par krouw2 » 05 Juil 2018, 20:15
ohh là là la spirale victorieuse en ce moment
Grand stade de Lille : le cinglant réquisitoire de non-lieu
Le Grand Stade de Lille a été inauguré en 2012. Les conditions d’attribution du chantier étaient contestées. Le Parisien
Après avoir longuement détaillé les infractions susceptibles d’être retenues dans l’attribution de ce contrat à Eiffage, le procureur constate l’extinction de l’action publique.
Une charge en règle, clinique, édifiante mais qui n’aura peut-être pas de suite. Pour le procureur de la République de Lille (Nord), l’obtention en 2008 par Eiffage du marché de la construction Grand stade de la métropole (aujourd’hui baptisé Pierre Mauroy) « a été affectée de plusieurs irrégularités ».
Dans son réquisitoire de 107 pages dont nous avons pris connaissance, Thierry Pocquet du Haut-Jussé évoque « une atteinte majeure à l’objectivité et à la transparence de la procédure ayant abouti à la désignation d’Eiffage » et valide ainsi les soupçons de favoritisme pesant sur ce gigantesque contrat.
Mais de procès devant le tribunal correctionnel, il ne requiert pas. Car, après avoir longuement détaillé les encombrantes coulisses de ce concours, le magistrat constate que les faits sont prescrits. Et c’est dès lors un réquisitoire de non-lieu que le chef du parquet a signé, le 19 juin, à l’encontre des sept mis en examen. En 2014, le juge d’instruction avait déjà constaté la prescription mais la cour d’appel avait infirmé cette décision et invité le juge à poursuivre son enquête.
Au-delà de cet aspect formel, Thierry Pocquet du Haut-Jussé estime cependant que des faits de recel peuvent être encore reprochés à Damien Castelain, l’actuel président de la Métropole européenne de Lille (MEL), pour l’obtention gracieuse de pierres de qualité pour la terrasse de sa maison personnelle.
Un cadeau chiffré à 17 000 euros offert par une filiale d’Eiffage pour lequel le procureur a délivré au juge d’instruction un réquisitoire supplétif. « Mon client pensait récupérer des pierres mises au rebut sur un chantier, objecte son avocate Me Florence Rault. On a l’impression que, frustré de ne pas avoir pu établir d’infraction, le parquet cherche à sauver cette procédure montée en épingle de toutes pièces. »
Le projet Eiffage, plus coûteux, avait été choisi
La genèse de cette affaire embarrassante se situe dans le courant du mois de janvier 2008. Neuf mois plus tôt, Lille métropole communauté urbaine (LMCU, l’ancien nom de la MEL) a lancé un appel à candidature pour la construction d’un stade de 50 000 places selon la procédure du partenariat public-privé.
Au terme de cette phase dite de « dialogue compétitif », les services techniques de la métropole rendent leur verdict : le projet du groupement Norpac (Bouygues) est en tête devant celui d’Eiffage tandis que Vinci, le troisième candidat, est largement distancé. Un rapport de 75 pages sanctifiant ce classement est signé le 23 janvier puis validé en commission.
Or, le jour du vote final, le 1er février, c’est une délibération désignant le projet Eiffage, pourtant beaucoup plus coûteux, qui est approuvé à une écrasante majorité.
En coulisses, un homme en particulier s’est démené pour inverser la tendance. Henri Segard, ancien maire de Comines (Nord), a longtemps présidé le groupe des élus des petites communes de la métropole - un rôle stratégique. Avant le lancement du concours, l’édile avait été très clair : il ne tolérerait pas que le projet coûte plus de 10 millions d’euros (M€) à la métropole.
Henri Segard se fait convaincant
Le coût est ainsi érigé comme critère d’attribution prioritaire dans le concours. Et c’est notamment parce qu’il est le moins cher (10,7 M€/an) que le projet Norpac est en tête. Or, le 21 janvier, lors d’une réunion restreinte, l’élu relativise l’importance du critère financier et fait part de sa subite préférence pour le complexe imaginé par Eiffage. Lequel, avec un coût annuel de 14,2 M€ pour LMCU, présente pourtant un surcoût de 32,7 % par rapport à Bouygues.
Le week-end précédant le vote, Henri Segard va donc s’activer pour promouvoir son coup de cœur, purement esthétique soutient-il, pour Eiffage. Selon ses dires, il va notamment étudier le rapport des services techniques avec un membre de son groupe, Damien Castelain, alors vice-président en charge de la commande publique.
Les deux hommes, taclent le procureur, n’ont pourtant aucune compétence pour remettre en cause les études poussées faites par les services techniques. Mais le poids politique du groupe d’Henri Segard est tel que Marc-Philippe Daubresse, à droite, et Martine Aubry, à gauche, se rallient à sa cause. Quant à Pierre Mauroy, alors président de LMCU, il veut une décision consensuelle pour ce qui sera le dernier acte politique de sa carrière. Ce sera donc Eiffage.
Des documents caviardés et antidatés
Problème : le 3 avril 2008, le service du contrôle de légalité de la Préfecture du Nord demande à LMCU la communication des éléments ayant conduit à la désignation d’Eiffage. Les services techniques décident alors de caviarder le rapport définitif qui avait placé Norpac en première position afin de présenter une copie qui met cette fois le vainqueur en tête. Le document ainsi falsifié est, qui plus est, antidaté à la date du 1er février alors qu’il a été rédigé entre le 3 avril et le 22 mai 2008.
Deux agents de la métropole ayant participé à la nouvelle rédaction de ce rapport seront mis en examen pour faux. Tous deux plaident la maladresse et nient avoir voulu tromper la vigilance de la préfecture. « La confection d’un rapport antidaté et présenté faussement comme le résultat de l’analyse des services de LMCU, et la transmission délibérée de celui-ci […] sont susceptibles de constituer les infractions de faux et usage, commises dans l’intention manifeste de dissimuler les faiblesses et irrégularités de la procédure d’attribution du contrat de partenariat », cingle le parquet.
Les investigations ont ensuite cherché à comprendre les raisons du lobbying forcené mené par les élus. « L’évolution de l’enquête révélait […] des éléments de nature à établir qu’Henri Segard et Damien Castelain avaient bénéficié d’avantages de la part des sociétés liées au groupe Eiffage », synthétise le réquisitoire. Les deux hommes ont ainsi été invités en Hongrie pour le grand prix de Formule 1 de Budapest et en Suisse pour assister à un match de l’Euro de football, en juin 2008.
« Une conception pour le moins imprudente de la moralité publique »
Les deux élus ont nié que ces cadeaux aient pu influencer leur vote. Pour le procureur, si l’acceptation de ces gratifications révèle « une conception pour le moins imprudente de la moralité publique », l’enquête n’a pas révélé l’existence d’un pacte préalable susceptible d’asseoir les mises en examen pour trafic d’influence délivrées à leur encontre et à celle de deux cadres d’Eiffage.
Thierry Pocquet du Haut-Jussé requiert donc un non-lieu pour ces chefs, sans même invoquer la prescription. Une leçon de morale, donc, mais une absolution juridique. « Mon client est soulagé et satisfait qu’on reconnaisse enfin que son choix en faveur du projet vainqueur a été de bonne foi, confie son avocat Me Romain Ruiz. Quant aux soupçons de favoritisme, même sans la prescription, ils n’étaient selon nous pas constitués. »
Le juge suivra-t-il les réquisitions ?
L’analyse du parquet ne convainc pas en revanche Me Joseph Breham, l’avocat d’Éric Darques, l’infatigable contribuable de la métropole qui a déclenché l’enquête par ses plaintes. « La prescription ne tient pas car on doit considérer que les infractions sont dissimulées. Précisément parce que tout part du camouflage du premier rapport », développe l’avocat de la partie civile.
Pour Me Breham, l’abandon des poursuites pour trafic d’influence ne se justifie pas non plus. « Le procureur demande au juge d’enquêter sur le recel, on ne comprend pas pourquoi il ne lui demande pas de continuer à enquêter sur le pacte corruptif », développe l’avocat.
La balle est désormais dans le camp du juge d’instruction qui pourra suivre, ou non, ces réquisitions.
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