par fernando » 24 Sep 2015, 16:00
La condamnation à mort du jeune Saoudien Ali Al-Nimr suscite des protestations mondiales
Ali Al-Nimr a pu passer un bref coup de fil à ses parents, mercredi 23 septembre. Juste le temps de leur dire qu’il était toujours en vie. Depuis que la justice saoudienne a rejeté, mi-septembre, l’appel de ce jeune homme de 20 ans, condamné à la peine de mort en mai 2014 pour avoir participé à des manifestations dans l’est du pays, sa famille craint que son exécution soit imminente. Il pourrait être décapité et crucifié. Il arrive, en effet, que pour les crimes considérés comme les plus graves, la justice saoudienne ordonne que le corps du supplicié, décapité au sabre par un bourreau en place publique, soit crucifié et exposé au public, jusqu’à ce que les chairs commencent à se décomposer. L’incertitude demeure sur le moment de l’exécution. « En Arabie saoudite, il n’y a pas d’annonce officielle sur la date d’exécution. Généralement, la famille n’est pas informée par avance », indique Zena Esia, de l’European-Saudi Organization for Human Rights (Esohr). Les proches ne l’apprennent souvent que lorsque les autorités leur intiment l’ordre de venir chercher la dépouille.
La sentence est particulièrement sévère, même au regard des standards du royaume wahhabite, où au moins 2 208 personnes ont été exécutées entre janvier 1985 et juin 2015, dont 134 pour la seule année 2015. Ce dernier chiffre représente un record dans les annales pénales saoudiennes. La sévérité et la cruauté du jugement à l’égard du jeune homme s’expliquent peut-être par le fait qu’Ali Al-Nimr, neveu du cheikh Nimr Baqer Al-Nimr, un dignitaire religieux alors à la tête du mouvement de contestation chiite, lui aussi condamné à mort le 15 octobre 2014, est considéré comme un opposant chiite. Le royaume, contesté par l’organisation sunnite de l’Etat islamique (EI), a subi, ces derniers mois, une vague d’attentats meurtriers contre la minorité chiite, concentrée dans l’est du pays. La fermeté extrême à l’égard d’Ali Al-Nimr est une manière de ne pas se laisser déborder par l’EI sur le terrain de l’« orthodoxie » sunnite.
« Dans l’histoire récente de l’Arabie saoudite, personne n’a été condamné à la peine de mort pour militantisme politique », précise Zena Esia. Ali Al-Nimr avait 17 ans lorsqu’il a été arrêté à Qatif, dans l’est du pays, en février 2012, en marge de manifestations contre la famille royale des Saoud. Les manifestations étaient alors quasi quotidiennes dans les régions chiites de l’est du royaume, en écho au « printemps arabe ». Pour Mme Esia, « Ali a été spécifiquement visé. Il a été arrêté après la manifestation, le soir, de façon violente. Une voiture de police lui a roulé dessus ».
« Rester silencieux n’est pas une option »
Pendant son interrogatoire, Ali Al-Nimr a été soumis à des tortures, documentées par l’Esohr dans un rapport. « Il avait le nez enflé et des dents cassées. Il a été insulté et torturé. Il a signé des aveux, qui ne sont pas écrits de sa main », précise Zena Esia. Il a été déféré devant le tribunal pénal spécial de Djedda, qui a condamné plusieurs militants politiques, à l’instar du blogueur Raif Badaoui ou de son avocat, Walid Abou Al-Khair. Le 27 mai 2014, Ali Al-Nimr a été condamné à mort pour participation à des manifestations contre le gouvernement, attaque des forces de sécurité, possession d’une arme automatique et vol à main armée.
Ali Al-Nimr n’a désormais pour seul recours que la mobilisation de la communauté internationale. « On ne peut pas prédire ce que fera l’Arabie saoudite, mais la pression internationale peut avoir un effet. Rester silencieux n’est de toute manière pas une option », estime Mme Esia. Mardi, des experts onusiens ont alerté sur le sort d’Ali Al-Nirm et appelé l’Arabie saoudite à surseoir à l’exécution. Depuis, la mobilisation pour sauver le jeune homme ne cesse de monter.
« Toute sentence infligeant la peine de mort à des personnes mineures à l’époque du délit ainsi que son exécution sont incompatibles avec les obligations internationales de l’Arabie saoudite », a rappelé l’ONU. Depuis Bruxelles, mercredi, le président français, François Hollande, a demandé à l’Arabie saoudite de « renoncer à cette exécution au nom de ce principe essentiel que la peine de mort doit être abolie et les exécutions empêchées ». Une telle exécution gênerait considérablement M. Hollande, qui se présente comme le meilleur allié du royaume saoudien et qui mise sur cette relation pour doper les ventes d’armes françaises. Riyad participerait en effet, selon certaines sources, au financement du rachat des navires Mistral par son fidèle allié égyptien, annoncé mercredi.
« Pétrodollars et politique l’emportent sur les droits de l’homme »
L’affaire alimente les critiques adressées aux Nations unies depuis qu’elles ont rendue publique, le 21 septembre, la nomination de l’Arabie saoudite à la tête du « comité consultatif » du Conseil des droits de l’homme. Comme l’a révélé l’ONG UN Watch, l’ambassadeur de Riyad auprès des Nations unies, Fayçal Trad, présidera ce comité.
Le « comité consultatif » est chargé de sélectionner les rapporteurs en charge de thématiques précises, dont les travaux servent de base au Conseil pour émettre des recommandations.
« C’est scandaleux que l’ONU choisisse un pays comme l’Arabie saoudite pour présider ce groupe, estime Hillel Neuer, directeur exécutif d’UN Watch. Les pétrodollars et la politique l’emportent sur les droits de l’homme. » M. Neuer dénonce une « mascarade et un coup de plus porté à la crédibilité » d’une institution censée incarner l’autorité morale de l’ONU et dont l’Arabie saoudite est devenue membre en 2013.
Au printemps 2015, Riyad a fait savoir son intérêt pour la présidence du Conseil, mais face à la polémique suscitée, a dû retirer sa candidature. Dans les couloirs du Palais des nations, à Genève, il se murmure que Riyad aurait obtenu la direction du « comité consultatif » en guise de consolation.
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