par fernando » 16 Mai 2020, 10:13
L’Allemagne, pays-test pour le football européen
La Bundesliga est le premier championnat à reprendre en Europe. Si un cadre sanitaire très strict a été établi, cette reprise est contestée.
Par Thomas Wieder Publié hier à 16h47, mis à jour à 05h36
Chaque pays a ses terrains de controverse à l’heure du déconfinement. Au moment où la France débat avec passion de la réouverture des parcs, jardins et plages, c’est sur les stades de football que se cristallise la polémique, en Allemagne, à l’occasion de la reprise, samedi 16 mai, de la Bundesliga. Une première dans une Europe où la France et les Pays-Bas ont annoncé qu’elles interrompaient leur saison, alors que d’autres se préparent à un redémarrage, comme l’Espagne, l’Angleterre, l’Italie ou la Russie qui, vendredi 15 mai, a fait savoir qu’elle reprendrait les matchs le 21 juin.
Dans un pays où un quart de la population déclare « s’intéresser particulièrement » au football, selon l’enquête AWA, qui brosse, chaque année, un tableau des pratiques culturelles et des habitudes de consommation des Allemands, le redémarrage du championnat aurait pu être plébiscité. Il est, au contraire, contesté. D’après la dernière vague du baromètre ARD/Deutschlandtrend, publié vendredi 15 mai, 56 % des personnes interrogées sont opposées à la reprise de la saison, seulement 31 % y étant favorables. Un mois plus tôt, c’était l’inverse : 52 % pour, 30 % contre.
Article réservé à nos abonnés Lire aussi En France, les clubs de football n’ont aucun poids politique
Pour obtenir le feu vert des autorités et le soutien de l’opinion, la Ligue allemande de football (DFL), soucieuse de toucher les droits télévisuels restant dus, n’a pourtant pas ménagé sa peine. En témoigne le plan présenté par son président, Christian Seifert, le 23 avril. Long de 41 pages, ce document liste l’ensemble des règles supposées permettre une reprise des matchs dans des conditions sanitaires optimales.
Des règles drastiques
Celles-ci concernent d’abord les stades, où la présence est limitée à 300 personnes, réparties en trois zones entre lesquelles tout contact est interdit : le « stade intérieur », réservé aux équipes, arbitres, secouristes et à trois photographes ; les « tribunes », limitées à 115 spectateurs, dont dix journalistes ; et enfin la « zone extérieure », pour cinquante agents de sécurité et autant de membres des équipes techniques des chaînes de télévision.
Sur le terrain, les règles sont drastiques : pas d’« escort kids » tenant les mains des joueurs à leur entrée sur la pelouse, pas de mascotte, pas de poignée de main ni de photo de groupe avant le coup d’envoi, port du masque obligatoire sur le banc de touche, où seul un siège sur deux peut être occupé… Et, pendant les matchs, pas d’embrassades pour fêter un but. A la place, les joueurs sont encouragés à « privilégier les contacts du coude et du pied ».
Afin de limiter au maximum les risques de contamination, la DFL a également décidé de faire tester les joueurs et leur encadrement deux fois par semaine au minimum ainsi qu’à la veille de chaque match. Enfin, un protocole draconien régit la vie dans les hôtels accueillant les équipes avant les matchs : aucune sortie sauf pour les entraînements, aucun contact avec le personnel de l’hôtel, et même interdiction d’ouvrir une porte ou d’appeler l’ascenseur à main nue.
Jugé suffisamment sérieux par le gouvernement, qui a finalement dit oui, le 6 mai, à une reprise de la saison, ce plan n’a pas pour autant convaincu les sceptiques, loin de là. C’est d’abord le cas de ceux qui, depuis le début, estiment qu’il est impossible à respecter en pratique. Ces derniers se sont sentis confortés par une vidéo postée par Salomon Kalou, le 4 mai, sur Facebook. On y voit l’attaquant du Hertha Berlin enfreindre les règles de distanciation physique en serrant la main de ses coéquipiers dans les vestiaires. Quelques heures après la diffusion de ces images qualifiées d’« inacceptables » par la DFL, le joueur a été suspendu, mais le mal était fait : « Salomon Kalou rend un très mauvais service à la Bundesliga », titrait dans la foulée le Berliner Morgenpost.
Traitement de faveur
D’autres critiques sont venues des clubs eux-mêmes. Moins contre le principe d’un redémarrage que sur le calendrier. En apprenant que la 26e journée serait programmée dès le 16 mai, dix jours après l’annonce de la reprise, une poignée de clubs ont protesté, en particulier ceux qui avaient totalement arrêté les entraînements. « Pour que la compétition soit équitable, nous aurions souhaité redémarrer un peu plus tard », a regretté le directeur sportif du Werder Brême, Frank Baumann, le 7 mai. A ses yeux, une reprise le 23 mai aurait été plus raisonnable « afin de se réhabituer à la compétition après deux mois de pause et pour limiter les risques de blessures chez les joueurs ».
A l’approche de la reprise, le mouvement de contestation a gagné les supporteurs. Dans un texte publié mercredi 13 mai et intitulé « Pas de football sans supporteurs », 350 groupes ultras de différents pays européens, dont une vingtaine basés en Allemagne, ont protesté contre la reprise à huis clos, se disant « convaincus que retourner au stade sert exclusivement les intérêts économiques ». Dans ce texte, les signataires demandent à l’UEFA et aux ligues nationales de « continuer de suspendre les compétitions footballistiques tant qu’aller au stade ne sera pas redevenu une habitude sans risque pour la santé publique ».
Ces derniers jours, plusieurs personnalités respectées en Allemagne se sont également indignées de ce qu’elles considèrent être un traitement de faveur indûment réservé la Bundesliga. « On ne peut pas permettre au football professionnel de faire ce qui est interdit à d’autres, par exemple au handball amateur, simplement parce que le foot a plus d’argent et qu’il a davantage les moyens de mettre en œuvre des mesures de sécurité », s’est indigné l’ancien juge constitutionnel Udo Di Fabio, sur RTL, le 7 mai.
Dans un contexte aussi tendu, la reprise des matchs constitue un double pari. Sanitaire, d’abord, s’il s’avère que, malgré les précautions prises – jusqu’à la désinfection du ballon plusieurs fois pendant les rencontres – des cas de contamination au Covid-19 sont enregistrés. Le risque concerne aussi les supporteurs, que la fermeture des stades pourrait conduire à se regrouper ailleurs. « Les clubs auraient dû tenir compte que les fans allaient se retrouver devant leur télé et qu’ils seraient en contact direct les uns avec les autres », s’est inquiété le directeur de l’institut de virologie de l’université de Leipzig, Uwe Liebert.
Le pari, enfin, est organisationnel. Samedi 9 mai, à la suite de l’annonce de deux nouveaux cas de Covid-19 parmi ses joueurs, l’équipe du Dynamo Dresde, dont un autre joueur avait été testé positif quelques jours plus tôt, a été placée en quarantaine pour deux semaines, obligeant le club, qui évolue en deuxième division, à déclarer forfait pour deux matchs.
« Je n’interprète pas cela comme un revers. Nous avons annoncé depuis le début que nous devions nous y préparer. Actuellement, cela ne modifie pas notre calendrier », a assuré Christian Seifert, le président de la DFL. A une semaine de la reprise du championnat, cette affaire est venue rappeler le casse-tête que représenterait une multiplication des reports de matchs dans les prochaines semaines.
Face à une telle possibilité, les responsables du football allemand ont tranché. Réunis en assemblée générale virtuelle, jeudi, les 36 clubs de Bundesliga ont décidé que la saison pourrait se prolonger en juillet si elle ne pouvait être terminée le 27 juin, date prévue de la 34e journée.
Lors de cette réunion, les clubs se sont aussi mis d’accord pour que cinq changements puissent être effectués pendant les matchs lors des neufs journées restantes, au lieu des trois autorisés d’habitude, les entraîneurs redoutant que les joueurs ne soient pas dans des conditions optimales après deux mois d’interruption. Une mesure de plus rappelant que cette reprise n’a décidément rien d’un retour à la normale.
"L'alcool tue lentement. On s'en fout, on a le temps."