par fernando » 04 Oct 2019, 13:06
Magnifique
Affaires des frais à la MEL : la défense gratuite… et illégale du président Castelain
Par un subtil jeu de passe-passe, le président de la Métropole européenne de Lille, Damien Castelain, et son directeur général des services, Bruno Cassette, tous deux inquiétés par la justice pour des fautes d’ordre privé, font payer leurs frais d’avocats par la collectivité. En toute illégalité.
Après les chaussettes, c’est « ceinture et bretelles » pour Damien Castelain. Le président de la Métropole européenne de Lille (MEL), que nous avions épinglé en juin 2018 pour des frais indus (soins hammam, hôtels, restaurants, parfums, vestes ou, donc, chaussettes…) payés par la collectivité, récidive. Une plongée dans les fameuses « DD », ces décisions directes prises entre chaque conseil métropolitain, nous apprend qu’il a fait prendre en charge par la MEL ses frais d’avocat en toute illégalité. Et il en va de même pour son directeur général des services, Bruno Cassette. Rien que pour les années 2017 et 2018, les sommes engagées par la MEL s’élèvent à plusieurs dizaines de milliers d’euros. Explications.
Lorsque des élus ou des agents publics sont inquiétés par la justice pour des faits qui relèvent de leurs fonctions, ils bénéficient d’une protection fonctionnelle. Autrement dit, de la prise en charge intégrale des frais d’avocats et de justice. Mais la loi fixe des limites très strictes à cette protection. L’article L2123-34 du Code général des collectivités locales prévoit qu’elle ne s’applique « qu’à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions ». En clair, les fautes doivent découler de l’exercice normal du mandat. Or Damien Castelain est inquiété par la justice pour des faits qui ne relèvent nullement de sa fonction de président mais d’un comportement potentiellement délictueux d’ordre privé.
Comment en est-on arrivé là ? Qui a autorisé cette protection fonctionnelle et dans quelles conditions ? Là encore, la procédure suivie est plus que contestable. Le 28 juin 2019, une décision directe – la 19DD0487 – est signée du fidèle Premier vice-président Alain Bernard par délégation du président.
Un mois plus tard, le 30 juillet 2019, c’est au tour de Bruno Cassette, le directeur général des services (DGS) de bénéficier d’une décision directe – la 19DD0608 – de la même teneur alors qu’il est également inquiété pour d’éventuels frais indus.
A la MEL, la question agite beaucoup les esprits. Plus encore en période pré-électorale. Le 29 juillet, le groupe de droite MCU, présidé par Max-André Pick, dépose un recours gracieux auprès du président pour contester la fameuse DD, comme le site DailyNord s’en est fait l’écho le 6 septembre dernier. Pour les élus de groupe de droite, le président de la MEL ne pouvait pas s’accorder seul cette protection. Les règles sont formelles : toute décision de protection fonctionnelle doit passer, pour les élus, par un vote en assemblée plénière. De plus, le fait que la décision soit signée par le vice-président Alain Bernard ne dédouane en rien le président puisqu’une délégation de signature ne correspond pas à un transfert de compétence. Damien Castelain se serait donc auto-protégé, ce qui s’assimile à une décision en excès de pouvoir – voire à une prise illégale d’intérêt.
Mediacités a pu consulter la réponse du président Castelain. Elle date du 27 septembre et tient en deux arguments : 1/ on a toujours procédé ainsi ; 2/ les décisions directes n’ont pas été cassées dans les délais impartis par le contrôle de légalité effectué par les services de la préfecture. Donc, cela valide la décision. La réponse n’a pas vraiment convaincu le groupe MCU qui s’interroge sur les suites juridiques qu’elle compte donner à ce dossier ultra-sensible… Dans l’immédiat, le groupe a décidé de doubler la mise en adressant un nouveau recours gracieux à la MEL pour contester, cette fois, les conditions d’attribution de la protection fonctionnelle du DGS Bruno Cassette. En effet, celle-ci ne serait pas légale car non motivée. De plus, aucun détail sur les faits pour lesquels la protection est accordée n’y figure alors que cela est obligatoire* .
Des agissements privés détachables de la fonction
Mais revenons sur le fond du dossier. Le président Castelain et son DGS peuvent-ils faire payer la MEL dans les dossiers judiciaires qui les concernent personnellement ? Mediacités s’est penché sur les règles en vigueur. Et la réponse est claire : c’est non ! La jurisprudence a été établie par une décision du Conseil d’Etat du 30 décembre 2015 à la suite d’une affaire concernant le maire de Roquebrune-sur-Argens (Var). La plus haute juridiction administrative de France a clairement indiqué que celui-ci ne pouvait prétendre à la prise en charge de ses frais de justice car les faits incriminés ont été jugés « détachables* » de sa fonction . Il avait notamment conduit la commune à acquérir deux voitures de sport qu’il utilisait à des fins privées et usé abusivement de la carte de carburant qui lui était attribuée.
Il en va de même pour l’affaire des « pierres bleues » et celle des « chaussettes » qui, à l’évidence, relève d’agissements privés et sont donc détachables de la fonction présidentielle. C’est également le cas pour les soupçons de détournement de fonds publics qui pèsent sur Bruno Cassette pour des frais signalés en octobre 2018 par l’Agence française anti-corruption au Procureur de la République de Lille au titre de l’article 40 .
L’interprétation des règles n’est pas la seule chose qui pose problème. Tout se complique lorsqu’on sait que l’avocate de Damien Castelain n’est autre que celle… de la MEL en tant que collectivité. La confusion de clientèle est patente comme nous allons le voir.
Un petit retour en arrière s’impose. 15 novembre 2016 : la MEL est mise en examen (en tant que personne morale) dans le dossier du Grand Stade pour favoritisme par le juge d’instruction, Jean-Michel Gentil, à la suite d’une plainte du lanceur d’alerte Eric Darques. Florence Rault, avocate de la MEL, minimise et parle de « non-événement » dans la presse. 5 avril 2017 : Damien Castelain est mis en examen dans le même dossier pour corruption, complicité de favoritisme et trafic d’influence. Me Rault, présentée alors comme l’avocate parisienne de Damien Castelain, prend sa défense : « A l’époque [en 2008, ndlr], il n’était qu’un lampiste (…) Sa seule préoccupation était l’intérêt public. » Début juillet 2018 : le procureur réclame un non-lieu général dans l’affaire du Grand Stade sauf à l’encontre de Damien Castelain. « Qu’il y ait des investigations complémentaires pourrait être une bonne chose », indique Florence Rault.
Plus de 75 000 euros dépensés en deux ans pour la protection fonctionnelle des élus
Depuis, les ennuis se sont accumulés pour le président Castelain. Qu’il s’agisse de sa mise en examen pour recel d’abus de biens sociaux, le 20 août dernier, dans l’affaire des « pierres bleues » ; ou de sa garde à vue de 36 heures, avec son directeur général des services et deux autres proches, début juillet, dans l’affaire des frais indus payés par la MEL (sans mise en examen pour le moment). Et d’autres convocations sont prévues la deuxième quinzaine d’octobre… A chaque fois, Me Rault prend la défense de son client. Comme lorsque Damien Castelain effectue un don de 20 000 euros à la MEL. « Ce n’est pas un aveu de culpabilité », assure-t-elle à nos confrères de La Voix du Nord. Pour l’avocate, son client est victime d’un « complot politique ». De la part de qui ? On ne le saura pas. Ce qu’on sait, en revanche, c’est que c’est bien la MEL qui paie les interventions de l’avocate… Et cela quel que soit le dossier judiciaire concerné.
Le grand livre des comptes de la MEL le prouve. En 2018, par exemple, la MEL facture 22 344 euros en juin, 15 868,80 euros en juillet et 9 165,60 euros en novembre sur une ligne « Grand Stade » alors que toutes les prises de parole de Me Rault n’ont comme but que d’assurer la dépense personnelle de Damien Castelain. Les sommes en jeu ne sont pas ridicules. Pour les seules années 2017 et 2018, elles s’élèvent à 60 890,40 euros pour la procédure Grand Stade et à 75 239,14 euros pour la protection fonctionnelle des élus. Bizarrement, le nom des élus concernés ne figure jamais – à l’exception d’une ligne affectée à l’ancienne vice-présidente Michèle Demessine (4 800 euros) et une autre à l’ancien vice-président Henri Ségard (6 000 euros). Là encore, la confusion règne.
Mediacités a donc demandé aux premiers intéressés de s’expliquer. Une nouvelle fois en vain. Que ce soit du côté de Me Florence Rault ou du cabinet du président Castelain, nos demandes orales puis écrites sont restées lettres mortes. Faut-il y voir de l’embarras ?
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