Lille : le clash Aubry‐Baly qui relance le suspense des municipales
La gestion de la crise sanitaire a provoqué une tension extrême entre la maire PS de Lille et les Verts lillois. L’alliance de second tour est fortement compromise. Ce qui ouvre tous les possibles pour la victoire finale.
Les Verts lillois profiteraient‐ils de la crise pour faire de la basse politique politicienne ? C’est l’avis de Martine Aubry, encore essoufflée par la rage, quand elle raconte le coup « tellement énorme » que lui auraient joué ses partenaires de la majorité. « Nous n’avons plus rien en commun ! », assène la maire de Lille, qui ne veut pas entendre parler d’accord électoral entre elle et Stéphane Baly pour le second tour des municipales . Ce clash rebat d’un coup les cartes dans une bataille du beffroi qu’on disait jouée d’avance. Sans alliance entre les Verts et Martine Aubry, les trois qualifiés du premier tour (Martine Aubry, Stéphane Baly et la candidate macroniste Violette Spillebout) sont en mesure de l’emporter.
Rappel des faits : jeudi 16 avril, les journalistes sont invités à une visio‐conférence de presse de la liste « Lille verte » de Stéphane Baly. La tête de liste écologiste et quelques‐uns de ses colistiers exposent leurs propositions pour le confinement et l’après 11 mai. Des aménagements urbains favorisant la distanciation sociale (trottoirs élargis, tests de piétonisation, pistes cyclables…), une livraison de livres à domicile, la réouverture partielles des mairies de quartier.
Le lendemain matin, Martine Aubry convoque en urgence les journalistes pour le jour même afin de détailler l’action municipale en ces temps de confinement : panier repas pour les plus précaires, plate‐forme d’accompagnement scolaire, fabrique de masques… À plusieurs reprises, la maire de Lille prend soin de rappeler qu’elle travaille à toutes ces mesures depuis longtemps.
Certaines des mesures présentées, notamment sur l’urbanisme, se rapprochent de celles défendues la veille par Stéphane Baly… qui ironise dans un tweet sur la réactivité à retardement de la maire sortante.
https://twitter.com/StefBaly/status/125 ... 16037?s=20Fureur de Martine Aubry. Un cap a été franchi dans la défiance, estime‐t‐elle : « À l’heure où les élus des villes doivent être en première ligne, c’est triste ! » L’édile rappelle avoir incité, vendredi 10 avril lors d’une première visio‐conférence, les présidents des groupes politiques du conseil municipal à lui transmettre leurs propositions. En bons élèves, les élus de droite, du RN et de La République en Marche (LREM) ont rendu leur copie la semaine suivante. Côté écolo, silence… Jusqu’au casus belli de la fameuse conférence de presse du 16 avril.
« Nous avons bien insisté, lors de cette conférence, sur le fait que nos propositions seraient rapidement transmises au maire, rétropédale Stéphane Baly, interrogé par Mediacités quelques jours plus tard. Les élus écolo sont au travail dans leurs délégations santé, éclairage public, jardins familiaux. Nous n’avons pas attendu ce jeudi pour proposer et soutenir des propositions, comme l’ouverture des marchés de plein air par exemple. » Jérémie Crepel, conseiller municipal délégué à la santé, confirme : « Depuis le début de la crise, j’ai fait des propositions au cabinet du maire et à Marie‐Christine Staniec‐Wavrant avec qui je travaille très bien. Je ne veux pas rentrer dans la polémique sur la gestion de cette crise. »
Rupture de confiance
Reste que le clash laissera des traces. « Je ne peux pas continuer à travailler avec des gens en qui je n’ai pas confiance », lâche Martine Aubry à Mediacités, très remontée contre l’aile gauche des écolos lillois. « Des dogmatiques qui n’ont rien fait pendant six ans, des p’tits gauchos qui ne nous apportent rien », tacle‐t‐elle. Elle les accuse même carrément d’avoir « décérébré » Lise Daleux, son adjointe au développement durable, avec laquelle Martine Aubry affirme, en revanche, avoir bien travaillé pendant dix ans.
L’intéressée nous répond tranquillement : « Je suis toujours complètement en harmonie avec les Verts. Il y a des gens qui ont pris la relève et ils font un travail formidable. » Il n’y aurait donc pas de divergences au sein des Verts. L’ancienne tête de liste écolo des municipales de 2014 explique son retour à un statut de simple militante, après douze ans d’engagement municipal, par son refus de devenir une professionnelle de la politique. Quant aux « cancres » verts, ils rejettent bien sûr ce procès en fainéantise. Et estiment au contraire avoir été snobés par Martine Aubry durant la majeure partie du mandat.
Reste qu’aux yeux des observateurs de la politique lilloise ce mini‐psychodrame est révélateur d’un changement de stratégie chez les Verts. Après avoir recueilli le score historique de 24,5 % des voix au premier tour, à seulement cinq points de Martine Aubry (29,80 %), les écolos lillois se disent qu’ils tiennent là une occasion unique : rafler la mise en partant seuls au deuxième tour. « Dans la région, Martine Aubry est la seule maire sortante à avoir obtenu un score aussi décevant. Les Verts sont persuadés qu’ils ont une fenêtre de tir pour prendre la ville », estime Pierre Mathiot, directeur de Sciences‐Po Lille. Tous les Verts ? Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques, ne le pense pas : « Il ne faut pas oublier que depuis les municipales de 2014 et les élections régionales de décembre 2015, beaucoup d’écologistes sont restés sur le carreau. La peur de tout perdre est encore très présente chez ceux qui préfèrent être au pouvoir, en capacité d’agir, plutôt que dans l’opposition. »
Tiraillé entre écolos réalo et « khmers verts »
À l’instar de la liste Europe Ecologie‐Les Verts de Yannick Jadot, qui a séduit lors des Européennes un électorat composite composé de gens ayant voté Emmanuel Macron ou Benoît Hamon à la présidentielle, Stéphane Baly est balloté par des forces contraires. « En ce moment, il est poussé par les Khmers verts de son équipe et rêve de décrocher une fiche Wikipédia à son nom, s’amuse un beffroilogue avisé. Prendre la 4ème ville de France à l’ex-numéro 2 du gouvernement, c’est bien mieux que conquérir Grenoble comme est parvenu à le faire l’écologiste Eric Piolle en 2014. »
Le pari est risqué. Si aucun accord ne devait avoir lieu entre Verts et socialistes, les ex‐partenaires se retrouveraient en lice avec la candidate LREM Violette Spillebout, troisième qualifiée pour le second tour avec 17,5 % des suffrages. Trois listes susceptibles de l’emporter, tant les incertitudes sont nombreuses. Vers qui se tourneront les 3 200 électeurs de Marc‐Philippe Daubresse, non qualifié pour le second tour ? Violette Spillebout ou Martine Aubry ? Les quartiers populaires du Faubourg‐de‐Béthune et de Lille Sud ont atteint des niveaux d’abstention de plus de 80 % dans la plupart des bureaux de vote ! Pour qui voteront ces abstentionnistes s’ils décidaient de se déplacer ?
Toutes ces questions sont bien sûr conditionnées au maintien du 1er tour – une issue de moins en moins vraisemblable. Mais si les résultats du 15 mars devaient être définitifs, les Verts n’auront pas d’autre choix, pour passer devant Martine Aubry, que de rallier à eux la majorité des 3 500 électeurs ayant voté pour l’Insoumis Julien Poix (8,85 % des voix). Une gageure si l’on se souvient du sondage de décembre dernier effectué pour La Voix du Nord : il montrait que 71 % sympathisants de La France Insoumise (LFI) jugeaient satisfaisant le bilan de Martine Aubry.
Discussion d’égal à égal ou supplétifs ?
« À la veille du second tour, nous réunirons notre collectif pour donner notre position », indique Julien Poix à Mediacités. La tête de liste LFI garde un souvenir mitigé de sa rencontre avec les Verts le lundi 16 mars, au lendemain du 1er tour. « Ce fut une discussion étrange en fin de matinée dans la cave de leur local, comme dans un épisode du Baron noir à la petite semaine. Je me suis senti comme le vieil oncle indigne qu’on veut cacher. Stéphane Baly n’est resté que deux minutes à la réunion et m’a laissé le sentiment qu’il préférait rester le vice‐roi de Martine Aubry plutôt que construire une majorité alternative avec nous. »
Lorsque la délégation verte, composée des quatre premiers candidats de la liste, rencontre quelques heures plus tard Martine Aubry et lui annonce qu’ils ont discuté avec les Insoumis, la réunion tourne court. « C’est très bien, partez avec eux, répond‐t‐elle du tac au tac. Vous avez plus de proximité avec eux qu’avec nous. » À cet instant, les écolos ont l’impression que la maire de Lille n’a toujours pas intégré les résultats de la veille. « Alors que nous étions venus parler d’égal à égal, elle nous voyait toujours et encore comme des supplétifs », témoigne l’un d’eux. Le lendemain, l’annonce du confinement général par le gouvernement évitera aux deux parties une difficile poursuite des négociations.
Quand on les interroge aujourd’hui sur leurs intentions, les Verts réitèrent le discours qu’ils tiennent depuis un mois : « Nous avons mis de côté toute réflexion de stratégie ». Soit. Mais pas au point de laisser Martine Aubry recueillir les lauriers d’une bonne gestion de la crise sanitaire sur la base de suggestions qu’ils lui auraient glissées à l’oreille… « Cela fait des années qu’elle s’approprie nos idées en faisant croire qu’elle en est à l’origine », souffle un colistier de Stéphane Baly. Sous‐entendu : il n’y a pas de raison que la crise l’aide à rempiler pour un 4e mandat. Le coronavirus a suspendu la campagne. Mais celle‐ci est loin d’être terminée à Lille.
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