par fernando » 26 Sep 2017, 13:38
Paris 2024: les millions s'envolent déjà
26 septembre 2017| Par Antton Rouget
À Lima, le grand oral de Paris 2024 pour l'accueil des Jeux olympiques était présenté sans enjeu. Mais le séjour aura au moins laissé une jolie facture: 1,5 million d'euros. Hôtel cinq étoiles, meilleur restaurant du pays, avion spécial, etc. : l'imposante délégation française présente au Pérou ne s'est privée de rien, au moment même où le GIP s'apprête à verser de copieuses primes et indemnités de licenciement à ses cadres.
Cocorico ! La victoire – face à personne – de Paris pour l’organisation des JO en 2024 valait bien une petite fête. Un Boeing spécialement affrété jusqu’à Lima. Une soirée pour 300 personnes dans l’un des plus prestigieux restaurants du monde. Et tout le confort du Swissôtel, un établissement 5 étoiles au cœur de la ville. Les images de la délégation française en délire ont fait le bonheur des chaînes d’infos en continu 3. Mais la facture, jusqu’ici restée secrète, risque de casser l’ambiance.
Selon nos informations, la sauterie de Lima et ses préparatifs ont atteint un montant… olympique : 1,5 million d’euros. Ramenée à 320 personnes – la taille maximale (voir la Boîte noire de cet article) de la pléthorique délégation française –, la douloureuse n’est pas moins impressionnante : 4 687 euros par tête, à la charge du GIP Paris 2024 (financé à 50 % par le public), pour une présentation sans enjeu et quelques jours de visites seulement.
Une première partie de l’équipe a gagné la capitale péruvienne le 8 septembre par un vol régulier d’Air France. Bientôt rejointe le 11 septembre par le gros des troupes, confortablement installées dans un Boeing Air France spécialement dédié, un 777-328 d’une capacité d’environ 300 places. Tous sont rentrés ensemble, dans la nuit du 14 au 15 septembre, au lendemain de l’attribution des JO et d’une soirée endiablée, à bord du même appareil aux couleurs des Jeux.
En pleine gestion de l’après cyclone Irma aux Antilles, ce pont aérien a permis de convoyer entre « 250 et 320 personnes », selon une source du ministère des sports. Les patrons du GIP refusent de livrer les détails de l’opération. Il y avait en tout cas du monde, beaucoup de monde, pour soutenir Paris jusqu’au Pérou. Outre l’équipe de candidature, le CNOSF (Comité national olympique et sportif français, qui rassemble les fédérations) était présent en force, de même que les élus de Paris et de la Seine-Saint-Denis, tout contents de faire des selfies avec leurs champions préférés, et enfin une tripotée d’athlètes, aux palmarès tous plus étincelants les uns que les autres.
Par ailleurs, « à la demande de nombreux partenaires et membres fondateurs de la candidature, le Comité a proposé un programme d’hospitalité [package VIP – ndlr], à la charge de ses participants », ajoute Paris 2024, sans plus de précision. L'équipe de candidature se contente juste de signaler que les dépenses de Lima recouvrent « plusieurs éléments » : « les contenus, la présentation, les répétitions, les transports, la logistique/opérations, l’hébergement, les visites de repérages, la soirée de remerciements à Lima, etc. ».
Sur place, dès le 8 septembre, soit cinq jours avant la date fatidique de la prestigieuse assemblée du Comité international olympique (CIO), la maire de Paris, Anne Hidalgo, et le chef de la délégation, Tony Estanguet, ont répété à plusieurs reprises leur grand oral. Pour passer le temps, Denis Masseglia, le président du CNOSF, et son compère Bernard Lapasset, l’homme ayant poussé au projet de candidature, ont cru bon de déambuler dans un bidonville de Lima 3 en compagnie de photographes. Et le reste de la délégation ? « Comme je le pressentais, j'ai perdu mon temps à l’hôtel », grince l’un d’entre eux, dépité à son retour en France.
Le jour de la désignation, le mercredi 13 septembre, seuls 60 membres de la délégation étaient accrédités pour le Centre de conférence de Lima. Une limite imposée par le CIO qui, depuis qu’il a choisi de consacrer deux villes en même temps (Paris pour 2024 et Los Angeles en 2028), a demandé à chaque délégation de réduire la voilure. Les autres Français sont donc restés dehors, selon un mode de sélection qui a échappé à beaucoup de participants. Présent au Pérou, l’ancien secrétaire d’État aux sports Thierry Braillard, au cœur de la candidature olympique de 2014 à mai 2017, en a par exemple été réduit à regarder la cérémonie… à la télévision. La classe !
Un restaurant hors de prix au Pérou
Les absents du grand oral ont quand même pu se rattraper le soir même au restaurant « Astrid y Gastón », l’un des plus réputés d’Amérique du Sud et classé au 33e rang des « World’s 50 Best Restaurants », le classement des 50 meilleurs établissements au monde établi par le magazine Restaurant et San Pellegrino 3. C’est dans cette magnifique maison tenue par le chef péruvien star Gastón Acurio, proche d’Alain Ducasse, que Paris 2024 a dignement célébré sa victoire. Dans un restaurant où le menu dégustation tourne autour des 385 sols péruviens 3 (environ 100 euros, soit 45 % du salaire minimum péruvien), on veut bien croire que l’addition ait été salée.
Le chef français Alain Ducasse avait aussi amené les indispensables pâtés en croûte et chocolats pour les quelques 300 invités. Le pisco national, une eau-de-vie de raisin, et le champagne ont coulé à flots jusque tard dans la nuit. Voilà pour la sobriété financière tant vantée par les porteurs de la candidature française. Rien à voir avec les amis de Los Angeles qui, malgré leur victoire – contre personne, également – pour l’organisation des JO en 2028, l’ont joué plutôt sobre. Un adjoint du maire de la ville Eric Garcetti a insisté dans les colonnes du Los Angeles Times sur le fait qu'il n’est pas resté à Lima plus de 48 heures.
Chez « Astrid y Gastón », quelques invités ont noté un petit raté : la publication, quelques heures avant le début de la soirée, de notre article sur la masse salariale du GIP (qui vient de franchir le seuil des 15 millions d'euros pour une cinquantaine de personnes) et les étonnantes « primes de succès » qu’ont décidé de s’attribuer les membres de Paris 2024. Depuis, le sujet a semé la pagaille, jusqu'à la tête de l’équipe de candidature.
Et ce n’est pas fini. Car, selon nos informations, le bureau de la candidature parisienne a également entériné, le 29 août dernier, le versement d’indemnités de licenciement pour une partie de ses salariés. Ces indemnités interviennent dans le cadre d’un plan de licenciement collectif matérialisé par trois vagues successives de départs entre septembre et décembre 2017. Une situation rendue possible par le fait que les cadres du GIP – dont la mission est par essence temporaire – ont signé des CDI à leur entrée dans la structure.
« Le comité de candidature ne peut pas prétendre avoir recours à des contrats d’intervention. Au regard de la durée du projet (plus de deux ans) et afin de respecter la réglementation, il a donc recruté son personnel principalement sous le régime du CDI, et sous le régime du CDD lorsque la durée du contrat était inférieure à 18 mois », justifie Paris 2024. À un détail près : la durée de la candidature n'a pas excédé deux ans, puisque le GIP Paris 2024 a été créé le 11 décembre 2015 et la décision du CIO – scellant en théorie la fin des contrats, selon les termes du règlement intérieur et financier – est intervenue le 13 septembre 2017.
Consulté par Mediapart, un spécialiste du sujet – qui a déjà lui-même dirigé une structure équivalente – dit en théorie entendre le choix de Paris 2024 : « Il y a un vide juridique car la durée de vie des GIP est généralement trop longue pour qu’il soit possible d’y embaucher des CDD, mais il est aussi illicite d’embaucher dans le cadre d’un groupement qui a une durée de vie déterminée à l’avance des personnes sous contrat à durée indéterminée. Devant ce choix impossible, le recrutement en CDI des cadres paraît être le choix le plus protecteur des salariés », expose-t-il.
En revanche, le versement des indemnités de licenciement à des salariés qui intégreront dans la foulée le Comité d'organisation des jeux olympiques (COJO) pose question. « Ce qui est choquant, c’est que de toute évidence le COJO se substitue à Paris 2024 et que la situation peut s’assimiler à un transfert d’activité. Paris 2024 soutiendra probablement que la candidature est une chose et l’organisation des JO en est une autre, distincte et que donc il n’y a pas continuité entre les deux. Mais l'objectif s'inscrit clairement dans la continuité, le COJO va travailler sur le contenu du GIP. Cela me paraît juridiquement très douteux », ajoute ce spécialiste.
Dans les faits, au lendemain de l'attribution des Jeux, plusieurs cadres vont en tout cas bénéficier d'un beau cocktail de rémunération : une prime de succès (12 % de leur rémunération totale depuis décembre 2015), une indemnité de licenciement (1/5e du salaire mensuel par année de travail), sans oublier une réembauche immédiate dans le COJO pour les sept années à venir. Et dire que la fête ne fait que commencer !
"L'alcool tue lentement. On s'en fout, on a le temps."