par fernando » 08 Mars 2017, 12:24
Reportage ethnologique dans l'Avesnois. Désespérant. Un concentré de tous les clichés qu'on peut se faire sur ce coin sinistré (et sur d'autres). Franchement, que va-t-on faire de tous ces gens, qui sont dans une misère économique et surtout culturelle absolue?
Jason et Jessica, six ans de chômage et, au bout, le vote FN
Rencontre avec Jason et Jessica dans la banlieue de Maubeuge. Une vie décrite comme une impasse, entre chômage, ressentiment, peur des musulmans. Cette fois, pour Jessica, qui vote « toujours FN », et Jason, c’est sûr, « Marine Le Pen va passer ».
Dans le département du Nord, à la frontière avec l’Aisne et la Belgique, l’Avesnois ne ressemble en rien au bassin minier voisin. L’agriculture y occupe la plus grande partie de l’espace. Là se côtoient producteurs de lait, de pommes bio, constructeurs de maisons en bois, hôtellerie de luxe, artisanat… et chômage de masse. Durant une semaine, Mediapart donne la parole à ses habitants. Retrouvez sous l’onglet Prolonger plus d’informations sur ce territoire.
« Je regrette d’être venu ici. » Cela fait six ans que Jason s’est installé avec sa femme, Jessica, à Marpent, dans la banlieue ouest de Maubeuge. Lui est originaire de Mouscron en Belgique où il a vécu jusque l’âge de 18 ans avant de déménager à Tourcoing, puis à Douai. C’est là qu’il a rencontré Jessica. Enfin, c’est sur Internet qu’ils ont noué contact, sur un site de rencontre. Mais leur premier rendez-vous s’est tenu à la gare de la ville. C’était en 2010. La même année, le couple a un enfant, aujourd’hui âgé de six ans, déménage et s’installe à Marpent, avec les deux premiers enfants de Jessica, nés d’une précédente union.
À 34 ans, ni l’un ni l’autre n’ont trouvé, en plus de six ans, de travail dans l’arrondissement. Plus jeune, Jessica a bien travaillé durant un an et demi comme hôtesse de caisse. Mais elle a arrêté au moment de la naissance de sa première fille. Depuis, elle n’a jamais retrouvé d’emploi. Elle est inscrite à Pôle emploi mais jusqu’à présent, elle n’a rien trouvé. « Il y a quelques offres mais des temps pleins. Le problème est qu’il faudrait alors payer une nounou pour s’occuper des petits », explique Jason.
Lui a travaillé un peu plus longtemps. Il avait débuté sa vie active dans la restauration. « Je faisais au moins 80 heures par semaine », se rappelle-t-il. Mais des problèmes de santé l’ont contraint à arrêter, il y a environ six ans. Depuis, il n’a retrouvé aucun emploi stable. Reconnu travailleur handicapé, il est suivi par Cap Emploi. « Ici, il n’y a que MCA et Menissez qui embauchent, explique-t-il, résigné. Mais c’est beaucoup de CDD et d’intérim. Il y a de moins en moins de travail. Les patrons ne sont pas cons : pourquoi ouvrir une usine en France alors que des Coréens font le travail pour deux fois moins cher ? »
Depuis six ans donc, Jessica et Jason attendent à Marpent, ville de 2 728 habitants où, en 2013, le taux de chômage atteignait les 26,1 % et le taux de pauvreté 23,6 %. « Il y a une ambiance de village ici, s’agace Jason. Il y a beaucoup de curieux. Ils aiment bien savoir ce qu’il se passe. Et puis, le lundi, les gens vous disent bonjour et le mardi, ils vous regardent de haut en bas. »
L’autre problème en banlieue maubeugeoise, c’est l’isolement. Pour les courses par exemple, Jessica doit aller dans la ville voisine de Jeumont pour trouver une grande surface. « Ici, il n’y a que des petits magasins qui sont trop chers. » « Ça ne fait qu’un an que j’ai mon permis, précise Jason. Pendant six ans, on a pris le bus. Mais ça va, il y en a environ un tous les quarts d’heure. »
Ce qui dérange le plus Jessica et Jason, c’est un certain type d’insécurité. Pas à Marpent, mais plus dans les villes alentour, et jusqu’à Maubeuge, autre ville sinistrée par la désindustrialisation. « Là-bas, même une maison gratuite j’en voudrais pas », lance Jessica. « La dernière fois, à Boussois », raconte-t-elle, « des jeunes sont descendus du bus et ont jeté un parpaing dans la vitre. Le petit était avec nous, juste derrière la vitre. Heureusement, elle n’a pas éclaté. »
Et les attentats n’ont fait que renforcer ce sentiment d’insécurité. « Après les attaques, je ne bougeais plus de chez moi », se souvient Jessica. « La dernière fois, dans le bus, il y avait un mec en djellaba, un barbu, et il est parti en laissant à sa place un sachet. J’ai couru de l’autre côté ! » « Moi, j’ai essayé de la rassurer, raconte Jason. Je ne pense pas que ça puisse arriver ici. Et si ça arrive, eh bien, si on doit mourir, on doit mourir. »
Mais lui aussi reconnaît que l’ambiance s’est considérablement tendue. « Le lendemain des attentats de Charlie Hebdo, on a pris le bus, raconte Jason. Je vous assure qu’il y avait d’un côté tous les Français, et de l’autre, tous les musulmans », se rappelle-t-il. « Hollande n’a pas bien réagi, poursuit-il. Il ne faut plus d’attentats. Ce qu’il faut, c’est un nettoyage. Un nettoyage racial. » À Marpent, même si la mairie est classée divers gauche, c’est le Front national qui est chez lui. En 2012, Marine Le Pen y est arrivée en tête du premier tour avec 30,08 % de voix. Aux élections régionales, la liste du Front national avait également dominé le premier tour avec 37,04 % des voix, 11 points de plus que le deuxième, Xavier Bertrand.
« Il faut mettre un extrémiste, pour faire le nettoyage »
Eux, racistes ? « Le père de mon père est algérien, et du côté de ma mère, j’ai des origines belges, gitanes, italiennes… », raconte Jessica. Mais son père lui-même, d’origine algérienne donc, lui répétait toujours quand elle était jeune : « Tu ne me ramèneras jamais d’Arabes à la maison ! » Les premiers enfants de Jessica, une fille de 14 ans et un garçon de 10 ans, sont deux magnifiques métis nés d’un père noir. « Presque tous les jours ils se font insulter, se désole Jason. Il y a encore pas longtemps, d’autres jeunes leur ont dit : “Retourne chez toi, sale Noir.” Et c’étaient des Arabes qui leur ont dit ça ! »
« C’est la religion qui nous gêne, pas l’origine », développe Jason. Et encore, pas toutes les pratiques. « On ne parle pas de l’ancienne génération. Les anciens, eux, ils disent bonjour, ils sont respectueux. Le problème, c’est cette génération de merdeux qui se croient tout permis. » Ce qu’ils reprochent également à la communauté musulmane, c’est son prosélytisme. « On voit de plus en plus de Françaises et de Français qui se convertissent. »
« Quand on va dans un pays, on se conforme à ses coutumes. Ce n’est tout de même pas normal que l’on serve des plats musulmans à la cantine », s’agace Jason. « Maintenant, on veut apprendre à nos enfants à parler arabe ! Ce n’est pas un Allemand ou un Russe qui aurait sorti ça », poursuit le jeune homme, en référence à la ministre de l’éducation Najat Vallaud-Belkacem qui est depuis des années victime d’une rumeur selon laquelle elle tenterait de rendre obligatoires les cours d’arabe à l’école. Le couple a tout aussi peur que l’un de ses enfants se fasse embrigader sur les réseaux sociaux. « Sur Facebook, on contrôle tout ce qu’ils font. Je vérifie les copains, les copines, leurs fréquentations de l’école », insiste Jason.
Eux n’ont « aucune religion ». « Dans cette maison, dieu, c’est moi et mon portefeuille », plaisante Jason. Ils sont pourtant pour un retour « aux valeurs traditionnelles ». « Il y a beaucoup trop de laxisme », estime Jessica. « Il nous faut un gouvernement qui ait des couilles, tranche Jason. Il faut par exemple rétablir la peine de mort, comme aux États-Unis. Ils se plaignent que les prisons sont blindées. La peine de mort serait déjà une solution. Une balle, ça ne coûte pas cher ! »
Jessica a « toujours voté FN ». Jason, qui a conservé la nationalité belge, n’en a pas le droit. « Moi, je suis un immigré », rigole-t-il avant d’ajouter, « par contre, quand je paye mes impôts, je suis pas un immigré. » Mais aucun des deux n’est militant. « On ne discute pas politique avec les gens. Et ils n’en parlent pas, explique Jason. On ne s’intéresse pas vraiment à ça. On regarde très peu les infos. » Mais ils en sont convaincus : en 2017, « Marine Le Pen va passer ». « Dans le coin, le FN est en tête partout : à Boussois, à Recquignies… », deux villes voisines où la liste de Marine Le Pen est effectivement arrivée en tête au second tour des élections régionales de 2015, avec respectivement 50,53 % et 57,95 % des suffrages.
« Il faut mettre un extrémiste au pouvoir, pour faire le nettoyage », affirme Jason. Mais juste de manière temporaire donc ? « Non, il faut le laisser après, et surtout ne pas remettre Hollande. Sinon, ça va repartir ! » « Il faut une guerre, mais là-bas », poursuit-il. Mais si la France entre réellement en guerre, une guerre massive, n’ont-ils pas au moins peur pour leurs enfants ? « Ils n’enverraient pas mon fils. Ils le prendraient pour un musulman ! » plaisante Jessica. Et justement, n’y a-t-il pas un risque qu’eux-mêmes soient victimes de discrimination en raison de leur couleur de peau ? Non, Jason et Jessica n’ont « pas peur ».
Le couple est en fait convaincu que l’arrivée au pouvoir du FN réglera tous leurs problèmes, notamment économiques. « Je ne suis pas raciste », insiste Jason, « mais il y a un ras-le-bol. Dès qu’ils arrivent en France, ils ont un travail. Et nous, ici, on galère. Ce n’est pas normal. Qu’ils produisent là-bas. Y a du boulot là-bas. »
En attendant, Jessica et Jason patientent, à Marpent. Même s’ils n’aiment pas la ville, ils comptent rester ici, « pour l’instant ». « Pour l’instant, le travail est pris par les étrangers. Mais s’ils sont renvoyés chez eux, ça ira mieux, résume Jason. Sinon, on verra. »
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