par fernando » 20 Nov 2015, 15:47
Euro 2016 : « Le risque terroriste est au centre de la préparation du dispositif de sécurité »
Jacques Lambert est le président de la société d’organisation de l’Euro 2016, qui aura lieu en France du 10 juin au 10 juillet. Ancien directeur général du Comité français d’organisation du Mondial 1998 et ancien préfet de Savoie et ex-conseiller du premier ministre socialiste Pierre Bérégovoy (1992-1993) au renseignement et à la sécurité, Jacques Lambert a notamment été chargé de la sûreté des Jeux olympiques d’hiver d’Albertville, en 1992. Pour Le Monde, ce proche de Michel Platini évoque les conséquences sur l’Euro des attentats qui ont frappé Paris et les abords du Stade de France, le 13 novembre.
Quel est votre état d’esprit depuis les attaques terroristes du 13 novembre ?
Je suis déterminé, car ce qu’il s’est passé vendredi soir est absolument tragique, terrifiant. Cela ne change rien au fait que nous avons un événement à organiser, à livrer, à sécuriser. On ne va pas jouer à se faire peur. On ne va pas non plus se cacher derrière son petit doigt en renvoyant la responsabilité à d’autres. On va assumer.
Ce qu’il s’est passé vendredi n’est pas l’apparition subite d’un risque nouveau qui aurait été inconnu jusqu’à présent. C’est la confirmation de quelque chose que l’on savait. La confirmation de quelque chose que l’on pressentait. Ce qui a été extraordinaire vendredi, c’est à la fois les modalités des attentats – des attentats multiples coordonnés avec en annexe des actions kamikazes – et la gravité extrême du bilan humain. Le risque terroriste est au centre de la préparation du dispositif de sécurité qui a été entrepris depuis deux ans et demi, avec le ministère de l’intérieur notamment. On n’est pas démuni. On va regarder les choses de façon professionnelle pour essayer de livrer l’Euro le plus sécurisé qui soit dans les conditions qui seront celles du mois de juin et du mois de juillet 2016.
Vous avez d’emblée écarté l’éventualité d’une annulation de l’Euro…
Il ne faut pas donner raison aux terroristes. Ce serait totalement stupide et inapproprié de prendre une décision maintenant. On est à sept mois de l’événement, il peut se passer bien des choses entre-temps. Il faut être lucide, il y a peu de chance que la situation internationale se modifie considérablement. Il y a donc peu de chance que le risque diminue de façon extrêmement sensible. Poser la question de l’Euro 2016, indépendamment de la situation internationale, ça n’a pas plus de sens que de se poser la question de l’annulation du Tournoi des six nations, du prochain match du Paris-Saint-Germain au Parc des Princes, de Roland-Garros, du Tour de France ou du Salon de l’auto. La problématique est l’organisation d’événements publics en France, dans des espaces fermés d’une part, dans des espaces ouverts d’autre part. L’Euro 2016 en tant que tel ne pose pas des conditions de sécurité très différentes que celles posées par des dizaines ou centaines d’événements sportifs ou culturels.
Qu’est-ce qui a changé depuis les attentats de janvier ?
Les modalités d’organisation des attentats ont changé. On a été pendant des années dans une logique d’actions de loups solitaires. Là, on est dans une action de groupe coordonnée, manifestement commanditée et organisée de l’extérieur. On a eu pour la première fois des kamikazes, qui se sont délibérément fait exploser. En ce qui concerne ceux du Stade de France, leur attitude est absolument étrange, incompréhensible.
La douzième réunion sur la sécurité de l’Euro a eu lieu, le 16 novembre, au ministère des sports. Quelles décisions ont été prises ?
Chacun des principaux intervenants, à savoir la préfecture de police, la Fédération française de football, les pompiers, a fait un rapport des faits afin d’en tirer les tout premiers enseignements, de manière préventive et opérationnelle. Il n’y a pas de nouvelles mesures mises sur la table. C’est bien trop prématuré.
Quelle a été la réaction des vingt-trois fédérations européennes (en plus de la France) qualifiées pour le tournoi ?
Nous avons reçu un certain nombre de messages de sympathie de la part de plusieurs fédérations européennes, des témoignages de confiance et de soutien. Quant à la billetterie, on n’a pas eu à ce jour de réaction spontanée de gens qui ont acheté des billets en juin-juillet et qui se seraient précipités vers l’Union des associations européennes de football (UEFA) pour voir comment ils pourraient s’en séparer ou les revendre.
Combien de spectateurs attendez-vous ?
Sur le premier million de billets qu’on a vendus en juin-juillet, on a soixante pour cent de demandes venant de l’étranger et quarante pour cent venant de France. Nous allons mettre en vente huit cent mille billets à la fin de décembre ou au début de janvier, destinés aux supporteurs des vingt-quatre équipes qualifiées et répartis de façon équitable. L’un dans l’autre, on devrait être à une part de population étrangère comprise entre cinquante et soixante pour cent. Ce qui fait beaucoup, sur deux millions et demi de billets vendus. On aura entre un million deux cent mille un million et demi de spectateurs étrangers. Ce qui est bien pour l’économie et la promotion de la France.
Qu’en est-il des « fan-zones », ces espaces de rassemblement ouverts au public avec écran géant ?
C’est l’un des sujets de travail sur lesquels on doit se pencher dans les semaines qui viennent. Contrairement aux stades, pour lesquels on est quasiment seuls à devoir décider, les « fan-zones » concernent au premier chef les villes organisatrices, ainsi que l’Etat, puis nous-mêmes en tant que propriétaire de l’événement.
Vous avez été préfet de Savoie, chargé de la sécurité des Jeux d’Albertville, en 1992. C’est un atout aujourd’hui ?
Le fait d’avoir été préfet me permet d’avoir une vision et un éclairage personnels un peu plus approfondis sur les questions de sécurité que si j’avais été journaliste ou professeur de philosophie auparavant. Ce qui compte, c’est que ceux qui sont chargés de la sécurité de l’Euro – et chez Euro 2016 SAS et du côté de l’Etat – soient de bons professionnels. Ce qui est le cas. Ziad Khoury [directeur de la sécurité et de la sûreté de l’Euro 2016], on ne l’a pas choisi par hasard. Les équipes avec lesquelles il travaille, en interne comme en externe, regroupent la fine fleur de la sécurité nationale.
Vous avez aussi été directeur général du Comité français d’organisation du Mondial 1998. A l’époque, le dossier de la sécurité était-il aussi prioritaire ?
On ne peut pas comparer. Même si effectivement la Coupe du monde suivait de quelques années une série d’attentats meurtriers (dont celui à la station de RER Saint-Michel, à l’été 1995) dans Paris, en 1998, et les situations internationale et nationale étaient calmes. Les craintes que nous avions avant le Mondial 1998 étaient liées davantage au hooliganisme qu’au terrorisme.
Comment ne pas céder à la psychose depuis les attentats du 13 novembre ?
Il y aura à l’évidence un travail d’information et de communication à destination de toutes nos populations : les spectateurs, le grand public, les médias, les fournisseurs sur les stades, les équipes. Notre priorité est d’informer, de dire quel sera le dispositif pour accueillir le mieux possible, avec le confort et la meilleure sécurité possibles, toutes ces populations.
Il ne faut pas contribuer de façon collective à faire du stade un lieu particulièrement anxiogène par rapport au terrorisme. Ce n’est pas l’endroit où il est le plus facile de frapper. Compte tenu de ce que sont les mesures de sécurité actuelles et ce qu’elles seront lors de l’Euro en matière de contrôle des billets, de palpation, entrer dans un stade avec une kalachnikov ou avec une ceinture explosive paraît invraisemblable. L’Euro 2016 va déployer des mesures de sécurité extraordinaire.Il faut faire attention à ne pas créer de phénomène de psychose.
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