par fernando » 24 Jan 2017, 16:23
Jack Kashkar Crew
Football: de nouveaux documents jettent le trouble sur le rachat du club de Lille
24 janvier 2017| Par Yann Philippin et Michaël Hajdenberg
Des documents confidentiels, obtenus par Mediapart, Mediacités et France 3, montrent que des proches de Gérard Lopez, le futur repreneur du club de football de Lille, ont démarché des investisseurs pour entrer au capital du club alors que Lopez avait assuré ne pas en avoir besoin. Le rachat du club n’est, lui, toujours pas bouclé.
Le financier luxembourgeois Gérard Lopez va-t-il enfin racheter le Losc ? De nouveaux documents confidentiels, obtenus par Mediapart, Mediacités et France 3 Nord-Pas-de-Calais, vont à nouveau jeter le trouble sur sa capacité à s’offrir le club de football de Lille. Selon nos informations, le bras droit de Lopez et futur patron du Losc, Marc Ingla, a rédigé un document destiné à séduire des investisseurs dès le 17 octobre 2016, deux jours après l’ouverture des négociations exclusives avec l’actuel propriétaire du club, Michel Seydoux.
Plus étonnant encore, un très proche de Lopez a démarché un partenaire potentiel juste avant la conférence de presse du 13 janvier, qui a officialisé la passation de pouvoir. Gérard Lopez a pourtant toujours assuré ne pas avoir besoin d’investisseurs extérieurs, qui n’arriveraient qu’ « à terme ».
Il s’agit, au pire, d’une démarche inquiétante, au mieux d’un mic mac qui fleure bon l’amateurisme. Joint par Mediapart, Gérard Lopez affirme en effet que le démarchage a été fait à son insu par l’un de ses amis financiers. Lequel nous a affirmé que les emails sont faux, puis seulement à moitié, quand bien même Lopez ne dément pas leur authenticité…
C’est le nouvel épisode d’un mauvais feuilleton qui s’éternise : le 16 janvier, Mediapart, Mediacités et France 3 Nord-Pas-de-Calais révélaient les troubles montages financiers de Lopez, qui veut acquérir le Losc par l'intermédiaire d'une société offshore aux Îles vierges britanniques. Et dix jours après la passation de pouvoir, le rachat du club n’est toujours pas bouclé. Et pour cause : l’examen de passage devant la DNCG, l’organe de la Ligue de football professionnel (LFP) chargé d’évaluer le sérieux financier du projet, a été déjà été décalé deux fois, à la demande du repreneur.
L’audition devrait finalement se tenir vendredi, selon La Voix du Nord 3. Mais Gérard Lopez se veut rassurant. Il martèle qu’il peut racheter le club tout seul, avec son argent et sans dette.
Des documents confidentiels, qui nous ont été transmis suite à notre première enquête, racontent pourtant une histoire différente. Ils ont été envoyés par mail à un investisseur potentiel par Laurent Pichonnier. Ce financier luxembourgeois est un ami de longue date de Lopez. Il avait monté en 2014 le fonds Fair Play Capital, spécialisé dans le négoce de morceaux de footballeurs (la TPO, lire nos enquêtes ici). Cette pratique ayant été interdite juste après par la Fifa, le fonds de Pichonnier est mort né. Ce qui ne l’empêche pas de se déguiser en Daft Punk pour vanter cette expérience lors d’une conférence sur la finance (voir la vidéo ici 3).
En novembre 2016, juste après que Lopez soit entré en négociations exclusives avec Michel Seydoux, Pichonnier fait une proposition par email à un partenaire potentiel : « C’est un club de Ligue 1 [valorisé] plus de 200 millions d’euros, et il est possible d’acheter une participation de 33% dans le club » pour « 75 millions d’euros », avec en prime « un siège au conseil d’administration ». Un tarif hallucinant, puisque Lopez a indiqué que la valorisation du Losc était d’environ 80 millions d’euros, dette comprise.
Le second mail a été envoyé moins d’une semaine avant la conférence de presse du vendredi 13 janvier. « Le deal va devenir public à la fin de la semaine, donc on peut commencer à avancer avec vos homologues chinois », écrit Laurent Pichonnier. Le financier ajoute que Lopez « a racheté 95% du Losc [ce qui est faux, le deal n’étant pas bouclé - nldr] », et qu’ « il cherche désormais à vendre 20 à 25% des actions de la holding de détention à un partenaire, de préférence originaire de Chine, avec pour objectif d’y développer l’académie. »
Pour faire saliver les Chinois, le financier joint à son email une présentation du projet de reprise, intitulée « Losc : Renforcer l’excellence du football pour le succès ». Il s’agit d’une « présentation investisseurs » de 25 pages datée du mois de janvier 2017 (voir ci-dessous), estampillée « hautement confidentiel ». Elle émane de la société britannique Victory Soccer, l’une des holdings de la future chaîne de détention du club lillois.
La présentation a été rédigée sur l’ordinateur de Marc Ingla, l’ex-dirigeant du FC Barcelone que Lopez vient de nommer directeur général du Losc. Détail troublant : les métadonnées montrent que le fichier a été créé le 17 octobre 2016, soit le lendemain de l’annonce l’ouverture des négociations exclusives entre Lopez et Seydoux. Ce qui suggère que le repreneur cherchait des investisseurs dès le départ.
A l'insu du plein gré de Gérard Lopez...
Joint lundi par Mediapart, Gérard Lopez assure que Pichonnier, un proche qu’il « connaît depuis longtemps », a agi dans son dos. Lorsque nous lui avons lu les mails, dont celui qui propose de vendre d’un tiers du Losc pour 75 millions d’euros, il n’en a pas contesté l'authenticité. « Cela ne vient pas de nous. Cela vient de monsieur Pichonnier. » Lopez affirme qu’il ne cherchait seulement un partenaire pour développer « des académies de football en Chine ». Il dit avoir fait rédiger la présentation pour son ami Pichonnier, car il « avait éventuellement des gens qui seraient intéressés »
Selon Lopez, le financier aurait outrepassé son rôle. « Quand j'ai découvert ces emails, (…), je lui suis tombé dessus en disant “pourquoi est-ce que tu as envoyé ça ?”. Sa réponse a été qu'il pensait pouvoir faire un bon deal pour tout le monde. Moi, je n'ai pas recherché d'investisseur pour clôturer le deal, et si vous dites l'inverse vous mentez, parce que Laurent Pichonnier n'a pas de mandat, et parce que je n'ai rencontré aucun investisseur. » Avant d'asséner : ce qu'a fait Pichonnier est « grave, et c'est pour ça que mes avocats sont dessus ». »
Joint lundi matin, Pichonnier nous a d’abord répondu que « ces emails sont des faux ». Lorsque nous l’avons rappelé pour lui dire que Lopez ne démentait pas leur authenticité, le financier s’est en partie ravisé. Il reconnaît en être l’auteur. Mais il affirme que les textes ont été « retravaillés » pour y ajouter de fausses informations, avec une « volonté de nuire ». En ce qui concerne le rachat de 33% d’un club de Ligue 1, il affirme que cela ne concernait pas Lille mais le club des Girondins de Bordeaux. Dans le second mail, il dément avoir écrit le passage indiquant que 20 à 25% du capital du club est à vendre. Mais Pichonnier a refusé de comparer ses emails avec les nôtres (lire notre Boîte noire).
Pour le reste, les deux hommes affirment de concert qu’il ne s’agissait pas de vendre des parts du Losc. Du moins, pas tout de suite. « Vous êtes en train de confirmer ce que j’ai toujours dit : je suis ouvert à terme à ce que quelqu'un entre au capital du Losc, en minoritaire, pour développer des académies en Chine », dit Lopez. Ses avocats nous ont précisé par écrit que l’arrivée de ces éventuels actionnaires n’est envisagée que dans un délai compris « entre 6 mois et 1 à 2 ans ».
Sauf que la présentation, élaborée à partir du 17 octobre et dont les deux hommes confirment l’authenticité, montre qu’il s’agit bien d’une proposition concernant l’entrée au capital du club. « Le Losc est une opportunité d’investissement très excitante » avec de belles « possibilités de croissance », dit le document. Il y est également question de l’ « opportunité d’investir dans les actifs existants du Losc ».
Le 13 janvier, Lopez avait déclaré que « vendre pour vendre des joueurs n’est pas notre objectif. Notre objectif est avant tout sportif, on veut pérenniser le club. » La brochure fait portant miroiter aux investisseurs de juteuses plus-values sur les membres de l’équipe. « Le Losc a le meilleur bilan sur dix ans en Ligue 1 en matière de transferts, avec le solde le plus élevé entre ventes et achats de joueurs, avec 199 millions d’euros de profits », lit-on page 4. Puis, page 13 : « Le Losc est un "club de transition", une plateforme pour vendre du rêve aux meilleurs jeunes talents, les promouvoir et les vendre aux meilleurs clubs – il a le meilleur potentiel en Europe pour multiplier le retour sur investissement avec Porto et une poignée d’autres. »
D’autres passages semblent également contredire les propos tenus publiquement par Lopez. Il a toujours dit qu’il n’aurait pas recours à la dette. Or, l’avertissement aux investisseurs qui figure en page 2 stipule qu’il est question de « financements qui pourraient inclure des souscriptions au capital ou de l’endettement au niveau de la société qui porte l’investissement ». Il s’agit d’une clause « standard » insérée pour « être protégé », assure Lopez.
Une autre bizzarrerie concerne la caution sportive et médiatique du projet : l’ancien entraîneur vedette de l’OM Marcelo Bielsa, que Lopez veut attirer au Losc. « Il y a 50% de chances qu’il vienne », a-t-il dit dimanche dans Telefoot 3. Mais dans la brochure, Bielsa est présenté comme le « conseiller technique football » de sa holding Victory Soccer. Le technicien argentin a-t-il donné son accord pour être présenté ainsi à des investisseurs, alors qu’il n’a encore rien signé ? Lopez assure qu’ « il est au courant » : « C’est mon ami effectivement, il travaille comme conseiller. Chaque fois que j’ai une question sur le foot, je l’appelle. (…) M. Bielsa, je l’ai au téléphone tous les jours, ou tous les deux jours. (…) C’est une des personnes de référence dans le projet » Est-il rémunéré pour cela ? « Non, pas pour l’instant puisque c’est un ami. »
On apprend également dans la brochure que Lopez veut « évaluer une opération financière de rachat » du stade Pierre Mauroy, achevé en 2012. Un projet pharaonique, puisque l’enceinte, construite par Eiffage via un partenariat public privé avec l’agglomération de Lille, a coûté au moins 325 millions d’euros. Lopez répond qu’ « on n’en est pas du tout là pour l’instant », mais il assume la réflexion. « Vous ne pouvez pas reprendre un club comme le LOSC sans réfléchir à ce qu’un jour, le LOSC ait son propre stade ou (soit) en partie partenaire du stade. »
La présentation dévoile enfin un nouvel aspect de sa stratégie. Dans son business plan, Lopez a identifié deux « domaines prioritaires – plus gros générateurs de revenus » : la fameuse académie en Chine et l’ « immobilier ». Lopez souhaiterait-il profiter du domaine de Luchin, le centre d’entraînement flambant neuf du Losc qui s’étend sur 49 hectares, en vendant des terrains ou en construisant des immeubles ? « Non, non, du tout ». Il indique que le projet immobilier en question est une future université du foot, dont les méthodes seraient « licenciées à des académies à l’étranger ».
Reste le point crucial : Gérard Lopez a-t-il vraiment l’argent nécessaire pour reprendre le Losc ? Il indique que le projet nécessitera environ « 80 millions d’euros », rachat de la dette compris, « à un moment donné » : « c’est l’enveloppe totale pour amener le club là où il doit aller ». Mais le financier luxembourgeois reste flou : « Aujourd’hui, j’ai la capacité effectivement d’investir un certain montant qui n’est pas 80 millions. (…) Si l’enveloppe totale est d’ici 18 mois de 80 millions, oui, à ce moment là, j’ai la capacité de faire ça. »
Il réaffirme toutefois qu’il investira avec son propre argent (« je vais le prendre en fait sur une de mes holdings »), qu’il ne s’endettera pas, et qu’il sera bien actionnaire à 100% des sociétés qui détiendront 95% du club. Comme nous l’avions révélé, le Losc doit être racheté par une société française détenue la société britannique Victory Soccer, elle-même détenue par Chimera Consulting à Hong Kong, laquelle appartient à une structure offshore ultra-opaque baptisée Incredible Wealth, immatriculée aux Îles vierges britanniques.
Lorsque nous l’avons joint lundi, Gérard Lopez s’est expliqué précisément pour la première fois sur ce montage. Il affirme qu’Incredible Wealth était une « société de domiciliation » qui détenait Chimera « tant que la société était dormante ». Chimera « a été transférée à mon nom personnel lorsque j’ai commencé à l’utiliser ». Pour prouver sa bonne fois, Lopez nous a fait parvenir une attestation montrant qu’il est désormais actionnaire à 100% de Chimera à Hong Kong (voir ci-dessous).
Le document fourni par Gérard Lopez montrant qu'il est actionnaire à 100% de Chimera, la holding de Hong Kong qui détiendra le Losc, et qui était auparavant détenue par une société offshore des îles Vierges. Seul souci: il manque la date. © D.R.
Le document fourni par Gérard Lopez montrant qu'il est actionnaire à 100% de Chimera, la holding de Hong Kong qui détiendra le Losc, et qui était auparavant détenue par une société offshore des îles Vierges. Seul souci: il manque la date. © D.R.
Le souci, c’est que sa version ne colle pas avec les faits. Chimera a bien été créée en 2014 par une société de domiciliation, mais une société de domiciliation basée à Hong Kong. Les parts ont ensuite été transférée à Incredible Wealth (qui n’est pas une société de domiciliation) le 17 février 2016, quelques mois avant que Chimera ne devienne active. Bref, il n’y avait aucune raison de passer par Incredible Wealth aux Îles vierges.
Enfin, il y a un loup dans le certificat que nous a adressé Gérard Lopez : la case indiquant la date est en blanc, alors même que le document stipule qu’il est « délivré à la date mentionnée ci-dessus ». En clair, rien ne dit que Lopez n’a pas transféré les parts de Chimera à son nom en catastrophe, suite à la publication de notre enquête… Sollicités sur cette étrange date manquante, ses avocats n’ont pas donné suite.
Il est peut-être temps que le feuilleton se termine et que l'on sache si l’homme qui a d’ores et déjà pris les commandes du Losc va bien finir par le racheter. Sauf nouvelle surprise, l’heure de vérité est proche : tout dépendra désormais de l’examen du dossier vendredi par la DNCG.
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