par fernando » 23 Nov 2016, 21:21
Attention ça pique
Un pacte de corruption se dessine derrière les valises libyennes de Takieddine
Mediapart publie quatre documents qui prouvent que Nicolas Sarkozy et ses proches se sont employés, entre 2005 et 2009, à sauver la mise judiciaire au dignitaire libyen Abdallah Senoussi dans l’affaire de l’attentat du DC10 d’UTA. Senoussi est aujourd’hui soupçonné d’avoir fait remettre 5 millions d’euros en cash à Sarkozy et Guéant, par l’intermédiaire de Ziad Takieddine, avant la présidentielle de 2007.
Dans un pacte de corruption, il y a toujours deux bouts. Deux intérêts, deux attentes. Dans l'affaire libyenne, Mouammar Kadhafi a soutenu que Nicolas Sarkozy était venu lui « demander » une « aide » pour sa campagne présidentielle de 2007. Mais accéder à cette demande, qui est désormais au cœur de l'enquête judiciaire, supposait pour Kadhafi d'avoir l'assurance de certaines contreparties, une fois passée l'élection.
Outre l'accès éventuel à l'énergie nucléaire ou la respectabilité internationale sur tapis rouge offerte par le pays de la Déclaration des droits de l'homme, l'une de ces contreparties concernait le règlement en France de la situation judiciaire d'Abdallah Senoussi, beau-frère de Kadhafi et l'un des chefs des services spéciaux libyens, condamné par contumace à Paris à la réclusion criminelle à perpétuité dans l'affaire de l'attentat contre le DC10 d'UTA.
Cette exigence libyenne est apparue très tôt, dès 2005, dans les premiers pourparlers de l'intermédiaire Ziad Takieddine avec le régime libyen. Or, on sait aujourd'hui par les confidences de Takieddine, qui a avoué avoir remis en 2006 et 2007 trois valises de cash libyen pour un montant total de 5 millions d’euros à Nicolas Sarkozy et Claude Guéant, que cet argent a été débloqué par un pilier du régime qui n'est autre qu'Abdallah Senoussi.
Questionné à trois reprises par les enquêteurs de l’Office anticorruption (OCLCIFF) de Nanterre, Takieddine a confirmé et étayé sur procès-verbal ses déclarations faites face caméra à Mediapart.
Abdallah Senoussi a lui-même déclaré avoir supervisé ces versements devant la Cour pénale internationale (CPI), évoquant les mêmes dates, les mêmes montants, les mêmes protagonistes, lors d’une audition longtemps tenue secrète. Ces financements avaient par ailleurs été en partie consignés dans un carnet manuscrit, en 2007 (soit quatre ans avant la guerre en Libye et la chute du régime Kadhafi), par l’ancien ministre du pétrole Choukri Ghanem, mystérieusement mort en avril 2012 à Vienne (Autriche) – son corps a été retrouvé dans le Danube.
Pour la France, Abdallah Senoussi, l’expéditeur des valises d’espèces avant la présidentielle de 2007, est avant tout un fugitif. En 1999, la cour d’assises de Paris l'avait condamné pour avoir été l’organisateur de l’attentat contre l’avion de ligne DC10 d’UTA, qui a tué 170 personnes en 1989. Un mandat d’arrêt international avait été émis à son encontre après le verdict. Les efforts déployés par Nicolas Sarkozy et ses proches pour répondre à la demande libyenne sur le cas Senoussi ne pouvaient qu'être voués à l'échec.
Mediapart rend aujourd’hui publics quatre documents qui prouvent pourtant les scénarios échafaudés par le clan de l'ancien président pour sauver la mise judiciaire à Senoussi dans l’affaire du DC10 d’UTA, au mépris du jugement d’un tribunal souverain et de la mémoire des victimes. Ces faits, évoqués dès juillet 2011 par Mediapart, qui pourraient être considérés comme l'une des contreparties du financement politique débloqué par le régime libyen, font désormais l'objet de vérifications judiciaires.
Voici les principales pièces de ce puzzle, qui accablent Nicolas Sarkozy et plusieurs de ses proches.
1) Senoussi choisit l’avocat personnel de Sarkozy
Le document est daté du 6 juillet 2006. Il s’agit d’un mandat envoyé par Abdallah Senoussi à l’avocat personnel et ami de Nicolas Sarkozy, Me Thierry Herzog, pour défendre ses intérêts dans l’affaire du DC10 d’UTA, pourtant jugée sept ans plus tôt. « Je, soussigné M. Abdallah Senoussi […], donne par la présente pouvoir à Maître Thierry Herzog […] de prendre toutes les initiatives procédurales pour prendre la défense de mes intérêts […] dans l’affaire UTA », peut-on lire dans le document, qui comporte une erreur de traduction sur la date du jugement de la cour d’assises de Paris.
Interrogé en 2011 par Mediapart, Thierry Herzog, aujourd’hui mis en examen pour « corruption » et « trafic d’influence » avec Nicolas Sarkozy dans l’affaire Bismuth, n’avait pas nié avoir reçu un tel mandat. Mais il avait botté en touche : « Je n’ai effectué aucun acte. Je n’ai jamais vu ce monsieur de ma vie. Et quant au pouvoir, s’il m’a été adressé, je n’en ai fait aucun usage. »
2) Objectif : « faire casser » le jugement
Ziad Takieddine est l’homme qui, en coulisses, a introduit dès 2005 Nicolas Sarkozy auprès de Mouammar Kadhafi. Dans le cadre de l’affaire Karachi, dossier qui vaut à l’intermédiaire une mise en examen et un probable renvoi devant le tribunal correctionnel, les juges ont mis la main sur le disque dur de ce dernier. Parmi les milliers de documents récoltés, de nombreuses notes portent sur les relations entre la France de Sarkozy et la Libye de Kadhafi.
Le 25 juin 2008, Takieddine rédige une note dont le titre est sans équivoque : « Note concernant la situation d’Abdallah Senoussi. » Le document fait état de recherches juridiques, dont le but apparaît dès le premier paragraphe: « L’objectif est de faire casser cette décision [jugement de la cour d’assises de Paris – ndlr] sans qu’il [Senoussi] ait à revenir personnellement en France. » « Une jurisprudence de la Cour de Cassation permet de faire un recours par l’intermédiaire d’un mandataire », poursuit la note.
Le nom (mal orthographié) d’un avocat parisien est cité. Il s’agit de Philippe Dehapiot. L’intéressé n’a pas démenti avoir été approché sur ce dossier par « une personne physique privée », dont il tient toutefois l’identité secrète. « La personne n’a pas donné suite. Il y avait des possibilités juridiques de contester la contumace. On pouvait soutenir que M. Senoussi avait été tenu dans l’ignorance de la décision qui l’avait renvoyé aux assises. L’arrêt de renvoi avait été signifié au parquet et non pas à sa personne. Cela pouvait renvoyer le dossier à l’instruction », a expliqué l’avocat.
3) Un fax, une rencontre
Le fax est daté du 30 octobre 2008. Il a été envoyé à 14 h 38. En copie se trouve une lettre envoyée par une avocate libyenne, Azza Maghur, à Thierry Herzog. Azza Maghur évoque dans ce courrier une rencontre avec l’avocat de Sarkozy et Senoussi le 26 novembre 2005, soit un mois après la première visite officielle de Sarkozy en Libye. Dans cette missive, elle demande à son confrère parisien dans quelle mesure les modifications, par la loi Perben 2 de 2004, des règles de la contumace pourraient profiter aux condamnés libyens de l’affaire du DC 10-UTA, dont Senoussi. Il est également question d’un déplacement de Herzog aux frais de la dictature libyenne.
4) Une réunion avec Guéant pour « mettre le mandat d’arrêt de côté »
C’est, dans ce volet du dossier libyen, le document le plus accablant pour la présidence Sarkozy. Il s’agit d’une « note confidentielle » rédigée par Ziad Takieddine. Elle fait état d’une réunion le 16 mai 2009 avec “CG” – comprendre Claude Guéant, alors secrétaire général de l’Élysée ; il est aujourd’hui mis en examen dans l’affaire libyenne. Une nouvelle fois, il est question de la situation judiciaire de Senoussi. Takieddine évoque dans sa note les « conclusions de Me Thierry Herzog », ce qui suggère donc que, contrairement aux dénégations de l’avocat, des diligences ont bien été effectuées en faveur du dignitaire libyen, qui s’accuse aujourd’hui d’avoir payé Sarkozy et Guéant en cash.
« La démarche, la seule efficace, rapide et possible […] après accord de CG » est de « demander au procureur général de mettre le mandat d’arrêt de côté, vu l’état de santé de Senoussi et la nécessité de se faire soigner d’urgence en France », peut-on lire sous la plume de Takieddine.
Sarkozy et Guéant n’ont jamais souhaité s’exprimer sur ces faits.
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