par fernando » 14 Jan 2021, 13:52
Face à ses problèmes de trésorerie, le foot professionnel veut baisser les salaires des joueurs
Pris en étau entre la crise sanitaire et celle due à la défaillance du diffuseur Mediapro, les dirigeants du foot français comptent sur les joueurs.
« J’accuse l’argent de détruire le football. J’accuse les dirigeants sportifs trop faibles pour résister à l’inflation galopante des salaires. » Rapportés en 1983 par le quotidien Le Télégramme, ces propos aux accents zoliens émanent d’un dirigeant alors à peine entré au conseil d’administration de l’ancêtre de la Ligue de football professionnel (LFP) : Noël Le Graët.
Depuis cette diatribe de celui qui, après avoir dirigé la ligue (1991-2000), préside aujourd’hui la Fédération française de football (FFF), les salaires ont galopé sans discontinuer. Avec une conséquence : confrontés à la crise due au Covid-19, qui impose le huis clos et réduit les recettes de billetterie à zéro, ainsi qu’à la disparition d’une partie des droits télévisuels avec le retrait, en décembre 2020, quatre mois après ses débuts en France, de Mediapro, les clubs se voient contraints aujourd’hui de chercher à réduire les rémunérations de leurs joueurs. Ne serait-ce qu’à titre provisoire.
Rattrapé par l’insolvabilité du groupe sino-espagnol, le championnat de France a dû se rendre à l’évidence : les recettes télévisuelles seront loin du milliard d’euros par an promis, en 2018, pour la période 2020-2024. Or, dans le même temps, les formations de Ligue 1 doivent continuer à assumer la masse salariale des joueurs (rémunérations et cotisations sociales), qui constitue le principal poste de dépenses : 54 % en moyenne lors de l’exercice 2018-2019, soit 1,58 milliard d’euros, selon le rapport de la direction nationale du contrôle de gestion (DNCG).
Mardi 12 janvier, quatre présidents de clubs de Ligue 1 et un de Ligue 2 ont rencontré, à Paris, les représentants du syndicat des joueurs, l’Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP). Pour des mesures précises ou des avancées significatives, il faudra repasser. A l’issue de la réunion, l’UNFP a invité « les joueurs à discuter rapidement avec leurs clubs pour envisager les modalités de réduction de leurs rémunérations afin de sauver le football professionnel ».
Des dirigeants sceptiques
Il y a d’autant plus urgence du point de vue des dirigeants de club, que, mardi soir, ils ont compris qu’ils ne pourraient pas compter sur Canal+ pour prendre immédiatement la relève de Mediapro : le président du directoire du groupe audiovisuel, Maxime Saada, a annoncé, dans un entretien au Figaro, son intention de demander à la LFP un nouvel appel d’offres pour la distribution des droits télévisuels remis sur le marché après la défection de Mediapro.
Dans ce contexte, certains dirigeants se montrent sceptiques quant à la possibilité de pouvoir payer leurs joueurs jusqu’à fin juin. Le président du Stade de Reims, Jean-Pierre Caillot, l’un des participants à la réunion de mardi, a exprimé ses craintes au Monde : « Si on ne diminue pas les charges, il n’y aura pas de miracle. Il y aura d’un côté les clubs avec des actionnaires puissants qui auront la trésorerie ; de l’autre, 60 % à 70 % des clubs qui n’en auront pas la capacité. »
En avril 2020, lors du premier confinement, un accord-cadre avait permis de négocier un paiement échelonné des salaires. Chaque joueur avait eu la possibilité de l’accepter ou non. Tout report ou toute baisse de salaire nécessite de « recueillir l’accord écrit de chaque salarié », rappelle Sevan Karian, avocat au barreau de Paris, spécialisé en droit du sport.
A l’époque, les inquiétudes se concentraient sur l’arrêt prématuré de la saison, et le football français pensait pouvoir se refaire une santé quelques mois plus tard grâce aux promesses – finalement illusoires – de Mediapro. Les échanges de mardi ont laissé les interlocuteurs sans nouvel accord-cadre. « Un accord collectif aurait été une mauvaise solution, justifie le coprésident de l’UNFP et lui-même ancien footballeur, Sylvain Kastendeuch. Les situations sont tellement hétérogènes. Il vaut mieux du sur-mesure. »
Des négociations délicates
Rien de commun entre le modèle économique du Paris-Saint-Germain, tributaire du fonds souverain du Qatar, et celui des plus petits clubs, dont les revenus dépendent pour plus de moitié de la manne télévisuelle (hors revenus liés à des transferts de joueurs).
Sylvain Kastendeuch l’assure : son organisation « favorisera et accompagnera les accords individuels ». Elle proposera « une présence physique » lors des négociations au sein de chaque club, qui s’annoncent délicates et pourraient débuter dès la semaine prochaine.
Joint en fin de semaine dernière, le directeur sportif du Stade brestois, Grégory Lorenzi, commençait à faire passer un message : « Nous n’avons rien évoqué avec nos joueurs. Chaque cas est différent : il faut qu’ils fassent le point avec eux-mêmes et leur famille. Ce que je peux dire, c’est que l’on a un vestiaire de garçons intelligents. »
« Si ça doit passer par là, on sera solidaires avec le club. Moi, je suis prêt à baisser mon salaire », affirme le défenseur bordelais Paul Baysse
Hormis lors des conférences de presse, les principaux intéressés, les footballeurs, évitent de s’épancher sur la question : accepteront-ils ou non une baisse de leurs revenus, et pendant combien de temps ? « Oui, on le fera », assurait le défenseur bordelais Paul Baysse, le 23 décembre, tout en précisant que lui et ses coéquipiers avaient accepté, en avril 2020, un paiement différé. « Si ça doit passer par là, on sera solidaires avec le club. Moi, je suis prêt à baisser mon salaire. »
En Ligue 2, le gardien de but grenoblois Brice Maubleu, membre du comité directeur de l’UNFP, se dit conscient de la situation : « S’il faut le faire, nous irons discuter avec nos dirigeants. Pour l’instant, nous n’avons pas encore de discussion prévue, expliquait-il au Monde mardi après-midi. Nous n’avons surtout pas envie que le club coule. »
« Rien ne bouge »
En attendant d’en savoir plus de la part de ses vedettes, le Paris-Saint-Germain a tranché pour ses administratifs : il a mis au chômage partiel quelque 400 salariés, sur environ 700, selon la radio France Bleu Paris. Mesure encore plus lourde à Bordeaux : le 9 janvier, les Girondins ont annoncé le licenciement de 26 administratifs.
En plein marché hivernal des transferts, et de surcroît avec les conséquences du Brexit qui vont notamment rendre les ventes de jeunes sportifs plus compliquées, les clubs français se gardent bien d’étoffer leurs effectifs. « Rien ne bouge, reconnaît l’agent de joueurs Jérôme Lancery. Au lieu de chercher trois joueurs à trois postes différents, ils concentrent leurs efforts sur un seul et cherchent d’abord à dégraisser. »
A l’étranger, M. Lancery dit avoir dû acter une réduction de 30 % de la rémunération pour deux de ses joueurs qui évoluent en Turquie, dans un championnat réputé pour ses retards de paiement. Le scénario cauchemardesque des footballeurs du championnat de France.
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