par fernando » 22 Sep 2020, 21:21
C'est beau, c'est frais, c'est très documenté, c'est pas démago pour un sou et ça vient de Lille de surcroît. DS va kiffer grave.
« Tout, aujourd’hui, dans le football moderne, transpire l’indécence »
TRIBUNE
Olivier Caremelle
Adjoint au maire de Lille
Fustigeant l’augmentation des droits audiovisuels, du prix des places dans les stades ou encore le salaire des joueurs, Olivier Caremelle, adjoint à la mairie de Lille, propose dans une tribune au « Monde », deux mesures régulatrices : interdire l’achat et la vente de joueur ressemblant à la vente d’esclaves, et limiter la rémunération de ces derniers à 30 000 euros.
Tribune. La question du poids de l’argent dans le sport, et notamment le football, n’est pas nouvelle. Elle a suivi, crescendo, la montée en puissance des médias, la création des chaînes de télévision et, évidemment, celle d’Internet qui a repoussé les limites des diffusions.
Il est ainsi aujourd’hui possible, lorsque l’on est amateur de football, de regarder peu ou prou n’importe quel match, à n’importe quelle heure, à la condition de payer.
L’ancien directeur général de la Ligue de football professionnel (LFP), Didier Quillot, pouvait ainsi s’extasier il y a quelques semaines sur l’accord des droits TV, générant des ressources nouvelles pour les clubs et la Ligue. Les droits pour la Ligue 1 sont aujourd’hui de 1,15 milliard d’euros (2020-2024) contre 375 millions d’euros pour la saison 2004-2005 et 122 millions en 1998-1999, soit une multiplication par dix en vingt ans !
Cette nouvelle manne, censée alimenter les clubs et participer à leur bon état de santé financière, pose pourtant quelques interrogations, notamment sur la capacité des usagers à voir et donc à payer.
Jusqu’à une centaine d’euros
Elle semble déjà lointaine, l’arrivée en France du groupe Canal+, en 1984, acteur historique de la diffusion de tous les matchs de l’ancienne D1, puis au début des années 2000, de ceux de la Ligue des champions et des grands championnats étrangers.
La conséquence logique de ce grand marché libéral ? L’augmentation du panier moyen pour chaque téléspectateur afin de s’abonner, si ce dernier en a évidemment les moyens.
Ainsi, pour la prochaine saison 2020-2021, « le juste prix » de la facture totale montera jusqu’à une centaine d’euros, répartis entre un abonnement mensuel à Canal+ (20 euros), à BeIN Sports (15 euros), à RMC Sport (25 euros), et enfin au nouvel acteur espagnol Mediapro, à 25 euros.
Toutes les grandes ligues européennes profitent en effet d’une situation de monopole qui leur permet de « saucissonner » les offres pour multiplier les lots et, donc, les rentrées financières. Ainsi, l’arrivée d’un nouvel opérateur sur le marché, tel Mediapro, dope le marché pourtant déjà concurrentiel à souhait. Quitte à ce que les opérateurs, conséquence de leur surenchère, doivent ensuite trouver de nouveaux accords comme celui récent entre Mediapro et Netflix.
Emoluments déraisonnables
Tout cela conforte, pour l’instant, la bulle spéculative autour des droits du football et devrait réjouir les grands décideurs du football français et les clubs dont les dotations vont en effet augmenter.
Il n’est pourtant pas certain que les clubs, entraînés dans ce maelström financier, y gagnent sur le long terme puisque le système d’achat et de vente de joueurs ponctionne l’essentiel de leurs ressources, comme les émoluments des joueurs payés à des niveaux tout à fait déraisonnables.
De fait, le téléspectateur finance par ses abonnements ce système, qui devient de plus en plus réservé à ceux qui ont les moyens de se payer l’accès au sport le plus populaire au monde. Chacun pressent que le modèle de « gentrification » des stades, qui passe par l’augmentation du prix des abonnements pour changer le public, contaminera aussi ceux qui regardent la télévision, à moins que ces derniers ne finissent par se lasser : du prix, cher à payer pour les catégories les plus populaires ; des matchs, considérant que la profusion tue l’intérêt. Sans parler, osons le mot, de la moralité.
Tout, aujourd’hui, dans le football moderne, transpire l’indécence, autant dans les montants des transferts que dans leur principe, affichant le prix du joueur comme on afficherait le prix d’une voiture de luxe.
Une entreprise plus humaine
Sans revendiquer un retour à l’amateurisme, qui n’aurait aujourd’hui que peu de sens, il faut en finir avec cette indécence.
La France pourrait donner l’exemple et offrir un nouveau cadre juridique par deux mesures complémentaires : interdire définitivement l’achat ou la vente de joueurs, pratique curieuse, ressemblant à la vente d’esclaves, même consentie ; et, enfin, décider d’une limitation des salaires, à l’instar des « salary caps » de certaines ligues étrangères. Une somme de 30 000 euros maximum représentant déjà plus de vingt fois le smic.
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Même le patron de l’Union européenne des associations de football (UEFA), le Slovène Aleksander Ceferin, caresse aujourd’hui l’idée d’instaurer un « salary cap », pour contrôler la masse salariale des clubs et rééquilibrer un football européen plus que jamais inégalitaire.
Ainsi, tout se tient. Un autre monde est possible dans lequel le sport roi resterait accessible à tous à un prix raisonnable, dans lequel les clubs modéliseraient une entreprise plus humaine et plus stable. Et surtout, dans lequel les joueurs seraient bien payés sans devoir se vendre.
Olivier Caremelle(Adjoint au maire de Lille)
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