par fernando » 16 Avr 2015, 16:27
Harcèlement de rue : « Quand on est une femme en France, on est seule »
Le Monde.fr | 16.04.2015 à 15h30 • Mis à jour le 16.04.2015 à 15h52
C'est le chiffre-choc de la Semaine internationale contre le harcèlement de rue : 100 % des utilisatrices de transports en commun y ont subi au moins une fois dans leur vie du harcèlement sexiste ou une agression sexuelle, selon un rapport remis jeudi par le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes.
Les nombreux témoignages que nous avons recueillis illustrent l'ampleur du phénomène et appellent à une prise de conscience générale de la part des victimes, mais aussi des harceleurs, et des témoins.
Un harcèlement régulier, parfois quotidien
Sylvie M., 46 ans, cadre administrative
« Il n'y a pas un jour dans les transports sans que certains individus se permettent d'avoir des regards insistants, salaces, ignobles. »
Selin C., 24 ans, Paris, ingénieure
« A Paris, c'est quotidien quand on est une femme. Dans le métro, avec ces types qui font des gestes déplacés ; dans le RER, quand vous dites à l'homme derrière vous “Monsieur arrêtez de me caresser les fesses” et qu'il vous répond que c'est sa mallette, qu'il ne fait rien, et que cinq minutes plus tard, il s'en va les mains vides. Ces jeunes qui vous crient dans la rue “Mademoiselle vous avez un beau cul !”, et quand vous leur dites d'aller se faire voire, ils répliquent : “T'as un gros cul sale pute !” »
Les femmes contraintes de modifier leur comportement
Louise M., 38 ans
« J'ai l'impression d'avoir grandi avec le harcèlement de rue, de l'avoir toujours connu. A 14 ans, [dans le métro] un homme m'a mis la main sur la poitrine. Je lui ai dit : “ça ne va pas la tête ?”, il m'a répondu “salope”... Je suis ensuite restée assise sur le banc du métro, me sentant sale et “allumeuse”. Depuis ce jour, j'ai arrêté de porter des hauts moulants ou décolletés et je ne mets plus de jupe. J'ai trop peur de m'habiller sexy car j'ai vraiment intégré la croyance que c'est de ma faute si on me harcèle dans la rue et c'est à moi de faire ce qu'il faut pour ne pas exciter les hommes... C'est la première fois, suite au rapport du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, que je réalise qu'en fait ce n'était pas de ma faute et que ce n'est pas moi la coupable ! »
Aurélie K., 23 ans, ingénieure associée
« Au début, je ne faisais pas attention à ces remarques, alors je traçais ma route et pour moi, il était hors de question de changer ma façon de m'habiller. Puis au bout de trois ans, j'ai remarqué que mon comportement avait changé : si je devais traverser ou être proche de certains quartiers, j'évitais de porter des jupes ou des robes ou lorsque je rentrais tard le soir, je prenais le taxi ou j'étais accompagnée. Combien de fois j'ai eu la boule ou ventre lorsque je rentrais seule chez moi ? Une peur s'installe peu à peu. »
Valentine G., 23 ans, motion designer
« Je sais que dès que je porte une jupe ou une robe, je multiplie par quatre le risque d'avoir ce genre de mésaventure. A ce stade, à part m'habiller en garçon, je n'ai pas trouvé de solution pour y faire face. »
Isabelle C., 42 ans, professeure
« En balayant d'un regard rétrospectif plusieurs années de ma vie, il reste ancré en moi ce vieux réflexe, discret mais bien présent, du conditionnement qui accompagne toute sortie dans l'espace public : un mélange de présence et d'absence pour ne pas attirer l'attention, une conscience des gestes et des mouvements, des stratégies conscientes pour se donner une contenance mais subtile pour être naturelle et vraisemblable. En effet, le harceleur flaire l'artifice et la peur. »
Démunies quant aux comportements à adopter face aux harceleurs
Charlotte R., 23 ans étudiante
« On ne sait jamais comment réagir face à ses situations. Un homme vous interpelle : doit-on l'éviter, lui répondre “bonjour”, “non merci” selon la situation ? Le problème c'est que selon le caractère de ce(s) monsieur(s), la moindre réaction de notre part peut envenimer très vite les choses. De temps en temps, faire comme si de rien n'était nous permet d'éviter la situation. D'autre fois, ne pas répondre peut mettre en une seconde l'homme très en colère. Malheureusement, répondre juste “bonjour” ne marche pas non plus, puisque certains peuvent s'avérer très collants, on ne sait donc plus comment réagir et/ou quoi dire. »
Charlyne L., 38 ans, enseignante à Nantes, a opté pour s'appuyer contre l'avant du tram pour faire face aux gens :
« Je ne trouve pas normal de développer de telles stratégies. Vive le vélo ! »
Magali M., 25 ans, Lyon
« Je n'ai jamais voulu trouver de solution pour y faire face. Ça aurait été accepter de me soumettre à une forme de harcèlement qui ne devrait pas être banalisé, et qui viendrait de mon attitude et non de celle des harceleurs. J'ai été souvent tentée de proscrire la jupe et les talons quand je sortais seule pour préférer des vêtements plus couvrants, même par 30° C. Généralement, je parviens à résister à cette tentation, même si cela me vaut une boule au ventre et une attitude défensive voire agressive envers les hommes, dans la rue. »
Lire aussi notre reportage : Succès de l'autodéfense chez les femmes, qui "ne veulent plus être des victimes"
Certaines osent réagir, malgré la passivité des témoins
Bethan K., 26 ans, après qu'un homme se soit frotté contre ses fesses dans le métro
« J'ai fini par lui crier dessus, le traiter de pervers, lui demander s'il avait pas honte de faire ça. Il s'excuse en disant qu'il n'y avait pas de place dans la rame. (...) Tout le monde me félicite. Sympa. Mais personne n'est venu à mon aide pendant l'incident. C'est la solution pour moi : dire à ses personnes d'arrêter quand on voit ce genre de choses dégoûtantes. Qu'on apprenne aux mecs à ne pas faire ça et aux femmes à dire “stop”. »
Sandrine G., 45 ans, victime d'attouchements aux fesses trois fois dans les transports
« Je crois que si on réagit, si on montre aux hommes qu'on n'a pas peur d'eux, ça peut faire la différence. Je suis tellement indignée de ce qui m'arrive que je ne laisse pas passer, les femmes ont appris à se taire, à intégrer des limites. Elles sont parfois polies avec des mecs qui les insultent ou les dérangent. Moi un gars qui est lourd, je lui dis de dégager, s'il me répond, je l'insulte en hurlant, je n'ai pas à être gentille et baisser la tête. »
Isabelle C., 42 ans, professeure
« Il faut désamorcer la tentative avant la prise de parole pour que la personne renonce. Exemple : 1/ Regard insistant, la personne va vous aborder ;
2/ Vous regardez pour montrer que vous ne la craignez pas ;
3/ Vous trouvez une stratégie pour réguler cet instant et le remettre dans une normalité. Par exemple, vous grimacez avec agacement pour simuler une gêne au pied, un oubli, etc. »
Un problème propre à la France ?
Laura F., 21 ans, étudiante à Sciences Po
« Lorsque j'habitais à Lille, je me faisais harceler deux fois par jour, tous les jours : en allant à l'école et en rentrant chez moi, que je sois en jean ou en jupe. J'habite à Londres depuis huit mois et ne me suis jamais fait harceler une seule fois. Je me demande quel échec de la société cela reflète. Cela fait partie des raisons pour lesquelles je ne veux plus habiter en France”. »
Aurélie K., 23 ans, ingénieure associée
« Maintenant je suis en Pologne pour vivre une nouvelle expérience et faire une pause dans mes études après avoir obtenu ma licence. On m'a déjà abordée, mais toujours poliment, même lorsque je répondais négativement. Au lieu d'entendre “salope”, on vous dit “d'accord bonne journée”, on vous respecte. S'il y a une raison qui me pousse à rester à l'étranger c'est bien celle-ci, car en France, je ne me sens pas en sécurité. »
Gabrielle V., 27 ans, professeure à Londres
« L'humiliation de ce jour et de tous les autres jusqu'à ce que je déménage à Londres – où je n'ai jamais été ne serait-ce qu'abordée – m'a fait comprendre que quand on est femme en France, on est seule. Et pour répondre à ceux qui pensent que c'est un problème d'immigration : il y a autant, même plus, d'immigrés musulmans à Londres. »
Les pouvoirs publics appelés à s'emparer du problème
Smail B., 50 ans, Mulhouse
« Je suis de sexe masculin et suis très sensibilisé par la question. A mon avis, une des façons de faire régresser significativement ces harcèlements serait de contraindre les contrevenants (caméras par exemple tout au long de certains parcours empruntés). La question est de savoir si le simple harcèlement verbal est tolérable ou bien s'il faut envisagé de légiférer. Evidemment mettre aussi l'accent sur l'éducation dès le plus jeune âge. Il importe de sensibiliser au plus tôt les garçons. »
Sylvie M., 46 ans, cadre administrative
« Les pouvoirs publics doivent faire quelque chose, cela ne peut continuer comme cela. Il faut de la prévention dans les écoles et de la répression pour les acteurs de ces crimes et délits. »
"L'alcool tue lentement. On s'en fout, on a le temps."