par fernando » 10 Oct 2014, 13:26
Vive le sport
Football : comment un Français est devenu le défenseur le plus cher de l’histoire
Le Monde.fr | 10.10.2014 à 10h57 • Mis à jour le 10.10.2014 à 11h48 | Par Rémi Dupré
Annoncé comme titulaire sur la pelouse du Stade de France, Eliaquim Mangala devrait croiser certains de ses anciens coéquipiers du FC Porto, samedi 11 octobre, lors du match préparatoire à l'Euro 2016 entre les Bleus et le Portugal. Ancien cadre des « Dragons » entre 2011 et 2014, le défenseur central de 23 ans connaît particulièrement bien le championnat lusitanien, où il a progressé de manière fulgurante durant trois saisons. Pilier de l'arrière-garde des « Tripeiros », le natif de Colombes (Hauts-de-Seine) a incorporé l'équipe de France A, en juin 2013, grâce notamment à ses bonnes performances en Liga Sagres.
Remplaçant lors du Mondial brésilien (il n'a disputé aucun match), le colosse (1,88 ; 84 kg) est entré, cet été, dans les annales du football en devenant le défenseur le plus cher de l'histoire. A la grande stupéfaction des acteurs et observateurs avisés du marché des transferts. Double champion du Portugal (2012 et 2013), Mangala a rejoint, en août, Manchester City contre la somme record de 53,8 millions d'euros. Un montant en apparence exorbitant au regard du CV fluet du stoppeur.
UN JOUEUR « SAUCISSONNÉ »
L'international français devance ainsi, au panthéon des défenseurs les plus onéreux du globe, le Brésilien David Luiz, enrôlé cet été pour 49,5 millions d'euros par le Paris-Saint-Germain, et l'Anglais Rio Ferdinand, transféré en 2002 de Leeds à Manchester United contre 47 millions d'euros. Originaire du Congo, Mangala a vécu en Belgique entre 5 ans et 20 ans, optant pour la sélection tricolore après avoir été convoqué en équipe de France Espoirs en 2009. En provenance du Standard de Liège (Belgique), son club formateur, il avait été recruté par le FC Porto, en août 2011, contre 6,5 millions d'euros. Le club portugais avait alors fixé sa clause libératoire à 50 millions d'euros. Le FC Porto a notamment coutume d'attribuer des bons sorties à ses vedettes (les Argentins Lucho Gonzalez et Lisandro ou le Colombien Falcao) contre des montants élevés.
Une fois la vente du défenseur à Manchester City officialisée, les dirigeants des Dragons indiquaient n'avoir perçu que 30,5 millions d'euros à la suite de cette transaction. Et pour cause : le FC Porto ne possédait que 56,67 % des parts du joueur puisqu'il avait « saucissonné » l'intéressé, en décembre 2011, à l'instar du Belge Steven Defour, un autre transfuge du Standard de Liège. En manque de liquidités à la suite de l'élimination des Tripeiros dès la phase de poules de la Ligue des champions, la direction du FC Porto – un club coté en Bourse – avait, en effet, cédé un tiers des droits économiques de Mangala (33,3%) à Doyen Sports Investments Limited, un fonds d'investissements basé à Malte, contre 2,65 millions d'euros. Cet « hedge fund » a également été le sponsor maillot de l'Atlético Madrid, du Sporting Gijon et de Getafe. Il est l'émanation du fonds Doyen Group, notamment spécialisé dans les activités minières (extraction d'uranium et de l'or).
Le FC Porto avait également attribué 10 % des recettes sur le futur transfert du défenseur à la société Robi Plus, une obscure structure dont le siège est à Londres et derrière laquelle se camouflerait Lucien d'Onofrio, ancien agent de joueurs (Zidane, Deschamps, Desailly, Dugarry), et ex-vice-président du Standard de Liège (1998-2011). Proche du défunt propriétaire de l'Olympique de Marseille Robert Louis-Dreyfus, l'impresario avait convaincu ce dernier d'investir dans le club belge avant que les deux hommes soient condamnés dans le cadre des transferts suspects de l'institution phocéenne en 2007.
Transféré à Manchester City contre 53,8 millions d'euros, l'international français Eliaquim Mangala est devenu, cet été, le défenseur le plus cher de l'histoire.
IMPROBABLE MONTAGE FINANCIER
La vente de Mangala à Manchester City a, en outre, permis à Doyen Sports d'empocher 17,9 millions d'euros. Le fonds d'investissement a ainsi cédé un tiers du joueur, la third party ownership ou « tierce propriété » (TPO) étant interdite en Angleterre. De son côté, Robi Plus aurait encaissé 5,4 millions d'euros. En misant sur le Francilien, les deux structures ont ainsi réalisé un gain huit fois supérieur à leurs placements initiaux. « Le fait d'avoir eu un statut de joueur en copropriété ne m'a jamais porté préjudice, a confié, mercredi 8 octobre, Mangala au Parisien. J'ai pu aller où je voulais. Ce procédé est valable au Portugal et en Espagne, mais ni en France ni en Angleterre. Il permet à des clubs aux budgets restreints de rester compétitifs en investissant sur des joueurs qu'ils n'auraient jamais pu acheter. »
Le joueur avait eu l'air de découvrir l'improbable montage financier dont il avait fait l'objet lors de l'enquête réalisée par Martin Boudot, en septembre 2013 sur France 2, pour le magazine Cash Investigation. « Je n'étais pas au courant (…). C'est sûr que c'est pas top, top, avait-il glissé au journaliste. Un club est une usine et les joueurs, ce sont les produits de l'usine. Chacun a une valeur marchande. » Rémunéré à hauteur de 1 million d'euros net annuel avec le FC Porto, Mangala a vu ses émoluments atteindre 5 millions d'euros lors de son arrivée à Manchester City.
L'agent du joueur n'est autre que le Lusitanien Jorge Mendes, proche des Dragons et de Doyen Sports. Le Fonds a d'ailleurs possédé « une partie » des Français Josuha Guilavogui et Geoffrey Kondogbia ainsi que du Colombien Radamel Falcao. Après le départ de Mangala en Angleterre, Doyen Sports a aidé le FC Porto à enrôler l'Algérien Yacine Brahimi, transfuge de Grenade, contre 6,5 millions d'euros. Le fonds ayant pris le contrôle de 80 % des droits économiques de l'ancien international Espoirs français, les Dragons n'ont eu à dépenser que 1,5 million d'euros.
LA TIERCE PROPRIÉTÉ DÉSORMAIS INTERDITE PAR LA FIFA
La TPO est une pratique courante au Portugal, grand exportateur de joueurs vedettes avec Porto comme plaque tournante, et en Espagne. Dans ce système, les joueurs sont placés comme des actifs spéculatifs, et les clubs peuvent recruter sans creuser leurs dettes. L'ardoise des trois plus grands clubs lusitaniens (Sporting, Benfica, Porto) dépasse pourtant le milliard d'euros. Ce procédé explique le montant astronomique du transfert de Mangala. Il est aussi très répandu en Europe de l'Est et institutionnalisée en Amérique du Sud. Le cas le plus emblématique est celui du joueur argentin Carlos Tevez, dont les droits économiques ont été achetés en 2004 par l'investisseur Kia Joorabchian, propriétaire de Media Sports Investments.
Alors que le Conseil stratégique du football professionnel européen (CSFP) avait milité pour l'interdiction de ce type de contrat, l'Union des associations européennes de football (UEFA) avait, par la voix de son président Michel Platini, demandé à la Fédération internationale de football (FIFA) de prohiber cette pratique. « Aujourd'hui, certains joueurs deviennent des produits. C'est un retour cinquante ans en arrière, c'est une honte, ça devient un gros business », avait tonné l'ex-numéro 10 des Bleus, en août 2013, à Monaco. En mars, lors du Congrès de l'UEFA à Astana (Kazakhstan), il avait lancé un « appel solennel » à Joseph Blatter, président de la FIFA, pour qu'il « ait le courage politique » de traiter ce problème.
Le 26 septembre, le Comité exécutif de la Fédération internationale a ainsi interdit la propriété de joueurs par des tiers. « Cela ne peut pas être fait dans l'immédiat, mais il y aura une période de transition pour faire appliquer cette interdiction », avait précisé Joseph Blatter. « Je suis très heureux pour les joueurs que la FIFA ait suivi les recommandation de l'UEFA de déclarer hors la loi cette pratique de la tierce partie, s'était réjoui Michel Platini. J'ai constamment alerté pendant des années sur cette pratique, qui s'est répandue et est un danger pour notre sport. Cela menace l'intégrité de nos compétitions, dégrade l'image du foot, représente une menace à long terme pour les finances des clubs et pose question concernant la dignité humaine. »
Grand espoir des Bleus, Mangala n'est désormais plus concerné par ce système. « Mon transfert ne m'obsède pas non plus. J'ai été acheté pour une très grosse somme. Il s'agit du résultat d'une négociation entre deux clubs. Au regard du montant, je suscite forcément beaucoup d'attentes. J'ai signé pour cinq ans. Il m'appartient de montrer que Manchester City a fait le bon choix », a-t-il glissé au Parisien. Couvé par son entraîneur chilien Manuel Pellegrini, Mangala n'a pour l'instant guère été éblouissant avec les Citizens. Lors de l'une de ses premières sorties avec sa nouvelle formation, sur la pelouse de Hull, il a notamment concédé un penalty et inscrit un but contre son camp. « Il ne faut pas analyser un joueur sur un seul match », l'avait alors défendu le coach de Manchester City.
"L'alcool tue lentement. On s'en fout, on a le temps."