par fernando » 08 Oct 2020, 14:09
Ca va bientôt ruisseler, à 99,9%
Après la suppression de l’ISF, les revenus des très aisés et la distribution de dividendes ont explosé en France
Le nouveau rapport sur les effets des réformes Macron sur le capital a été publié jeudi, alors que le gouvernement cherche à convaincre de l’intérêt des mesures proentreprises de son plan de relance.
C’est un rapport hautement inflammable, à l’heure où l’épidémie de Covid-19 fait basculer de plus en plus de ménages modestes dans la pauvreté et où l’exécutif assume de donner la priorité à des mesures proentreprises dans son plan de relance pour doper l’économie et l’emploi. La suppression de l’impôt sur la fortune (ISF) et l’instauration de la « flat tax » au début du quinquennat ont eu pour effet de faire fortement augmenter les revenus des 0,1 % de Français les plus aisés, tandis que la distribution de dividendes, de plus en plus concentrée, a explosé.
Ce sont les conclusions qui ressortent du deuxième rapport du comité d’évaluation des réformes de la fiscalité, publié jeudi 8 octobre. Réalisé sous l’égide de France Stratégie, l’organisme d’évaluation et de prospective rattaché à Matignon, ce travail est la suite d’un premier document, il y a un an, qui peinait à conclure sur l’efficacité des réformes-phares du quinquennat en matière de fiscalité du capital : la suppression depuis le 1er janvier 2018 de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), transformé en impôt sur la fortune immobilière (IFI) et la création d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU, « flat tax ») de 30 % sur les revenus du capital. Deux mesures visant initialement à « favoriser la croissance de notre tissu d’entreprises, stimuler l’investissement et l’innovation », selon la lettre de mission de Matignon au comité, en décembre 2018.
Les dividendes : plus de 60 % distribués en 2018
Si ce deuxième rapport précise de nouveau qu’une évaluation complète des deux réformes reste impossible – il s’est appuyé principalement sur des données de l’année 2018 –, les informations qu’il fournit sont plus précises. « Les dividendes distribués ont fortement augmenté en 2018 et la hausse se poursuit en 2019 », ont expliqué les auteurs de l’étude lors d’une conférence de presse. Ils ont augmenté de plus de 60 %, passant de 14,3 milliards d’euros en 2017 à 23,2 milliards un an plus tard.
De plus, « la hausse des dividendes est de plus en plus concentrée dans la population », relèvent les auteurs : en 2018, 0,1 % des foyers fiscaux (38 000 personnes environ) ont perçu les deux tiers du total, alors qu’ils n’en recevaient que la moitié en 2017. Et les ultrariches (0,01 % des foyers fiscaux, 3 800 personnes environ) qui en captaient un cinquième, en ont reçu le tiers.
Si l’on s’intéresse aux revenus, « les 0,1 % de Français les plus aisés sont un quart de fois plus riches que les 0,1 % de 2017 » (bien que ce ne soit pas nécessairement les mêmes personnes d’une année sur l’autre), souligne France Stratégie. La hausse de leurs revenus est beaucoup plus rapide que celle du revenu médian, en raison de ces hausses de dividendes notamment. « Plusieurs éléments laissent clairement penser que la forte hausse des dividendes reçus par les ménages en 2018 est en partie causée par la réforme du PFU », insiste le rapport.
« Incapable » de mesurer l’impact sur l’économie
Au-delà de ces chiffres frappants, toute la question est de savoir ce que ces Français très aisés ont fait et feront de cet argent : l’épargner, le dépenser, l’investir dans l’économie ? Là encore, les données actuellement à la disposition du comité ne leur permettent pas de répondre à cette question. Mais ils ont, en parallèle, étudié une autre réforme, plus ancienne et « inverse » : celle de 2013.
A l’époque, le gouvernement Hollande avait impulsé le mouvement contraire : les revenus du capital avaient été alignés sur le barème de l’impôt sur le revenu, donc globalement, davantage taxés. « Pour l’heure, le comité est incapable de répondre par oui ou par non à la question de savoir si la réforme de 2018 a eu un impact positif sur l’économie. Mais en étudiant la réforme symétrique de 2013, on ne voit pas d’impact sur l’investissement des entreprises », assène Fabrice Lenglart, le président du comité d’évaluation.
« Ces réformes ont permis de rapprocher la taxation des revenus du capital des standards internationaux », martèle Bercy
Une sacrée pierre dans le jardin de Bercy et des tenants de la politique de l’offre, selon laquelle soutenir massivement les entreprises permet de doper la croissance et l’emploi. Or, c’est précisément la ligne de conduite actuelle du gouvernement, qui a prévu dans son plan de relance de 100 milliards d’euros de baisser de 20 milliards les impôts de production des entreprises, des taxes sur le chiffre d’affaires. « Ces réformes ont permis de rapprocher la taxation des revenus du capital des standards internationaux. Elles s’inscrivent bien dans l’action du gouvernement pour améliorer la compétitivité française et l’investissement », soutient Bercy. « L’effet sur l’emploi prendra du temps à se matérialiser mais à moyen terme, il bénéficiera à l’ensemble de la population en créant de l’investissement et de l’emploi », assure le ministère des finances.
Au ministère de l’économie, on met aussi en avant le gain pour les finances publiques, également mis en lumière par le rapport. « Les foyers les plus riches ont été concernés par la plus grande partie de la hausse des dividendes, mais auparavant ces derniers n’étaient tout simplement plus versés [car trop taxés]. Donc soit ils étaient thésaurisés dans des sociétés holding, soit ils induisaient des comportements d’optimisation », argue Bercy. Le rapport note en effet une hausse des consommations intermédiaires des entreprises, « ce qui correspond probablement à des frais des dirigeants échappant à tout impôt », explique le ministère.
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La hausse des dividendes a effectivement permis davantage de recettes fiscales, si bien que sur un coût budgétaire estimé initial 1,1 milliard d’euros, ce sont 600 millions qui sont finalement rentrés par ricochet dans les caisses de l’Etat. Quelques mois après l’instauration de ce comité d’évaluation, lors de sa conférence de presse post-grand débat national, le 25 avril 2019, Emmanuel Macron avait déclaré : « Cette réforme (…) sera évaluée en 2020 et, (…) si elle n’est pas efficace, nous la corrigerons. »
Un an et demi et deux rapports d’évaluation plus tard, la porte semble fermée. « Il n’est pas question dans le contexte de crise actuelle de revenir à une instabilité fiscale nuisible ni d’augmenter les impôts, qui ont baissé de 45 milliards d’euros pour les ménages et les entreprises depuis le début du quinquennat », répond Bercy.
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