Une ville française comble le fossé entre musulmans et non-musulmans
Portant voiles et longues jupes, les femmes marchent tranquillement dans les petites rues ternes de cette ville pauvre, en France, vers la mosquée pour écouter la dernière prière du soir.
Comme leurs maris, leurs frères, leurs pères et leurs enfants, elles se sentent comme chez elles ici. C’est en grande partie parce que Roubaix, une petite ville au nord-est de la France, a mis un point d’honneur à intégrer sa population musulmane, proportionnellement l’une des plus grandes de France.
« Je me sens bien dans ces vêtements, ici à Roubaix», explique Farid Gacem, le président barbu de la mosquée Abu Bakr, qui porte une tunique marron jusqu’aux chevilles cet après-midi là.
Dans un pays où le port du voile islamique est réglementé par la loi, où nombre de musulmans disent se sentir comme des étrangers, Roubaix fait partie de la poignée de villes françaises qui ont rompu avec la rigide interprétation de la laïcité d’État (ndlr : de la séparation des pouvoirs politiques et religieux). La commune se distingue par ses efforts de faire de discrètes, mais notables, avancées pour promouvoir une communauté musulmane active, et, ce faisant, a diminué les tensions ethniques et sectaires qui ont affecté d’autres recoins de la France, durant le mois saint du Ramadan cet été.
À Trappes, une banlieue à forte minorité musulmane de Paris, une altercation entre la police et une femme portant le niqab, un voile illégal sur la place publique, a tourné en émeutes deux semaines plus tôt. Dans une autre banlieue de Paris, un maire a refusé d’accorder une salle de prière à des musulmans pour le Ramadan. Le ministre de l’Intérieur (Manuel Valls) a indiqué que les crimes visant les musulmans ont augmenté de 28 % cette année.
Pourtant ici à Roubaix, l’état d’esprit est différent. En dépit de l’un des plus forts taux de chômage du pays, 22 %, qui grimpe bien plus haut pour les jeunes, selon le bureau du maire. Presque la moitié des foyers ont des revenus inférieurs au seuil de pauvreté et de nombreux quartiers sont gangrenés par la délinquance et le trafic de drogues.
La question est de savoir si l’approche multiculturaliste de Roubaix deviendra un modèle pour d’autres villes françaises ou si, dans un pays où dans lequel la population musulmane se retrouve au centre du débat sur le racisme, elle restera une exception.
« Roubaix est un berceau, un symbole de l’immigration», lance Mohammed Henniche, secrétaire général de l’union des associations musulmanes de Seine-Saint-Denis, dans la banlieue parisienne, qui a regardé de près les approches choisies par différentes municipalités. « Roubaix est représentative d’un vivre ensemble au niveau de l’immigration », ajoute-t-il.
Les raisons de cette démarche sont difficiles à identifier, notamment à cause des difficultés qu’ont les élus à aborder le thème de la religion. Mais la particularité roubaisienne est sa longue histoire de l’immigration, qui ne comprend pas que les musulmans mais aussi des bouddhistes d’Asie du sud-est et d’autres populations.
Le bureau du maire a pris des mesures pour offrir une aide aux musulmans, notamment pour trouver des lieux de culte. Cela contraste avec l’approche de nombreuses communes françaises qui suivent strictement l’éthique laïque nationale. La ville compte six mosquées, dont une en construction, un nombre important pour une ville de moins de 100 000 habitants. La municipalité a aussi permis la nomination d’un aumônier musulman à l’hôpital et trois zones du cimetière sont dédiées aux musulmans, une rareté en France.
« Quand vous regardez la courbe démographique, dans deux ou trois générations, toute la France ressemblera à Roubaix », commente Bertrand Moreau, chargé de communication du maire. « Il y aura un melting-pot (ndlr : un mélange multiculturel) partout et Roubaix est un laboratoire » pour montrer comment les choses peuvent fonctionner.
La mairie a créé un conseil qui inclut un représentant de chaque communauté religieuse, y compris un membre défendant les valeurs laïques de l’État, permettant des discussions sur comment répondre aux besoins des différents groupes.
Les démographes chiffrent le nombre de musulmans en France de 5 à 6 millions de personnes, soit environ 8 % de la population. À Roubaix, le bureau du maire estime que cette population atteint 20 000 personnes soit 20 % de la population totale.
Dans leurs conversations dans les rues ou aux mosquées de Roubaix durant le ramadan, les musulmans assurent que, s’ils font face aux mêmes problèmes que les autres musulmans de France, ils sentent que leur petite ville est différente.
« Notre leitmotiv est de vivre ensemble, et dans ce vivre ensemble, il y a une image que nous voudrions donner de la communauté musulmane : que nous sommes des citoyens français avant tout, devant l’aspect religieux.», avance Sliman Taleb Ahmed, président du collectif des institutions musulmanes de Roubaix.
L’un des quartiers où vit un grand nombre de musulmans, l’Epeule, juste à côté de la place centrale, l’intégrant ainsi à part entière dans la vie de la commune. Les boucheries halal s’alignent dans ce quartier et la librairie Safir fait des bonnes affaires avec des offres sur le Coran.
Ahmed El-adi, 15 ans, qui tient la boutique quand les parents sont absents, porte un T-shirt disant, en anglais : « I’m Muslim. Don’t Panic. » (ndlr : Je suis musulman, ne paniquez pas).
Toutefois, il existe des tensions. Une association civile œcuménique, Roubaix Espérance, qui promeut le multiculturalisme, dispose d’une présidence tournante. Mais lorsque le groupe représentant le mouvement laïc prit la tête de l’association cet été, les musulmans, pensant qu’il devait s’agir de leur tour, se mirent en colère. Ils décidèrent de quitter l’association.
Et pourtant, la séparation entre les musulmans et les non-musulmans reste trouble ici.
Dans la section musulmane du cimetière à Tourcoing, une ville proche, Josiane Derenoncourt, 65 ans, était la première visiteuse dans cette chaude mâtinée d’été. Elle est venue avec une bouteille d’eau qu’elle pose sur la tombe de son mari Mokhtar Farah. Trente-trois ans de mariage.
« J’ai entendu dire qu’il y allait avoir une vague de chaleur, je craignais qu’il n’ait soif », explique-t-elle, les larmes aux yeux. Elle était chrétienne, il était musulman, ils se sont rencontrés au travail dans une usine textile désormais fermée. Elle s’est convertie de manière informelle, a appris à prier comme les musulmans, et a envoyé son fils unique à la mosquée. « Je suis heureuse qu’il soit enterré ici », sourit-elle, ajoutant qu’autrement, ils auraient envoyé son corps dans son village natal en Algérie, où elle n’aurait jamais pu le visiter. Est-elle chrétienne ou musulmane ? Dans ce coin de France, elle peut être les deux.
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