’édifice européen. Au début du mois, le gouvernement canadien s’en prenait à la commission européenne, lui reprochant de ne plus avoir la capacité de négocier pour tous. Un échec de l’accord risque « d’envoyer un message clair que l’Europe a choisi un chemin qui n’est peut-être pas très constructif », prévenait le premier ministre canadien Justin Trudeau.
Depuis vendredi, les critiques sont encore plus féroces. « C’est évident que si une petite communauté est capable de tenir en otages 500 millions de citoyens de l’UE, il y a un problème clair dans le processus de décision et le système de mise en œuvre en Europe », a assuré Gianni Pittella, président du groupe Socialistes et démocrates (S&D) au parlement européen, reprochant à la Wallonie de mettre en péril toute la politique de l’Union européenne. « Peut-être que le problème de l’Union européenne est trop de démocratie plutôt que pas assez », renchérissait lundi le chroniqueur du Wall Street Journal Simon Nixon.
Pour tous les défenseurs du CETA, la faute de ce qui arrive incombe en premier à Jean-Claude Juncker, président de la commission européenne. Alors que l’Union européenne a depuis le traité de Rome entière liberté pour négocier au nom de tous des accords commerciaux, le président de la commission européenne a accepté que les accords commerciaux en discussion soient soumis à la ratification des parlements et non plus seulement des États. Pour les tenants de l’ordre, c’est la porte ouverte à toutes les surenchères, à tous les populismes. « Si on lâche la politique communautaire en pâture aux politiciens de tout bord, c’est problématique », dit Sébastien Jean, directeur du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii).
Les observateurs britanniques se montrent les plus nerveux sur cette question : ils se placent dans la perspective des négociations sur le Brexit. Si l’Union européenne échoue à faire passer auprès des différents gouvernements un traité avec le Canada, jugé assez inoffensif, qu’en sera-t-il lorsque le gouvernement britannique entamera les pourparlers avec l’ensemble des pays européens sur sa sortie de l’union, se demandent-ils ? Les enjeux y sont beaucoup plus importants.
La perte de légitimité de la commission européenne rendait indispensable ce recours aux parlements des pays signataires, répliquent d’autres observateurs. « Compte tenu de l’animosité à l’égard de l’Union européenne en général et des accords commerciaux en particulier, la décision d’autoriser une ratification du CETA pays par pays, plutôt que s’en tenir au droit de la Commission d’établir la politique commerciale de l’Union, était une idée pragmatique », soutient le Financial Times dans un éditorial. Si faute de la commission européenne il y a, c’est de ne pas avoir pris suffisamment en compte les critiques et les doutes des Européens, de ne pas avoir cherché à bâtir un consensus large autour des questions, de ne pas avoir travaillé dans la transparence, ajoutent d’autres observateurs.
La défiance des citoyens européens à l’égard des accords commerciaux s’explique d’autant mieux qu’ils ont l’impression d’avoir perdu beaucoup en termes de démocratie, de droits sociaux, de préservation de leur environnement face aux puissances de l’argent. « L’opposition aux accords commerciaux ne se résume plus seulement en termes de perte de revenus (…). Il s’agit de justice, de perte de contrôle, de perte de crédibilité des élites. Prétendre autre chose ne peut que nuire à la cause des échanges », écrit le professeur d’économie politique internationale Dani Rodrik.
Le rejet et l’inquiétude des citoyens face à ces accords commerciaux sont d’autant plus grands qu’il ne s’agit plus d’abaisser des barrières douanières : les droits de douane sont quasiment réduits à zéro. Ces nouveaux accords entendent inscrire des normes, bousculer des droits, des cultures, s’attaquer à des modes de production et de consommation, imposer un droit des multinationales face aux États. On peut comprendre que tout cela suscite appréhension et colère.
« Beaucoup de pays se cachent derrière la Wallonie », accuse Paul Magnette. De fait, le CETA et autres TAFTA rencontrent une opposition grandissante dans toute l’Europe. En Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas, en France et partout en Europe, les manifestations contre ces nouveaux accords sont de plus en plus nombreuses. Plus de 300 000 personnes défilaient il y a quinze jours à Berlin contre ces accords commerciaux.
Le problème est que seuls les parlements régionaux belges ont été autorisés à s’emparer de ce dossier au préalable. Tous les autres parlements n’ont obtenu qu’un droit de regard a posteriori : une ratification à prendre ou à laisser. Avec, à chaque fois, la menace de l’ultimatum.
Tandis que l’opposition de la Wallonie est mise en avant, la décision rendue par la cour constitutionnelle allemande est soigneusement passée sous silence. Elle est pourtant aussi lourde de conséquences que le « non » wallon. Le 13 octobre, celle-ci a en effet rendu un avis sur le CETA. Elle a indiqué que le gouvernement allemand pouvait ratifier l’accord avec le Canada, en y mettant toutefois des conditions : l’Allemagne doit pouvoir quitter l’accord à tout moment si elle le demande ; de plus, Berlin ne peut accepter la disposition sur les tribunaux d’arbitrage. Ceux-ci sont, selon la cour de Karlsruhe, contraires à la constitution allemande, présentant le risque d’instituer une justice parallèle contre l’État allemand. Il n’y a donc pas que les ONG et quelques médisants qui s’inquiètent de ce dispositif antidémocratique.
La France, elle, comme à son habitude, tergiverse. Un jour, le gouvernement français assure que le CETA est le meilleur accord possible. C'est ce qu'a récemment affirmé Manuel Valls : « C’est un bon accord, exemplaire, qui n’a rien à voir avec celui dans lequel s’embourbe l’Union européenne avec les États-Unis, et qu’il faut mettre en œuvre rapidement. » Un autre, le secrétaire d’État au commerce extérieur, Matthias Fekl, assure que la France est opposée au TAFTA et qu’il faut arrêter la négociation. François Hollande a quant à lui tenté de convaincre à plusieurs reprises le Wallon Paul Magnette. La différence entre les deux accords est pourtant infime, d’autant que le CETA pourrait servir de cheval de Troie à toutes les multinationales américaines. Plutôt que de biaiser, de se cacher derrière la petite Wallonie, on aurait aimé que le gouvernement français porte le débat sur le CETA avec la même conviction et le même sérieux que l’ont fait les Wallons. Tout le monde y aurait gagné, y compris l’Europe.
"L'alcool tue lentement. On s'en fout, on a le temps."