Sondage: Valls en tête (selon 313 sympathisants du PS et de gauche)
Le Parisien annonce ne plus commander d’enquêtes d’opinion durant la campagne présidentielle. Et c’est salutaire, quand on s'intéresse aux détails du sondage publié jeudi par l’institut Harris Interactive pour France 2, à propos de la primaire du PS.
Heureux les éditorialistes et les analystes qui vivent du commentaire de « l’opinion » sans jamais chercher à lire la notice méthodologique des études qu'ils citent à l'appui de leurs démonstrations définitives. Pour eux, des sondés sont « les Français » et c’est bien pratique comme ça. Et depuis ce jeudi, ils peuvent enfin s’en donner à cœur joie sur la primaire du PS, après avoir un temps redouté de n’avoir aucun sondage à se mettre sous la dent.
Les bonnes résolutions du début d’année laissaient espérer une appréhension nouvelle du traitement de l’actualité politique. Le Parisien vient de décider de ne commander aucun sondage politique durant la campagne présidentielle. Et même si l'annonce est à relativiser 3, ce choix est un événement médiatique, au regard du rôle prescripteur du quotidien populaire dans le champ médiatique, mais aussi de son passif en mise en scène de la matière sondagière. Le Monde a de son côté choisi de ne pas consacrer de questions à la primaire socialiste au cours du “terrain” de son sondage mensuel (organisé par le Cevipof et l’Ifop, avec un échantillon autrement plus fiable de plus de 20 000 électeurs).
C’est le service public télévisuel qui est finalement venu au secours des commentateurs dépourvus de leur instrument préféré de mesure du sens du vent. Grâce à l’institut Harris Interactive et à France 2, ça y est. Manuel Valls est largement en tête de la course à la primaire du PS, loin devant Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, alors que Vincent Peillon est dans les choux. Des chiffres, enfin.
Et qu’importe leurs détails aberrants, ils vont permettre articles et interventions radiotélévisées multiples sur un Valls « en tête » ou « loin devant ». En ces temps de “post-vérité”, un seul sondage permet de rétablir, un temps, le règne de la “pré-vérité à peu près”.
Qu’importe que ce même Manuel Valls enchaîne les prestations médiatiques délicates, change de slogan toutes les deux semaines ou enchaîne les explications déconcertantes sur l’usage du 49-3 ; qu’importe que, lors de la primaire de 2011, il n’ait obtenu que 5 % des voix ; qu’importe qu’il soit entré en campagne à l’arraché après avoir poussé François Hollande à la retraite anticipée… Sa « blitzkrieg » a marché, car un sondage prouve qu’il est vraiment le meilleur, et de loin.
Qu’importe qu’il soit impossible à l’heure actuelle d’imaginer le nombre de votants à la primaire, ni quel type d’électorat va se déplacer… 43 % des Français veulent voter pour lui, c’est Harris qui le dit. Qu’importe qu’on ne connaisse pas encore la cartographie des bureaux de vote (dévoilée lundi) ; qu’importe que les débats télévisés (trois en une semaine, jusqu’à trois jours du premier tour) n’aient pas encore eu lieu… L’opinion publique existe, et elle a parlé.
Il faut pourtant lire la « note détaillée » 3 et le « rapport » 3 de ce sondage Harris Interactive commandé par L’Émission politique de France 2.
Outre le tableau des marges d’erreur (qui sont entre 3 et 5 %, ce qui n’est pas rien),
on y apprend que l’enquête a été réalisée « en ligne ». Et que l’échantillon retenu concerne « 478 inscrits sur les listes électorales déclarant qu’ils iront certainement voter à la primaire ». Et pour justifier le tour de passe-passe, il suffit de convoquer la fameuse « méthode des quotas ». Ces 478 sondés étant issus d’un panel de 6 245 personnes « représentatif des Français âgés de 18 ans et plus », la notice de Harris indique en guise de justification qu'« il est communément admis », encadrement à l'appui, que 500 « interviews » et 6 000, c’est finalement « proche ».
Mais 478 personnes, ça ne fait quand même pas beaucoup, pour représenter « les Français ». Ainsi, les 57 % de « sympathisants du PS » derrière Valls ne sont en réalité que 123 sondés.
Car il faut surtout lire la « notice technique », cette fois-ci sur le site de la commission des sondages 3 (elle devrait être mise en ligne lundi, mais nous nous la sommes d'ores et déjà procurée – elle est consultable ici: (pdf, 504.5 kB)). Car depuis la loi du 25 avril 2016 3, les notices de tous les sondages « portant sur le débat électoral » y sont mises en ligne avec des informations « complétées ». Hélas, on n'y apprend ni le coût de l’enquête, ni la méthode de « redressement », ce secret industriel propice à toutes les manipulations. Mais quand même quelques informations supplémentaires.
On y découvre ainsi un « Nota Bene » précisant les conditions de l’enquête. Et on hésite à être davantage affligé par la marchandisation de la démocratie d’opinion, ou par l’absence de rigueur scientifique de l’exercice.
Passons sur le fait que les deux régions encore places fortes du PS et du reste de la gauche (région parisienne et Sud-Ouest) sont celles qui sont le moins représentées dans l’échantillon, ou que les données brutes (avant leur toujours mystérieux « redressement ») sont parfois communiquées, parfois non.
En revanche, deux lignes (écrites en tout petit) n’en finissent pas d’interroger. Ainsi, la lecture des « bases des sous-échantillons » nous laisse comprendre que sur les 478 sondés « certains d’aller voter », l’on décompte 222 « sympathisants PS » et 91 « sympathisants de gauche non socialistes ». Soit, si l'on compte bien, 313 électeurs de gauche au sens large.
Mais qui sont donc les 165 sondés manquants (un tiers de l’échantillon total, tout de même) ? On ne le sait pas. Mais cela achève de nous convaincre que ce sondage ressemble davantage à une fable. Si votre ramage se rapporte à votre sondage, vous êtes le phénix de l’hôte des médias…
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