par fernando » 12 Nov 2022, 15:01
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FTX, la faillite qui ébranle les cryptomonnaies
La deuxième plate-forme d’échange de cryptomonnaies, considérée jusqu’ici comme l’une des plus sûres, s’est effondrée en quelques jours. La fortune de son PDG, Sam Bankman-Fried est passée de 16 milliards de dollars à zéro.
Samuel Bankman-Fried, fondateur et PDG de FTX, lors d’une audience de la Commission sénatoriale de l’agriculture, de la nutrition et des forêts sur le thème « Examiner les actifs numériques : Risks, Regulation, and Innovation », au Capitole à Washington, le 9 février 2022. SAUL LOEB / AFP
Il y a une semaine encore, la fortune de Sam Bankman-Fried, 30 ans, était estimée par l’agence Bloomberg à 16 milliards de dollars (15,5 milliards d’euros). Elle est aujourd’hui égale à zéro. Son entreprise FTX, la deuxième plate-forme mondiale d’échange de cryptomonnaies, s’est effondrée et s’est déclarée en faillite, vendredi 11 novembre auprès d’un tribunal du Delaware, avec quelque 130 filiales, dans ce qui s’annonce comme la plus grande chute dans le monde des cryptomonnaies.
Un scandale dont les contours sont encore méconnus, mais qui pourrait être aux cryptodevises ce que fut la faillite en 2001 du courtier en électricité Enron pour les auditeurs comptables (le cabinet Arthur Andersen avait été accusé à l’époque d’avoir participé à la fraude) et, en 2008, celle de Lehman Brothers pour les banques.
La plate-forme, qui emploie 300 salariés, était considérée comme l’une des plus sûres du monde. Elle laisse sur le carreau quelque 100 000 clients ayant déposé leurs jetons électroniques et capitaux chez elle. Selon la presse américaine, Sam Bankman-Fried a tout simplement utilisé plus de la moitié des 16 milliards de dollars de capitaux déposés par ses clients pour financer sa propre société cryptofinancière Alameda, basée aux Bahamas. Selon le Wall Street Journal, Alameda, qui prenait des paris financiers extrêmement risqués, doit 10 milliards de dollars à FTX. Et au moins 1 milliard de dollars puisé dans les dépôts des clients a disparu, selon Reuters.
Défaillances
Ainsi, le monde des cryptomonnaies semble s’être permis ce qui est interdit aux Etats-Unis depuis la crise de 1929 – interdiction renforcée après la crise financière de 2008 : utiliser l’argent de ses clients pour spéculer pour son propre compte. La SEC, le gendarme de la Bourse américain, enquête sur ce scandale des cryptodevises.
L’entreprise FTX est désormais dirigée par un spécialiste des faillites, John Ray, qui supervisa la liquidation d’Enron en 2001. Il va devoir gérer des actifs et des dettes d’un montant qui serait valorisé entre 10 et 50 milliards de dollars. « Le groupe FTX dispose d’actifs précieux qui ne peuvent être gérés efficacement que dans le cadre d’un processus organisé », a déclaré M. Ray, cité par le Financial Times.
Depuis des mois, les Bourses de cryptomonnaies ont multiplié les défaillances, avec l’effondrement des bitcoins et autres cryptodevises. Le bitcoin vaut environ 16 700 dollars, quatre fois moins que le record atteint il y a un an. Ce qui devait être l’or digital, offrant stabilité des cours, garantie d’authenticité et protection contre l’arbitraire des gouvernements, s’est révélé volatil comme l’action d’une start-up du Nasdaq pendant la bulle Internet et totalement perméable aux vols et autres manipulations. Les plates-formes qui les gèrent de manière non régulée se sont retrouvées avec des problèmes de liquidité croissants, quand les épargnants ont tenté de retrouver leurs billes.
L’affaire s’est emballée dimanche 6 novembre, lorsque Changpeng Zhao, un entrepreneur sino-canadien de 45 ans et créateur de la première plate-forme d’échange mondiale de cryptoactifs, Binance, a décidé de retirer des cryptodevises de la plate-forme FTX, pour environ 500 millions de dollars.
5 milliards de dollars de demande de retraits
La détestation de Changpeng Zhao pour Bankman-Fried est notoire. En même temps qu’il retirait ses fonds, il expliquait que « Binance ne peut pas soutenir ceux qui font pression contre d’autres joueurs dans leur dos ». Faisant, selon le Wall Street Journal, référence aux activités de M. Bankman-Fried, qui ne cesse de faire du lobbying à Washington. Le jeune milliardaire était devenu l’un des plus grands donateurs politiques : pour les midterms, il a investi 40 millions de dollars, finançant essentiellement des candidats démocrates. Selon le Wall Street Journal, « l’une des erreurs fatales de M. Bankman-Fried peut avoir été de contrarier les membres du monde de la crypto en plaidant pour sa réglementation ».
Sur les réseaux sociaux, en tout cas, l’inquiétude enfle sur la lenteur pour obtenir le remboursement de ses fonds, qui rappelle les difficultés ayant précédé au cours des derniers mois la faillite de plates-formes plus petites. Puis, c’est la panique. Dès dimanche 6 novembre, l’entreprise fait face à 5 milliards de dollars de demande de retraits.
Sam Bankman-Fried croit encore pouvoir sauver son entreprise. « FTX va bien, les actifs vont bien », assure-t-il lundi 7 novembre, déplorant qu’« un concurrent essaie de s’en prendre avec de fausses rumeurs à la plate-forme de cryptomonnaie [FTX] ». Le lendemain, coup de théâtre, Sam Bankman-Fried annonce qu’il a conclu un accord de vente de son entreprise à Binance et Changpeng Zhao, mais ce dernier se ravise le lendemain, scellant la chute de FTX.
Errances
L’affaire met naturellement à jour les errances des cryptodevises. Mais elle révèle aussi l’aveuglement des capital-risqueurs et investisseurs qui avaient fait confiance à Sam Bankman-Fried. Ce dernier avait su attirer l’élite de la finance internationale pour financer son entreprise. On trouve à son tour de table de prestigieux fonds d’investissement comme Sequoia, la caisse de retraite des enseignants de l’Ontario, le japonais Softbank, une filiale du coréen Samsung… Ils ont valorisé l’entreprise jusqu’à 32 milliards de dollars. Mais curieusement, aucun n’était au conseil d’administration. La presse américaine a ainsi commencé à instruire le procès en légèreté des capital-risqueurs.
La mise en cause des stars du sport et des médias ne devrait pas tarder. Fils de professeurs de la prestigieuse université de Stanford au sud de San Francisco, lui-même diplômé du MIT et ancien gestionnaire de hedge fund, M. Bankman-Fried était de ces jeunes prodiges dont s’entichent les célébrités.
Il vivait en partie à Nassau, aux Bahamas, dans un penthouse en collectivité. Il avait attiré des célébrités sportives pour lui servir d’ambassadeur et faire la promotion de sa plate-forme. Parmi eux, la joueuse de tennis Naomi Osaka, la gloire du base-ball David Ortiz et l’ancien basketteur Shaquille O’Neal. Ils étaient payés en crypto, voire en parts de FTX. On ne sait encore s’ils y ont placé une partie de leur fortune. Mais les stars les plus emblématiques sont le couple (aujourd’hui en instance de divorce) formé par le footballeur américain Tom Brady et la top-modèle Gisèle Bündchen : en 2021, les deux célébrités avaient tourné un clip pour une campagne de publicité de 20 millions de dollars, qui demandait à propos de FTX : « Tu en es ? ». Ils en sont, comme beaucoup.
« Je suis vraiment désolé, encore une fois, que nous nous soyons retrouvés ici », a déclaré vendredi 11 novembre M. Bankman-Fried sur Twitter. « J’espère que cela apportera un peu de transparence, de confiance et de gouvernance. » C’est surtout un immense déballage qui s’ouvre. Le monde des crypto espère que la chute de la maison FTX ne va pas en provoquer d’autres, tel un château de cartes, comme cela avait été le cas dans la grande crise financière de 2008. Changpeng Zhao a reconnu, vendredi, lors d’une conférence en Indonésie, la pertinence de l’analogie. « C’est dévastateur pour l’industrie. Une grande partie de la confiance des consommateurs est ébranlée. Les régulateurs examineront à juste titre cette industrie beaucoup, beaucoup plus durement, ce qui est probablement une bonne chose, pour être honnête. »
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