par fernando » 12 Mars 2014, 21:03
La suite de ce feuilleton passionnant :
Les documents brandis par Taubira renforcent les soupçons contre Sarkozy
Le Monde.fr | 12.03.2014 à 18h40 • Mis à jour le 12.03.2014 à 19h32 | Par Gérard Davet et Fabrice Lhomme
Le contenu des documents, très imprudemment brandis par Christiane Taubira lors de sa conférence de presse, mercredi 12 mars, est extrêmement embarrassant pour la ministre de la justice. Ces deux rapports émanant du procureur général de Paris et du procureur national financier (PNF) contredisent formellement les affirmations successives de la garde des sceaux.
Dans un premier temps, Mme Taubira, invitée sur France Info puis sur TF1 lundi, avait affirmé avoir découvert l'existence d'écoutes visant Nicolas Sarkozy, dans le cadre de l'affaire d'un éventuel financement libyen de l'ancien chef de l'Etat, en lisant Le Monde – qui a révélé l'information vendredi 7 mars.
Elle avait été contredite une première fois par le premier ministre lui-même : invité du journal de France 2 mardi soir, Jean-Marc Ayrault a assuré que sa ministre avait en fait été informée de l'existence de ces écoutes au moment de l'ouverture d'une information judiciaire par le PNF pour « trafic d'influence » et « violation du secret de l'instruction », soit le 26 février.
DES AFFIRMATIONS CONTESTABLES
Précisément daté du 26 février, le rapport d'information adressé par Philippe Lagauche, avocat général près la cour d'appel de Paris, à Christiane Taubira, est le plus gênant pour cette dernière. D'abord parce que le magistrat y rappelle à la garde des sceaux qu'il lui est « régulièrement rendu compte » de la procédure sur les possibles financements libyens lors de la campagne de 2007 de M. Sarkoy – l'information judiciaire a été ouverte le 19 avril 2013.
Or, un communiqué de la procureure nationale financière, Eliane Houlette, publié mercredi après-midi, a précisé que, dans le cadre de l'affaire libyenne, M. Sarkozy avait été placé sur écoute depuis le 3 septembre 2013. Les rapports envoyés à la chancellerie sont supposés mentionner les actes principaux d'une enquête.
Il paraît donc improbable que Mme Taubira n'ait pas été informée avant le 26 février de ces interceptions judiciaires. Seul élément à décharge pour la ministre : les juges d'instruction, qui tenaient bien entendu à la confidentialité de ces écoutes, ont pu ne pas forcément en référer au parquet.
En revanche, les deux rapports communiqués à la chancellerie le 26 février démentent cruellement les dernières déclarations de la ministre de la justice. Mercredi midi, juste après le conseil des ministres, Mme Taubira a assuré : « Je n'ai pas et je n'ai toujours pas d'informations concernant la date, la durée et le contenu des interceptions judiciaires. » Autant d'affirmations contestables.
Ainsi, l'un des deux documents dont nous publions la retranscription mentionne bien que les interceptions gênantes pour M. Sarkozy ont été réalisées, sur son second téléphone portable, entre le 28 janvier et le 11 février. Par ailleurs, si les deux rapports ne contiennent pas de verbatim de ces écoutes, ils en évoquent le contenu, à savoir les soupçons de trafic d'influence portant sur Nicolas Sarkozy, son avocat Thierry Herzog et le magistrat Gilbert Azibert.
LES NOUVEAUX ÉLÉMENTS APPORTÉS PAR LES RAPPORTS
Les deux rapports exhibés par Mme Taubira apportent de fait de nombreuses précisions sur l'information judiciaire ouverte le 26 février. Selon la note rédigée par la procureure nationale financière, adressé le 26 février à son supérieur direct, François Falletti, procureur général de Paris, c'est le 17 février qu'elle a été saisie de « faits incidents » visant MM. Sarkozy, Azibert et Herzog.
Depuis le 3 septembre 2013, le téléphone portable de l'ex-chef de l'Etat est donc placé sur écoute, dans le cadre de l'enquête sur un éventuel financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007. Ces investigations, menées par les juges Serge Tournaire et René Grouman, se déroulent en toute discrétion. Plusieurs témoins ont été entendus par les magistrats.
Selon Mme Houlette, « les policiers ont intercepté, entre le 28 janvier et le 11 février, des conversations téléphoniques entre Monsieur Nicolas Sarkozy utilisant une ligne téléphonique souscrite sous un nom d'emprunt (Paul Bismuth) et M. Thierry Herzog, avocat se servant d'une ligne téléphonique souscrite le même jour ». Conversations édifiantes, si l'on en croit la magistrate : « Monsieur Thierry Herzog aurait pu être renseigné », tant « sur la surveillance des téléphones de Nicolas Sarkozy » que sur l'éventualité « d'une perquisition » dans le cadre du dossier libyen. Un acte, s'il était avéré, extrêmement grave pour la défense de M. Sarkozy.
Il serait également « entré en relation, à de nombreuses reprises, avec un magistrat du parquet général de la Cour de cassation ». Il s'agit de Gilbert Azibert, avocat général à la chambre civile de la juridiction suprême. Celui-ci aurait notamment, en perspective de la décision du 11 mars par laquelle la cour devait se prononcer sur la saisie des agendas de M. Sarkozy dans l'affaire Bettencourt, « rencontrer un par un » ses collègues, afin de leur « expliquer » [terme retranscrit à partir des écoutes téléphoniques], « avant qu'ils ne délibèrent ».
C'est ainsi que « deux ou trois des conseillers appartenant à la formation appelée à statuer sur ce pourvoi » auraient été approchés par M. Azibert, afin que celui-ci les convainque du bien-fondé des thèses sarkozystes.
LES CONVERSATIONS AVEC L'AVOCAT ÉVOQUÉES DANS LES NOTES
Selon Mme Houlette, « ces communications mettent également en évidence que ce magistrat aurait fait part à Thierry Herzog de son souhait d'être nommé conseiller au tour extérieur au Conseil d'Etat de Monaco et que Nicolas Sarkozy aurait assuré qu'il l'aiderait dans ce projet “avec ce que tu fais” (selon Thierry Herzog) ».
D'après la magistrate, il y a bien un obstacle : « Certes les conversations interceptées sont celles d'un avocat avec son client, ce qui pourrait constituer un obstacle à l'ouverture d'une information. Mais elles ont eu lieu à travers une ligne téléphonique ouverte sous un faux nom et au surplus sont de nature à faire présumer la participation de l'avocat concerné à une infraction. »
Dès lors, la machine judiciaire s'enclenche. Le parquet général de Paris prend soin de prévenir la chancellerie. C'est donc l'avocat général Philippe Lagauche qui, ce même 26 février, prend la plume. Il s'adresse directement à la ministre Christiane Taubira. Il relève pour commencer une éventuelle violation du secret de l'instruction dont l'ex-chef de l'Etat aurait été le bénéficiaire.
Qui a prévenu M. Sarkozy de sa mise sur écoute ? « Il est en effet apparu que Nicolas Sarkozy, placé sur écoute dans le cadre de cette procédure, en aurait été informé, après que le bâtonnier de Paris ait [sic] été lui-même averti par le juge d'instruction conformément aux dispositions de l'article 100-7 du code de procédure pénale, la personne écoutée étant un avocat au barreau de Paris », explique M. Lagauche.
Le magistrat fait donc part à mots couverts de ses doutes envers le bâtonnier de Paris (2012-2013) Christiane Féral-Schuhl. Des suspicions rejetées par le barreau de Paris. M. Lagauche pointe aussi la volonté de M. Sarkozy de se défaire des surveillances judiciaires : « Il est également apparu que le même Nicolas Sarkozy, utilisateur d'une seconde ligne téléphonique portable – ouverte sous un nom d'emprunt pour semble-t-il déjouer la première écoute judiciaire – seconde ligne également écoutée, était en relations fréquentes avec Thierry Herzog, également avocat au barreau de Paris et qui est son conseil dans “l'affaire dite Bettencourt” en cours à Bordeaux ; à la faveur de ces conversations, il apparaît que les deux hommes évoquent à plusieurs reprises les interventions réelles ou supposées d'un magistrat du parquet général de la Cour de cassation, dans le cadre de l'examen par la chambre criminelle de cette Cour d'un pourvoi formé contre un arrêt de la chambre de l'instruction de Bordeaux. » Au terme de ce rapport, M. Lagauche assure à Mme Taubira : « Je ne manquerai pas de vous tenir informée des suites de cette procédure. »
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