par fernando » 10 Déc 2016, 14:39
Agent de joueur, quel beau métier. Au niveau rémunération/contribution à la société, ils explosent les agents immobiliers qui sont déjà pas mal dans le genre.
Les paradis fiscaux de Paul Pogba
Les Football Leaks dévoilent la face cachée du business du joueur le plus cher de l’histoire du foot. La marque “Paul Pogba” se trouve depuis des années au cœur d'une guerre ouverte entre deux agents. D'abord exploités au Luxembourg, les droits à l'image du célèbre milieu des Bleus sont aujourd'hui entre les mains d'une coquille offshore immatriculée à Jersey, un paradis fiscal des îles anglo-normandes.
Paul Pogba pourrait être, à lui seul, un symbole de la folie de l’industrie du foot. Le 9 août dernier, le milieu de terrain des Bleus devenait, à seulement 23 ans, le joueur le plus cher de tous les temps. Pour récupérer son ancien pensionnaire, Manchester United a signé un chèque de 105 millions d’euros à la Juventus de Turin avec, au passage, une commission non moins gigantesque de 27 millions pour son agent, Mino Raiola, qui s’est surpassé dans l’art de faire monter les enchères autour de son jeune poulain.
Mais cela n’a pas pour autant réussi au jeune prodige, manifestement tétanisé par son nouveau statut. Après deux premiers matchs médiocres en Angleterre, son entraîneur José Mourinho, lui-même épinglé par les Football Leaks, s’est lâché mi-septembre : « La question du joueur le plus cher du monde (…), je veux que Paul oublie ça. » S’il n’est pas le seul responsable du catastrophique début de saison de son club, Pogba a fait office de bouc émissaire idéal cet automne pour une bonne partie des supporteurs de Manchester, qui ont inondé Twitter de messages parfois haineux sous le mot-clé « #PogFraude ». Le milieu s’est toutefois repris à partir de la mi-octobre, inscrivant de beaux buts avec les Red Devils comme avec l’équipe de France.
Derrière le passage à vide de Pogba, il y a aussi les coulisses sordides de son business, qui s’est baladé au fil des ans d’un paradis fiscal (le Luxembourg) à un autre (l’île de Jersey) en passant par l’Irlande. Une histoire d’avidité et de coups tordus. Celle d’une lutte féroce entre le Français Oualid Tanazefti, qui a découvert Pogba à l’âge de treize ans, et un poids lourd du monde des agents, Mino Raiola.
Cette rivalité était déjà connue, notamment grâce aux révélations de L’Équipe et de l’émission « Enquêtes de foot» sur Canal+. Mais des documents inédits obtenus par Mediapart et Der Spiegel, et transmis au consortium European Investigative Collaborations (EIC), démontrent à quel point les deux agents se sont révélés prêts à tout pour s’accaparer les millions d’un gamin aux pieds d’or, qui a vu son business prospérer à l’ombre de contrées où la fiscalité est soit douce, soit nulle.
L'agent historique de Pogba lui a d'abord fait signer en 2014 un contrat léonin, par lequel il s’appropriait les revenus issus des droits à l’image du joueur pendant quinze ans, via une société luxembourgeoise.
Il y a eu ensuite le rachat de ces droits orchestré par Mino Raiola, qui s’est empressé de transférer la marque « Paul Pogba » à une coquille offshore immatriculée à Jersey, un paradis fiscal des îles anglo-normandes, sans que le célèbre milieu des Bleus ne trouve à y redire. Précision utile : l’opération a eu lieu juste après la signature par Pogba d’un très juteux contrat de sponsoring avec Adidas, estimé entre 25 et 40 millions d’euros.
L’enquête de l’EIC montre par ailleurs comment Mino Raiola a réussi à toucher 10 millions d’euros de la Juventus lors des quatre années passées par Paul Pogba à Turin. Soit presque autant que le joueur lui-même. Une rémunération extravagante, dont on peine à comprendre la justification. Si l’on ajoute la commission liée au transfert à Manchester, la Juve aura versé, au total, 37 millions d’euros à Raiola entre l’été 2012 et l’été 2016.
Paul Pogba n’a pas donné suite à nos sollicitations. Ses agents successifs ont tous les deux refusé de nous répondre sur le fond, en nous menaçant de poursuites judiciaires si jamais nous persistions à publier (lire l’intégralité de leurs réponses dans l’onglet Prolonger). Mino Raiola estime que nos informations sont « imaginaires, inexactes ou en tout cas déformées », tandis que Oualid Tanazefti considère qu’elles sont « totalement ou partiellement fausses, et/ou procèdent d’interprétations erronées et décontextualisées ».
L’histoire commence comme un conte de fées. Oualid Tanazefti, fils d’immigrés marocains né à Mantes-la-Jolie (Yvelines), rêvait d’être une star du foot. Il s’y essaye en Normandie, mais raccroche les crampons à 18 ans après une blessure, qui lui fait prendre conscience qu’il n’arrivera pas à passer professionnel. Il devient recruteur pour Le Havre, qui le charge de repérer des jeunes talents en Île-de-France.
C’est ainsi qu’en 2006, à 21 ans, Tanazefti repère un petit prodige de 13 ans nommé Paul Pogba. Leurs parcours se ressemblent. Né de parents guinéens, Paul Pogba a lui aussi grandi dans un quartier sensible de la grande banlieue parisienne, la cité de la Renardière à Roissy-en-Brie (Seine-et-Marne). Grâce à Tanazefti, Pogba intègre le centre de formation du Havre. Deux ans plus tard, il est déjà appelé en équipe de France des moins de 16 ans.
La première embrouille survient dès l’été 2009. À 16 ans, Pogba est en âge de signer son premier contrat d’aspirant, pour lequel Le Havre avait négocié l’exclusivité. Mais Oualid Tanazefti, toujours recruteur du club mais de facto conseiller de Pogba, le convainc de partir à Manchester United. Furieux, Le Havre attaque le club anglais, qu’il accuse d’avoir violé l’exclusivité et versé de « très fortes sommes d’argent aux parents » d’un de ses « meilleurs jeunes ». L’affaire se soldera à l’amiable par un accord financier resté confidentiel.
Tanazefti démissionne du Havre et s’installe avec Pogba en Angleterre. « J’ai passé trois ans avec lui à Manchester. C’était parfois difficile parce qu’on n’avait pas beaucoup d’argent », a-t-il confié. C’est pendant ces trois années que se noue la relation très particulière entre le gamin déraciné de sa famille à 16 ans et son « conseiller » devenu une sorte de grand frère, voire un père de substitution. « Je l’ai éduqué comme mon fils, de la même manière que mon père m’a éduqué », a confié Tanazefti aux journalistes Antoine Grynbaum et Stéphane Bitton, auteurs du livre Les Secrets du mercato (éditions Solar).
À l’été 2011, Pogba signe, à 18 ans, son premier contrat pro à Manchester, d’une durée d’un an seulement. Tanazefti se sent pousser des ailes : il crée dans la foulée, avec deux associés, une agence de représentation de joueurs baptisée Sporteam, basée à Aix-en-Provence. Mais l’ex-recruteur du Havre, qui n’a pas de licence d’agent et un seul joueur débutant sous son aile, sait qu’il ne pèse rien face au richissime club mancunien et son emblématique manager Alex Ferguson. C’est pour cela qu’il appelle à l’aide Mino Raiola, l’un des agents les plus influents du monde. Cet agent néerlandais d’origine italienne, résidant à Monaco, représente des stars comme Zlatan Ibrahimovic ou Mario Balotelli.
Après seulement un an sous le maillot rouge, Pogba quitte Manchester pour la Juventus à la suite d’un nouveau clash, avec Alex Ferguson cette fois. Le joueur reproche à son patron de ne l’avoir fait jouer que sept matchs dans la saison. Dans sa biographie, Ferguson, qui a essayé de retenir Pogba, a dénoncé pour sa part l’attitude de Raiola, accusé d’être trop gourmand et d’avoir manœuvré dans son dos. « J’ai fait ce qui était le mieux pour mon joueur », a répliqué l’agent.
« Si Gareth Bale vaut 100 millions d’euros, Pogba vaut au moins le double »
Il est vrai que Raiola lui a négocié un salaire hors norme pour un jeune de 19 ans : selon son premier contrat, issu des Football Leaks, il a d’abord touché très exactement 2,75 millions d’euros brut par an (bonus compris), soit environ 1,5 million net. À partir de l’été 2014, l’agent a fait grimper son salaire à 4,5 millions net par an, selon la presse italienne. Pogba a donc engrangé environ 12 millions net lors de ses quatre saisons à la Juve.
Sauf que Raiola a aussi beaucoup œuvré pour lui-même. Puisque Pogba était libre à l’été 2012, le club turinois n’a pas eu de frais de transfert à payer. Le super agent en a profité pour négocier une rémunération hallucinante. Selon des documents officiels de la Juve consultés par l’EIC, le club a versé 10 millions d’euros de commissions d’agent liées à Paul Pogba en quatre ans. C’est presque autant que le salaire du joueur, alors que la norme dans le milieu se situe plutôt entre 10 et 20 %. Ni la Juventus, ni Mino Raiola n’ont souhaité nous dire quelles prestations ont pu justifier une telle rémunération.
C’est d’autant plus curieux que Raiola n’apparaît nulle part. Dans le premier contrat de travail de Paul Pogba, l’agent mentionné n’est pas Raiola mais l’une de ses collaboratrices, l’avocate brésilienne Rafaela Pimenta, très présente auprès du joueur (lire son portrait dans L’Équipe). A-t-elle touché les 10 millions pour le compte de son patron ? Ultime bizarrerie : Pimenta est officiellement l’agente… de la Juventus, alors même qu’elle travaille manifestement pour Raiola et Pogba (notre document ci-dessous).
Mino Raiola n'apparaît pas sur le premier contrat de Paul Pogba. Seule figure sa collaboratrice Rafaela Pimenta, qui est officiellement l'agente de la Juventus. © EIC Mino Raiola n'apparaît pas sur le premier contrat de Paul Pogba. Seule figure sa collaboratrice Rafaela Pimenta, qui est officiellement l'agente de la Juventus. © EIC
Oualid Tanazefti, l’agent historique de Pogba, était-il au courant des sommes folles négociées par son partenaire Raiola ? Quoi qu’il en soit, l’alliance entre les deux hommes se fissure dès l’arrivée de Pogba à Turin, comme le montre une scène lourde de sens capturée par les caméras de Canal+ (voir ci-dessous). Le 3 août 2012, la Juventus a convoqué la presse pour la signature du contrat. Tanazefti, à la tribune avec Pogba, demande à « Mino » de les rejoindre pour la photo. Mais en quittant la salle, il fait une plaisanterie qui ne semble pas avoir plu au joueur. « Viens, laisse-le », intervient Raiola. Et de lancer un « Ciao ciao » goguenard à Tanazefti en partant avec Pogba.
La rivalité ne va cesser de s’envenimer. Le milieu de terrain a un agent officiel, Raiola, et un « conseiller », Tanazefti, qui continue à couver son protégé, parfois un peu trop. Pour sa première convocation chez les Bleus en mars 2013, Paul Pogba débarque à Clairefontaine flanqué de Tanazefti, qui veut pénétrer dans le saint des saints avec lui. Il est raccompagné dehors, tandis que l’entraîneur Didier Deschamps convoque Pogba dans son bureau pour lui dire qu’un tel incident ne doit pas se reproduire.
De son côté, le bateleur Raiola s’en donne à cœur joie. « Si Gareth Bale [la star galloise tout juste transférée au Real Madrid – ndlr] vaut 100 millions d’euros, Pogba vaut au moins le double. […] Pour moi, Pogba est un Salvador Dali », lance-t-il à la télé en août 2013. C’est absurde, surtout pour un joueur de 19 ans. Mais l’agent a tout intérêt à alimenter la spéculation. Comme l’a récemment expliqué le patron de la Juventus, il a négocié un deal en or massif sur le futur transfert du joueur : 18 millions de commissions si Pogba est acheté pour au moins 90 millions, plus un gros pourcentage au-delà de cette somme. Et tant pis si ce genre d’intéressement semble en contradiction avec le règlement de la Fifa sur la rémunération des agents.
Si Raiola en fait des tonnes, il sait déjà que son poulain va lui rapporter gros. En l’espace de deux saisons à la Juve, le talent et la cote de Pogba ont explosé. Après un premier titre national avec la Juventus, le milieu de terrain gagne en 2013 la Coupe du monde des moins de 20 ans avec les Bleuets. Il est élu meilleur joueur de la compétition, puis meilleur jeune joueur évoluant en Europe. La saison suivante, il remporte de nouveau le championnat italien, avant d’être élu meilleur jeune joueur de la Coupe du monde 2014, à l’issue de son premier tournoi majeur avec l’équipe de France seniors.
Et ce n’est pas tout. Avec sa jeunesse, sa coupe de cheveux et son style décontracté, « Pogboom » est adulé des tifosi turinois, qu’il enflamme avec sa « Pogdance » effectuée sur le gazon du Juventus Stadium avant chaque rencontre. Le gamin est déjà une icône marketing, l’une des rares capables de signer des contrats à huit chiffres avec les fabricants de chaussures.
Pourtant, en cette année 2014, Oualid Tanazefti traverse une mauvaise passe. Son business d’agent bat de l’aile : il a dû liquider son agence Sporteam, qui n’a réalisé que 22 000 euros de chiffre d’affaires en deux ans. Et Pogba se rapproche de plus en plus de Mino Raiola, qui a déjà la main sur toutes les négociations avec les clubs.
Tanazefti n’a plus qu’une carte en main pour faire fortune : les droits à l’image. Et il se montre apparemment très gourmand. À la veille du Mondial 2014, Pogba « était le seul international français à ne pas avoir signé de contrat avec un équipementier parce que son conseiller estimait qu’il n’avait reçu aucune offre acceptable, écrivaient à l’époque les journalistes Damien Degorre et Raphaël Raymond dans leur livre La Bande à Deschamps (Robert Laffont). Nike lui proposait 900 000 euros par an mais il a refusé […]. Pendant la coupe du monde, Pogba portera des Nike parce qu’il apprécie le look de ces chaussures, sans être rétribué. L’équipementier anglais Umbro, en embuscade, lui a proposé un contrat d’un million par an. Mais en juillet 2014, rien n’était encore signé. »
Tanazefti a-t-il fini par trouver un deal ? En tout cas, quatre mois plus tard, il convainc Paul Pogba de lui vendre ses droits à l’image. Pour boucler l’opération, Tanazefti s’associe avec l’un de ses anciens associés de Sporteam, Ylli Kullashi, 34 ans à l’époque. Fils d’un réfugié kosovar, débarqué à 12 ans dans une cité de Saint-Denis, il a fait de brillantes études de droit et décroché une licence d’agent de footballeur (lire son portrait ici).
Les deux agents achètent les droits de Pogba (60 % pour Tanazefti et 40 % pour Kullashi) pour une somme comprise entre 1,8 et 5 millions d’euros(1), payables en cinq fois. Mais le premier versement n’est dû qu’en juin 2015, sept mois après la signature. Le deuxième, on le verra, n’a jamais été réglé. En clair, les heureux acheteurs ont versé une mise de départ d’1 million d’euros maximum, qu’ils étaient certains de récupérer très vite.
Le contrat prévoit en effet que Pogba touche 70 % des revenus, contre 30 % pour les agents. Sauf que ces derniers peuvent encaisser leur part à chaque rentrée d’argent. Tandis que le joueur ne touchera la sienne qu’au bout de quinze ans, « soit au plus tôt le 31 octobre 2029 » (voir ci-dessus). En dehors du prix d’achat, Pogba n’a droit qu’à quelques cacahuètes, c’est-à-dire une redevance annuelle à « négocier de bonne foi », mais qui ne pourra excéder 33 000 euros par an.
Pendant ces quinze longues années, les deux agents sont libres d’investir comme bon leur semble l’argent de Pogba, et empocheront la moitié des bénéfices issus de ces placements. Et lorsque le joueur touchera enfin son dû en 2029, il devra rembourser le prix d’acquisition initial (1,8 à 5 millions), plus l’intégralité des salaires et des frais des deux agents, au titre du travail effectué pour lui trouver des sponsors. Cerise sur le gâteau : Tanazefti et Kullashi ont le droit de revendre les droits de Pogba sans son consentement, à condition de rester « associés » au nouveau propriétaire.
Les compères ont également tout prévu pour échapper à l’impôt sur le pactole qui s’annonce. Lorsqu’ils avaient fondé l’agence Sporteam, ils étaient tous deux résidents français. Tanazefti est désormais résident au Maroc, Kullashi au Kosovo. Le contrat Pogba, bien que signé à Turin, est d’ailleurs de droit luxembourgeois. Et trois mois après la signature, les deux agents créent au Grand-Duché une société baptisée Koyot Group pour mener leur « Pogba business ».
Sollicité par Mediapart, Oualid Tanazefti dément avoir pu « nuire ou porter atteinte aux intérêts des personnes ou des entités avec qui [il a] eu l’occasion de collaborer ». Il estime que nous avons fait une « interprétation » erronée du contrat, faute d’avoir « pris le temps d’analyse nécessaire pour en saisir la réelle portée ».
Mino Raiola, qui découvre très vite l’existence de ce contrat, est furieux. Manifestement, Paul Pogba l’est aussi. Il rompt brutalement avec son ancien mentor Oualid Tanazefti en décembre 2014, un mois après avoir signé. Entre les deux agents, c’est désormais la guerre.
Au printemps 2015, Raiola contre-attaque. Alors que le joueur avait déposé la marque « Paul Pogba » à l’Office européen de la propriété intellectuelle (EUIPO), Tanazefti a oublié de signaler à l’office son acquisition des droits. En mars, un avocat italien demande, au nom du joueur français, à l’EUIPO de transférer la marque « Paul Pogba » à la société irlandaise Blue Brands Limited, une coquille appartenant à une fiduciaire locale qui sert de prête-nom. Le but ? Masquer l’identité réelle du bénéficiaire. Semer le doute. Cette opération d’enfumage n’a pu se faire sans l’accord du joueur : celui-ci a forcément dû valider le transfert vers l’Irlande.
Tanazefti, lui, tente de contester l’opération. Mais l’EUIPO refuse, car ce genre de litige doit se trancher devant les tribunaux. Résultat : tout est bloqué. Tanazefti et son associé Kullashi ne peuvent pas exploiter la marque. Mais Raiola non plus. Et les grands clubs sont réticents à signer un joueur qui ne maîtrise pas ses droits à l’image, car ils veulent souvent en tirer bénéfice.
Tanazefti dispose d’un énorme pouvoir de nuisance, qu’il veut monnayer très cher. C’est pour cette raison que le milieu des Bleus n’a pas quitté la Juventus lors du mercato de l’été 2015, alors qu’il était courtisé par les plus grands : PSG, Barça, Real Madrid, Manchester City… La presse rapporte que Tanazefti aurait proposé de débloquer la situation moyennant 15 millions d’euros, mais Raiola a refusé.
Tanazefti joue alors le tout pour le tout. Nos documents suggèrent qu’il a essayé de revendre les droits de Pogba, dans le dos de son ancien protégé. Il démarche d’abord le fonds d’investissement Doyen Sports. Une rencontre a lieu le 19 novembre 2015 au siège du groupe à Londres. Convoqué sur place pour cette occasion, l’un des avocats espagnols de Doyen tombe des nues, selon des documents confidentiels issus des Football Leaks : « Pogba ne travaille-t-il pas avec “le pizzaïolo” Mino Raiola ? » Le fonds a finalement refusé pour ne pas se fâcher avec Raiola. Et parce le deal sent mauvais : même avec le droit de son côté, il est extrêmement difficile d’exploiter l’image d’un joueur s’il n’est pas d’accord.
Mais Tanazefti ne se décourage toujours pas. En décembre, il propose l’affaire à un intermédiaire britannique, qui la relaye au groupe chinois Fosun. Lequel se montre intéressé… parce qu’il croit que la proposition vient de Raiola. Sauf que Fosun en parle à son partenaire, le super agent portugais Jorge Mendes. Son bras droit se charge de dissuader les Chinois dans un mail confidentiel : « Soyez prudents avec les droits à l’image de Pogba – la situation est très délicate, on connaît très bien le dossier. » Et pour cause, puisque Tanazefti aurait également démarché Mendes.
Le football étant ce qu’il est, un business aussi lucratif que celui de Pogba ne pouvait pas rester bloqué très longtemps. Le 16 mars 2016, Adidas annonce en grande pompe la signature d’un contrat avec Pogba, estimé par la presse entre 25 et 40 millions sur dix ans, et le lancement d’une paire de chaussures à son nom. Deux semaines plus tard, L’Équipe lève un coin du voile : si Raiola a pu conclure avec l’équipementier allemand, c’est parce qu’il a auparavant orchestré le rachat des droits à l’image de Pogba pour 10 millions d’euros, soit 4 millions pour Ylli Kullashi et 6 millions pour Oualid Tanazefti.
Mais le montage orchestré par Raiola a, lui aussi, sa face sombre. Selon des documents obtenus par Mediapart, la marque « Paul Pogba » appartient aujourd’hui à une société immatriculée dans l’île de Jersey et baptisée Aftermath Limited. Cette coquille offshore est détenue par un prête-nom – le cabinet local Whitmill Nominees –, une pratique courante qui fait le charme (et l’opacité) de ce paradis fiscal (notre document ci-dessous).
Le document d'immatriculation de la société Aftermath à Jersey © Mediapart Le document d'immatriculation de la société Aftermath à Jersey © Mediapart
Aftermath a été créée le 4 février 2016, un mois avant le contrat avec Adidas. À ce moment-là, la marque « Pogba » est toujours enregistrée au nom de Blue Brands, la société irlandaise créée par Raiola pendant la guerre avec Tanazefti. Puis le 15 juillet 2016, un avocat italien écrit à l’Office européen de la propriété intellectuelle pour transférer la marque à Aftermath (notre document ci-dessous).
Le transfert de la marque "Paul Pogba" à la société offshore Aftermath à Jersey © Mediapart Le transfert de la marque "Paul Pogba" à la société offshore Aftermath à Jersey © Mediapart
Pourquoi Paul Pogba a-t-il logé sa marque à Jersey ? Sollicité via son agent, l'international français ne nous a pas répondu. De son côté, Mino Raiola s’est refusé à nous donner la moindre explication sur ce montage. Vu nos « questions tendancieuses et malveillantes », il nous écrit que Paul Pogba et lui-même estiment que nous entretenons « une campagne de dénigrement », et qu’ils refusent donc de « contribuer à manipuler l’opinion publique en accréditant ce que vous habillez d’une prétendue rigueur d’investigation ».
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(1) Le prix d'achat devait être fixé par un audit indépendant, dans une fourchette comprise entre 1,8 et 5 millions d'euros. En l'absence d'audit dans les trois mois, ce devait être trois millions d'euros.
"L'alcool tue lentement. On s'en fout, on a le temps."