par fernando » 24 Juin 2024, 16:07
Au lendemain des législatives, le risque d’un pays ingouvernable
Cohabitation avec l’extrême droite ou la gauche, absence de majorité à l’Assemblée et impossibilité de nouer des alliances, nomination d’un gouvernement apolitique chargé de gérer les affaires courantes… La dissolution rend plausibles une multitude de scénarios qui semblaient jusqu’alors improbables.
Le premier tour des législatives anticipées, dimanche 30 juin, approche à grands pas et le monde politique retient son souffle. Côté face, Emmanuel Macron nourrit l’espoir de retrouver une « majorité de gouvernement », malgré la déroute de son camp aux européennes du 9 juin. Côté pile, le désordre politique engendré par la dissolution de l’Assemblée nationale, avec une extrême droite au plus haut, menace d’éclater en crise institutionnelle après le second tour, le 7 juillet.
Alors, « qui pour gouverner la France ? », demande le chef de l’Etat dans une lettre adressée aux Français, diffusée dimanche 23 juin au soir. Tout à sa volonté de dramatiser cette échéance, où il joue autant la survie de ses 250 députés que son héritage politique, le locataire de l’Elysée promet que « la manière de gouverner doit changer profondément », quel que soit le sort que lui réserveront les électeurs.
Car le Rassemblement national (RN) conserve, selon les différents sondages, sa dynamique électorale des européennes, après avoir capté près de 40 % des voix avec Reconquête !, la formation d’Eric Zemmour. Le RN est talonné par l’alliance de gauche, le Nouveau Front populaire (NFP), alors que le camp présidentiel demeure distancé, en troisième position. Entre le bloc d’extrême droite et celui de gauche, Renaissance et ses alliés « tendent à ressembler à ce qu’était le MoDem de François Bayrou en 2007, une force centrale autour de 15 %, pris dans la bipolarisation droite-gauche », note Jean-Yves Dormagen, professeur de science politique à l’université de Montpellier.
Si des inconnues majeures persistent (participation, nombre de triangulaires au second tour et front républicain), qui viennent brouiller tous les pronostics électoraux, un élément s’impose comme une évidence : avec l’impossibilité de dissoudre l’Assemblée nationale avant un an, soit d’ici à juillet 2025, le centre de gravité du quinquennat d’Emmanuel Macron se déplace de l’Elysée vers Matignon et l’Assemblée nationale. Une multitude de scénarios, qui semblaient improbables, semblent subitement plausibles. « Depuis sept ans, Emmanuel Macron sous-estime la dimension parlementaire de la Ve République », observe Thomas Ehrhard, maître de conférences en science politique à l’université Paris-II-Panthéon-Assas.
Le scénario d’une cohabitation
Une cohabitation avec l’extrême droite ou la gauche n’est pas à écarter. Mais Emmanuel Macron pourrait d’abord se retrouver à la merci d’une Chambre ingouvernable, marquée par une forte hostilité à son égard. Avec le risque que les députés des oppositions se coalisent pour censurer à la moindre occasion ses gouvernements. Et que les élus de son camp, éprouvés par cette dissolution, s’émancipent en vue de la présidentielle de 2027. Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a très tôt sonné l’alerte. « Soit il y a une majorité claire, soit effectivement nous courons le risque d’une crise de régime », a-t-il avancé sur BFM-TV.
De leur côté, les oppositions anticipent déjà l’absence de majorité à l’Assemblée et des alliances impossibles à nouer entre trois blocs que tout oppose. « Le macronisme a tué la Ve République. Il faut une pratique plus collective du pouvoir », soutenait le premier secrétaire du Parti socialiste (PS), Olivier Faure, vendredi 21 juin dans Le Parisien, alors qu’au sein de l’alliance de gauche, le débat fait rage autour du nom de l’éventuel premier ministre si le NFP parvenait à dominer l’Assemblée.
Candidat du RN à Matignon, Jordan Bardella a déjà fait savoir qu’il refuserait d’être nommé premier ministre s’il n’avait qu’une majorité relative à l’Assemblée. « Sans majorité absolue, je serais à la merci d’une motion de censure et je partirais naturellement au bout de quelques jours », a admis le président du parti d’extrême droite dans un entretien au Journal du dimanche. En déplacement dans le Pas-de-Calais, vendredi, l’ex-cheffe de file des députés RN, Marine Le Pen, a signifié qu’en cas de blocage institutionnel, « il ne restera donc au président que la démission pour sortir potentiellement d’une crise politique », précisant qu’il ne s’agissait pas là d’« une demande » mais d’« un constat ».
« Pour la première fois sous la Ve République, une dissolution aboutirait non seulement à ce qu’une majorité – qu’elle soit de circonstance, de coalition ou absolue – puisse dicter le nom du premier ministre au président de la République, mais aussi que cette majorité puisse refuser au chef de l’Etat la poursuite de son mandat », estime Jean-Pierre Camby, professeur associé à l’université de Versailles-Saint-Quentin (Paris-Saclay).
Ecarter Emmanuel Macron de l’équation
Preuve que le débat agite au-delà de l’arène électorale, l’ancien président du Conseil constitutionnel (2004-2007) Pierre Mazeaud est « de ceux qui pensent que le président de la République doit démissionner » pour prémunir le pays « du chaos » et éviter des « répercussions sur l’Europe et même dans le monde », a-t-il argué, dimanche, sur Radio J.
Dans sa missive aux Français, Emmanuel Macron réaffirme sa volonté d’« agir jusqu’en mai 2027 », manière d’éteindre les critiques naissantes sur son manque de légitimité à exercer le pouvoir si son camp venait à être battu dans les urnes pour la seconde fois en moins d’un mois. Parmi ses prédécesseurs de la Ve République, seul le général de Gaulle a démissionné de la présidence de la République après l’échec de son référendum sur la réforme du Sénat et la création des régions, en 1969. Dans ce cas, la Constitution prévoit que le président du Sénat assure l’intérim et que les élections doivent être convoquées vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus après la démission du président de la République.
Menacés par une quasi-disparition des bancs de l’Assemblée si la tendance électorale se confirmait, les macronistes caressent néanmoins l’espoir de former une coalition majoritaire au centre, reléguant « aux extrêmes » le RN et La France insoumise. Edouard Philippe martèle son projet de réunir, sous un contrat de gouvernement, « de la droite conservatrice à la gauche sociale-démocrate ».
Comme lui, d’autres membres éminents du camp présidentiel estiment qu’une coalition majoritaire et donc un gouvernement ne pourront advenir qu’en écartant Emmanuel Macron de l’équation, usé par sept années d’une pratique verticale du pouvoir, accentuée par la vingtaine de recours à l’article 49.3 de la Constitution (qui permet de faire adopter un texte sans vote à l’Assemblée) depuis juin 2022. « La coalition que nous appelons de nos vœux, avec Edouard Philippe, avec François Bayrou, avec Gabriel Attal, moi-même, elle va procéder du Parlement », a insisté dimanche la présidente sortante de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, en marge d’un déplacement au Vésinet (Yvelines).
Mais dans une campagne très clivée, où le camp présidentiel renvoie dos à dos la gauche et l’extrême droite et où une partie de la gauche assimile Emmanuel Macron à l’extrême droite, l’heure n’est pas au compromis, encore moins au consensus. « Ce qu’il faut, c’est une nouvelle politique, une autre politique », a fustigé le président Les Républicains des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, dimanche sur France 3. A ses yeux, « les Français veulent sanctionner tous ceux qui ont bossé avec Emmanuel Macron, comme Edouard Philippe ». Les oppositions n’ont pas vraiment d’intérêt à devenir coresponsables du bilan d’un président en disgrâce, à moins de trois ans de la prochaine présidentielle.
L’option d’un gouvernement apolitique
La perspective d’une impasse vient alimenter une autre option, celle de nommer un gouvernement apolitique au lendemain des législatives, qui serait chargé de gérer les affaires courantes, le temps de former une coalition. Une méthode éprouvée dans de nombreuses démocraties parlementaires européennes, à l’instar de l’Allemagne, de la Belgique ou de l’Italie. « Mais qui pourrait être le chef de gouvernement d’une telle coalition ? On n’a pas de Mario Draghi français [l’ex-président de la Banque centrale européenne et chef d’un gouvernement technique en Italie entre 2021 et 2022] », a estimé Jacques Attali, ancien conseiller spécial de François Mitterrand et ex-mentor d’Emmanuel Macron, samedi, dans Libération.
L’absence de culture de coalition en France, encouragée par le scrutin majoritaire, fournit une partie de l’explication. Mais à la différence des autres pays européens, « c’est l’élection présidentielle qui continue de structurer la vie politique en France », rappelle Samy Benzina, professeur de droit public à l’université de Poitiers.
La dissolution est venue contrecarrer les stratégies de conquête du pouvoir de ceux qui espéraient être des alternatives au macronisme en 2027. Cette accélération du temps politique a provoqué le retour dans la vie parlementaire de certains visages de « l’ancien monde » – François Hollande, Laurent Wauquiez, et même Jérôme Cahuzac. D’autres assument de ne pas vouloir s’exposer, à l’instar de Marine Le Pen, qui préfère envoyer Jordan Bardella à Matignon en cas de victoire, ou d’Edouard Philippe, qui privilégie sa mairie du Havre. En attendant des jours meilleurs.
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