par fernando » 30 Avr 2020, 16:41
Coronavirus : en Pologne, une campagne présidentielle surréaliste
Le parti Droit et justice, au pouvoir, tente de passer en force en imposant un scrutin par correspondance rejeté par l’opposition.
Par Jakub Iwaniuk Publié aujourd’hui à 10h45, mis à jour à 14h36
A dix jours de l’élection présidentielle polonaise, dont le délai a été initialement fixé au 10 mai, le pays reste plongé dans une profonde incertitude, inédite depuis la chute du communisme. Situation aussi inquiétante qu’ubuesque : à cette heure, il n’est toujours pas certain que le scrutin aura lieu, on ne connaît pas la date de son report éventuel, et la réponse à cette question tombera trois jours avant la date butoir, le 7 mai. C’est ce jour-là que la loi modifiant le code électoral et introduisant le vote par correspondance généralisé reviendra du Sénat à la Diète, la Chambre basse du Parlement, pour un ultime vote. Et son issue est incertaine au point que Droit et justice (PiS), parti de l’homme fort du pays, Jaroslaw Kaczynski, pourrait en perdre sa majorité.
Le bon sens appellerait pourtant à un report du scrutin de plusieurs mois ou d’un an, comme le réclame l’opposition, alors que l’épidémie due au coronavirus n’a toujours pas atteint son pic et que la campagne électorale est à l’arrêt depuis plusieurs semaines. Mais Jaroslaw Kaczynski s’y refuse obstinément : si dans les conditions actuelles, le président sortant, Andrzej Duda, est donné vainqueur dès le premier tour, la situation sera beaucoup plus complexe une fois que le pouvoir populiste sera confronté à la gestion des conséquences économiques et sociales de la crise.
Les institutions internationales et les juristes sont unanimes pour dire que ces élections par voie postale, préparées dans la précipitation, ne peuvent en aucun cas être conformes aux standards démocratiques. Le bureau des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), la vice-présidente de la Commission européenne chargée des droits de l’homme, Vera Jourova, la Cour suprême polonaise, le médiateur de la République, des ONG comme la Fondation Helsinki pour les droits de l’homme se sont notamment prononcés en ce sens.
Un scrutin « non constitutionnel »
Mardi 28 avril, 600 juges polonais ont appelé l’OSCE à envoyer des observateurs pour superviser le vote. Le président de la Commission électorale polonaise (PKW), institution indépendante qui a été exclue du processus de préparation du scrutin au profit de la poste, a affirmé, lors d’une audition au Sénat, que la situation donne lieu a « tant d’objections » qu’il craint qu’on « ne puisse pas organiser ces élections de manière pleinement libre ». L’ancien président du Conseil européen et ex-premier ministre polonais Donald Tusk, a, pour sa part, annoncé sa volonté de boycotter un scrutin « non constitutionnel », qui ne sera, selon lui, « ni libre ni équitable ».
Et pour cause : la préparation de l’élection et l’impression des bulletins de vote, qui a démarré précipitamment à la poste, entreprise supervisée par le ministre du Trésor, et dont le président a été remplacé par un ancien vice-ministre de la défense, sont déjà un processus dépourvu de toute base légale, car la loi autorisant le vote par correspondance n’est pas encore adoptée. La poste a dû par ailleurs batailler pour obtenir les données administratives confidentielles de tous les citoyens. Face à la pression du gouvernement et des préfets, de nombreux maires ont refusé de communiquer ces fichiers, invoquant le « manque de bases légales ». Le gouvernement a fini par passer en force : c’est le ministère de l’administration numérique qui a transmis à la poste ces données, entraînant une plainte administrative du Médiateur de la République.
L’opposition courtisée
De l’avis des experts, l’organisation de ce scrutin au mois de mai pose des problèmes à tous les niveaux : organisation aléatoire, impossibilité de garantir l’accès universel au vote et l’anonymat des votants, manque de transparence du décompte des voix – sans mentionner les risques sanitaires. Le ministère des affaires étrangères a également fait savoir que l’organisation du scrutin était impossible à garantir pour tous les expatriés, en raison des restrictions sanitaires strictes dans certains pays. La légitimité du vainqueur pourra ainsi facilement être questionnée, aussi bien sur la scène intérieure qu’internationale.
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Au Parlement, la majorité ultraconservatrice et l’opposition ont entrepris une véritable guerre des nerfs pour faire pencher le vote du 7 mai en leur faveur. Objet de toutes les convoitises : les députés du petit parti Porozumienie (« accord »), membre de la majorité mais représentant son aile modérée. Une partie de ces députés, menée par l’ancien vice-premier ministre, Jaroslaw Gowin, s’oppose à un vote en mai, et menace de faire chuter la majorité. Si l’opposition, de l’extrême droite à la gauche, vote à l’unisson pour le rejet du texte, il suffirait de cinq députés du parti de Jaroslaw Gowin, sur dix-huit, pour faire échouer le vote et faire voler en éclats la majorité de Jaroslaw Kaczynski.
Ce dernier ne ménage pas ses efforts pour éviter ce scénario : des représentants du PiS courtisent les députés de l’opposition, leur proposant des postes ministériels en échange de leur vote. Borys Budka, le chef de la Coalition civique (KO), le principal parti d’opposition, a évoqué des tentatives de « corruption politique » et a appelé Jaroslaw Kaczynski à retirer ses émissaires et « leurs propositions indécentes ».
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