par fernando » 05 Fév 2017, 15:20
Argent public détourné au Sénat: les chèques secrets de François Fillon
Quand il était sénateur, François Fillon a bénéficié d’un vaste système de détournement de fonds publics mis en place au sein du groupe UMP. Mediapart a retrouvé la trace des chèques signés à son nom et en publie deux.
Lorsque des fonds publics sont en jeu, certains comptent au centime près. Surtout quand il s’agit d’en profiter. Sur le chèque signé à l’ordre de « Monsieur François FILLON », la somme indiquée s’élève précisément à 3 221 euros et 73 centimes. Retrouvé par Mediapart, ce spécimen est l’un des chèques secrètement encaissés par le sénateur Fillon entre 2005 et 2007, dont nous avons révélé l’existence le 28 janvier dernier. Comme plusieurs de ses collègues, François Fillon a en effet profité d’un vaste système de détournement de fonds publics mis en place au sein du groupe UMP du palais du Luxembourg, interrompu en 2014 après l’intervention de la justice.
Perçus par François Fillon en plus de ses indemnités légales, les chèques en question correspondent à des commissions occultes ponctionnées sur l’enveloppe mise à sa disposition pour la rémunération d’assistants. Non content d’utiliser cette enveloppe d’argent public pour salarier son fils étudiant, puis sa fille étudiante, le Sarthois s’en mettait une partie supplémentaire dans la poche, trimestre après trimestre, jusqu’à son départ pour Matignon. Outre l’exemple précité, un talon de chèque dévoile le montant d’une « livraison » datant de 2006 : 3 205 euros et 41 centimes au nom d’un certain « FILLON ».
Les chèques cumulés au fil de son mandat n’ont sans doute pas dépassé les 25 000 euros, mais le principe en lui-même est scandaleux. Quatre élus ayant participé à et/ou profité de ce système ont d’ailleurs été mis en examen récemment pour « détournement de fonds publics » et/ou « recel », dont Henri de Raincourt et Jean-Claude Carle, dans le cadre d’une information judiciaire qui porte sur les années 2009 à 2014. Sénateur jusqu’en mai 2007, François Fillon ne figure pas dans le viseur de la justice – et c’est là pure logique. Mais au-delà de la question pénale, l’essentiel reste encore la question morale.
Si nous publions aujourd’hui ces documents, c’est que le candidat LR à la présidentielle a refusé de réagir à nos informations de la semaine dernière, espérant effacer l’affaire. Son entourage s’est contenté de brandir un « secret de l’instruction » qui n’a pas lieu d’être (son nom n’étant pas cité dans le dossier judiciaire), puis l’orage est passé. Désormais, le mutisme sera peut-être plus compliqué.
François Fillon en compagnie du président du Sénat, Gérard Larcher, l'un de ses soutiens depuis des années © Reuters François Fillon en compagnie du président du Sénat, Gérard Larcher, l'un de ses soutiens depuis des années © Reuters
Pour comprendre le stratagème utilisé à l’époque par François Fillon, il suffit de savoir que les parlementaires disposent d’une enveloppe réservée à la rémunération d’assistants (environ 7 500 euros au palais du Luxembourg). Quand ils ne l’épuisent pas, l’argent reste théoriquement dans les caisses du Sénat. Mais plutôt que de « perdre » leurs restes, les parlementaires ont aussi le droit de les attribuer à leur « groupe politique » (la structure qui se charge d’organiser le travail collectif entre élus d’une même étiquette). Si l’institution tolère ce transfert, c’est qu’il permet aux groupes (subventionnés par ailleurs) d’embaucher des collaborateurs supplémentaires, donc d’améliorer le travail parlementaire. En théorie.
Car entre 2003 et 2014, le système a été perverti côté UMP : des sénateurs récupéraient en douce un tiers du crédit qu’ils offraient à leur groupe. Dans les couloirs du palais du Luxembourg, cette commission portait même un surnom, désuet et euphémisé à souhait : « la ristourne ». Selon les années et les courants politiques auxquels appartenaient les bénéficiaires, ces sommes ont pu suivre divers circuits, être directement versées par le groupe UMP (surtout pour les anciens RPR) ou bien transiter par une association ad hoc baptisée URS, essentiellement au service d’anciens giscardiens, et qui signait des chèques à la pelle. Pour éviter la paperasse, les « ristournes » étaient en tout cas redistribuées trimestre par trimestre.
La quasi-totalité de celles encaissées par François Fillon est passée par l’URS en l’occurrence. Sur le chèque reproduit par Mediapart, c’est bien la signature de son fondateur et président, le sénateur Henri de Raincourt (aujourd’hui mis en examen), qui apparaît. C’est aussi le compte de l’URS à la banque CCF (devenue HSBC) qui est prélevé. Un seul détail pourrait clocher : le chèque n’est pas daté. En réalité, c’est le cas pour l’ensemble des chèques signés au nom de François Fillon, qui exigeait souplesse et discrétion. Sur le talon publié par Mediapart, on remarque tout de même que la somme de 3 205 euros correspond à un « 2ème trimestre ». Il s’agit de l’année 2006, d’après nos informations.
Une dernière question pourrait enfin se poser : pourquoi les « ristournes » de François Fillon, ancien baron du RPR gaulliste et chiraquien, ont-elles transité par l’URS, schéma plutôt réservé aux giscardiens ? La réponse est politique : lorsqu’il a débarqué au Sénat en 2005, François Fillon venait de rompre avec Jacques Chirac et de rallier l’ambitieux Nicolas Sarkozy. Du coup, au sein du groupe UMP, alors piloté par un chiraquien pur jus, le « jeune » sénateur n’était pas en odeur de sainteté... Tuyauté par un ami, il a opté pour les discrets services offerts par l’URS.
D’après nos informations, il y a au moins une exception à ce circuit. En mai 2007, quand sa nomination à Matignon a été annoncée, François Fillon a voulu faire vite pour récupérer un dernier chèque. C’est alors Jean-Claude Carle, trésorier historique du groupe UMP, immédiatement disponible au palais, qui aurait signé son chèque au nouveau premier ministre, directement tiré d’un compte bancaire du groupe UMP. François Fillon serait même reparti avec un montant correspondant à l’ensemble du trimestre en cours. Sollicité par le truchement de son avocat, Jean-Claude Carle (aujourd’hui mis en examen) n’a souhaité faire « aucun commentaire ».
Chez la poignée d’élus mis en examen (pour les seules années 2009 à 2014), la défense est toujours la même : « Il s’agit d’un système ancien, connu de tous et parfaitement légal », pour reprendre les termes de Me Raphaël Gauvain, l’avocat de Jean-Claude Carle, ou d’André Dulait. Les juges d’instruction semblent voir les choses autrement.
Ils continuent d’ailleurs de dévider la pelote. Le système des « ristournes » a en effet laissé bien des traces. Mois par mois, année après année, des listes étaient tenues au cordeau au sein du groupe UMP, notamment par la comptable, aujourd’hui remerciée, une ancienne collaboratrice de Roger Romani (le gardien du « système Chirac ») à la ville de Paris. En mai dernier, lorsque les policiers de la Brigade de répression de la délinquance astucieuse (BRDA) ont perquisitionné les bureaux du groupe UMP, ils sont tombés sur des archives en pagaille, parfois très anciennes, que certains croyaient « nettoyées ».
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